Faut-il deux voies différentes d'enseignement culinaire ?
La réponse est un « oui » vigoureux !
Apprendre
la cuisine en vue de devenir cuisinier, restaurateur... ou autre
chose ? Il y a là une question qui devrait intéresser nombre de
collégiens ou de lycéens, pour plusieurs raisons.
Tout d'abord,
la cuisine est une activité merveilleuse, puisque, quand c'est de
l'artisanat, son objectif est de produire des oeuvres qui disent en
réalité « je t'aime ».
Oui, pour l'artisan, le soin est
essentiel, et l'on comprend mieux pourquoi en considérant un escalier
bancal qui aurait été construit par un menuisier (un artisan, donc) peu
soigneux : si celui qui l'emprunte de casse une jambe, c'est grave ;
c'est tout comme si l'on avait dit « je me moque de toi, au point que
je me désintéresse de ta santé, de ton intégrité physique, et ta mort
éventuelle m'est indifférente ». En cuisine, c'est tout à fait analogue,
et l'on sait combien la question de la santé est importante, pour
l'activité culinaire : produire une mauvaise nourriture, cela peut aller
jusqu'à l'empoisonnement ! A contrario, produire avec soin de la
nourriture de qualité, c'est bien dire, en quelque sorte : « je t'aime,
et je me préoccupe de ta santé, en plus de ton bonheur de manger ce que
j'ai préparé pour toi ». Cela suppose des connaissances à propos de la
nutrition, et de la santé humaine !
Pour peu que le cuisinier ne
soit pas un artisan, mais un artiste, la question de l'intérêt de la
cuisine diffère, mais l'activité culinaire reste passionnante,
différemment passionnante, puisque, cette fois, l'objectif est de dire à
son prochain : « Je t'aime, puisque je m'efforce de te donner des
sensations, de produire chez toi des émotions ».
Restaurateur ?
La question est peu différente, même si le travail ne se fait plus aux
fourneaux. Cette fois, il faut faire vivre différemment une entreprise,
ce qui signifie payer un personnel de cuisine, de salle, et les faire
vivre ! Sans oublier, bien sûr, les personnes qui ont quitté leur foyer
pour venir, souvent, passer un moment festif. Quelle responsabilité !
Ne faut-il pas beaucoup de connaissances théoriques, pour cela ?
Et
puis, il y a tous ceux que les formations en hôtellerie-restauration
intéressent, parce que ces formations... débouchent sur un taux de
chômage nul, en raison de la qualité des enseignements ! La cuisine,
c'est aussi un savoir vivre, un savoir être, une rigueur du travail, et
des qualités commerciales, au sens le plus nombre du terme. On ne doit
pas oublier que le « chevalier tranchant », du temps des rois de France,
était le premier des gentilhommes ! Les maîtres d'hôtel sont des
individus qui doivent exercer leur métier en finesse, en intelligence,
puisque la politesse est exactement cette façon subtile, intelligente,
de se comporter vis à vis d'autrui.
Cela étant, en
cuisine comment en science, et comme sans doute dans d'autres secteurs
que je n'ai pas le temps d'analyser, il y a des « conducteurs de
voiture » et des « mécaniciens »: les deux « attitudes » sont
différentes, et nécessitent des connaissances différentes, pratiques et
théoriques. Le conducteur de voiture, surtout aujourd'hui que les
systèmes électroniques ne donnent plus un accès facile à des travaux
mécaniques qui allaient jusqu'à forger des pièces métalliques, est un
conducteur : il veut prendre la voiture telle qu'elle est, et, sans
chercher à comprendre dans le détail son fonctionnement, la conduire. En
cuisine, ce serait la voie professionnelle : il faut ici exercer un
métier, et nombre des jeunes qui s'engagent dans cette voie doivent
connaître des gestes professionnels.
Ce qui ne signifie pas que
ces personnes n'ont pas le droit de comprendre la raison de leurs
gestes ! Un conducteur de voiture n'est pas plus bête de savoir que son
moteur a quatre temps, pourquoi il faut y mettre de l'huile, etc.
Toutefois, le conducteur doit d'abord conduire, sans quoi il n'est plus
un conduteur.
La seconde voie est la voie
technologique, insuffisamment comprise, sans doute parce qu'elle est
nouvelle. Elle tient bien dans la définition du mot « technologie »,
lequel désigne l'étude de la technique, en vue de son perfectionnement.
Le technologue n'est pas un technicien, même s'il peut faire des gestes
techniques. Le technologue comprend d'abord, et fait ensuite. Bien sûr,
la compréhension conduisant à l'innovation, le technologue est un être
de nouveauté technique. En l'occurrence, le mécanicien qui monte et
démonte une voiture sait faire plus que la conduire.
En cuisine ?
Produire des aliments se fonde sur une compréhension très large de leur
nature. D'où viennent-ils ? Il faut de la culture, des connaissances
qui dépassent l'acte culinaire. Pourquoi mange-t-on certains aliments
plutôt que d'autres ? Là encore, de la connaissance « théorique », très
large. Quel est leur circuit social ? Là encore... Quels phénomènes sont
à l'origine de leur productions, quand les gestes techniques sont à
l'oeuvre ? Pourquoi les aime-t-on ou ne les aime-t-on pas ? En matière
d'art, par exemple, l'école du Bauhaus, au début du XXe siècle, s'était
donnée comme feuille de route de former des artistes en liant l'art à la
science, et, plus généralement, à la culture. C'était là une démarche
parfaitement dans le sens de la voie technologique de
l'hôtellerie-restauration. Oui, pour la voie technologique, il faut des
sciences, des humanités, de la gestion, de la pratique des langues
française et étrangères, et le niveau de responsabilité ira en
conséquence. D'ailleurs, on voit la proximité entre cette voie
technologique et l'université.
Bien sûr, on comprend que la voie
technologique soit plus longue, que les études doivent durer davantage.
Il faut non seulement conduire, mais être capable de réparer le
véhicule, mais n'y a-t-il pas là un bel objectif, aussi ?
Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue :
Le terroir à toutes les sauces (un
traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de
recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que
nous construit la cuisine)