samedi 7 mai 2016

Ce qu'est la cuisine note à note, et ce qu'elle n'est pas

Hier, un ami m'envoie un message me disant  "Je fais un superbe diner chez un de tes fans, adepte du note à note, et naturellement je pense à toi.

Merveilleux... mais quel est ce cuisinier qui ferait de la cuisine note à note sans que je le sache ?

La réponse contient : "extraction des saveurs individuelles d'une recette, puis assemblage, comme une composition à partir des notes. Exemple : extraction de petits pois incorporée ensuite à une cuisson de crème d'oignons. "


Evidemment, je suis très heureux que mes travaux  inspirent ce chef, qui semble faire très bien... mais ce n'est pas cela, la cuisine note à note.

Je rappelle donc ce que c'est : il s'agit de faire des plats à partir de composés purs, tels l'eau, la cellulose, les sucres, les acides aminés, les protéines, les lipides, etc.
Or, quand on fait une extraction d'un goût de petit pois, par exemple en les macérant dans l'huile, ou même en les distillant sous vide, on récupère un mélange de composés odorants ou sapides, et l'utilisation de ce mélange n'est pas assimilable à l'utilisation d'un composé pur.
Bien sûr, il y a la cuisine note à note "pure", où l'on utilise des composés purs, et la "cuisine note à note pratique", où l'on utilise des mélanges de quelques composés, mais il ne faut pas trop dériver, sans quoi l'idée "note à note" est perdue.

Je pressens que ce type de questions ne fait que commencer, et je me souviens d'un numéro de la revue Thuries Magazine, du temps de la cuisine moléculaire, qui demandait aux cuisiniers ce qu'ils pensaient qu'était la cuisine moléculaire. Il y avait même des chefs qui disaient que toute la cuisine était moléculaire, parce que les aliments étaient faits de molécules. Je veux bien que les chefs aient de l' "autorité"... mais ils auraient dû quand même se rapprocher de la définition : "la cuisine moléculaire, c'est la cuisine faite à l'aide d'ustensiles modernes, à savoir ceux qui n'étaient pas dans les cuisines de Paul Bocuse en 1976, tels les thermocirculateurs, siphons, azote liquide, extracteurs variés...".

Vous allez voir que, de même, la "cuisine note à note" va être interprétée, alors que sa définition est claire : "produire des aliments à partir de composés purs".

jeudi 5 mai 2016

Quand les lois sont mauvaises, il faut les changer.


Par les temps qui courent, une phrase comme "Quand  les lois sont mauvaises, il faut les changer" fait évidemment penser aux députés. En réalité, cette phrase qui est sur le mur de mon bureau concerne d'abord les sciences de la nature, car ces dernières fondent leurs théories sur des lois... qu'il faut  absolument changer, qu'il faut sans cesse changer !

Voir la suite sur http://www.agroparistech.fr/Quand-les-lois-sont-mauvaises-il-faut-les-changer.html

dimanche 1 mai 2016

Pardon, je suis insuffisant… mais je me soigne

Je me souviens d'étudiants qui s'énervaient, parce que je ne trouvais pas immédiatement  la solution à des problèmes qu'ils venaient me soumettre et que mes conseils les conduisaient à faire et à défaire. Ou alors, quand je corrigeais leur compte rendu, je ne trouvais pas immédiatement la bonne formulation pour rectifier la formulation fautive qu'ils avaient employée.  Dans les deux cas, j'aurais pu les envoyer paître,  parce que, après tout, leur travail, c'est leur travail, et non le mien, mais j'ai toujours jugé plus pédagogique de leur présenter mes excuses, et d'avouer mes insuffisances.

Oui, je suis insuffisant, au point que je l'ai affiché en très gros caractères sur les murs de mon bureau. Et je préfère de loin quelqu'un qui avoue des insuffisances, à quelqu'un qui est très sûr de lui  et qui fait n'importe quoi. Evidemment, comme il est bien trop facile de répéter "Je suis insuffisant", afin de justifier paresse et médiocrité, j'ai ajouté à  la fin de la phrase un "mais je me soigne » !
Se soigner,  en matière de calcul, en  matière de raisonnement, en matière d'écriture, c'est travailler beaucoup pour parvenir à s'améliorer.  Le grand chimiste Michel Eugène Chevreul disait « Il faut tendre avec efforts à la perfection sans y prétendre ». Dans cette phrase, la perfection n'est pas très importante, et l'essentiel, c'est le « avec efforts ».
Oui,  nous sommes tous insuffisants, puisque la perfection n'est pas de ce monde, et notre seul recours, c'est de nous soigner, de travailler, d'y mettre du soin, de l'application, des efforts… Au minimum, si nous n'avons pas obtenu le résultat que nous visions, nous aurons au moins fait quelque chose, et nous pourrons en rendre compte, tendre le fruit de nos efforts à nos évaluateurs… à qui nous pourrons d'ailleurs (sans impertinence, bien sûr) soumettre les questions que nous nous posions et leur demander s'ils auraient fait mieux que nous et comment.
Mais je dévie vers la difficile question des évaluateurs. Ici, pour nous recentrer, je propose que nous soyons nous-mêmes ces instances d'évaluation de notre travail.

samedi 30 avril 2016

Ne pas confondre les faits et les interprétations.


Ne pas confondre les faits et les interprétations : le conseil fut donné il y a quelques décennies par Hubert Beuve-Méry, un des fondateurs du journal Le monde, mais elle s'impose évidemment en sciences de la nature (en plus de s'imposer, plus que jamais, pour le journal de Beuve-Méry).
Pour Beuvre-Mery, le bon journaliste sait faire la part des choses : il est honnête (ne fait certainement pas ce qui est décrit dans Le président, à la suite de la séquence https://www.youtube.com/watch?v=o6pcBGpag2o ), et présente d'abord les faits, avant les interprétations. Oui, même pour un journal d'opinion, il est honnête de  donner les faits. Ensuite, on peut utiliser ces derniers pour asseoir des opinions, des valeurs, des jugements.
D'où mon étonnement, il y  a quelques mois, quand j'ai assisté à une conversation où un journaliste d'un grand quootidien, parlant à auditoire dans une soirée, se disait parfaitement vertueux, selon lui, parce qu'il avait fait état de travaux qui étaient opposés à ses propres idées (en matière d'écologie). Sur  le coup, j'avais été intrigué, parce que je savais l'homme idéologiquement malhonnête... mais qu'il semblait y avoir  une certaine honnêteté dans cette affaire. Toutefois, quand on y pense bien, notre homme n'aurait-il pas mieux pas  fait de changer ses idées, puisqu'elles étaient contredites par les faits ? Oui, finalement, je vois moins de la vertu que de la bêtise ou de la malhonnêteté, dans ce comportement dont le journaliste se vantait. Passons... en tirant des leçons sur le crédit que l'on doit accorder au journal où cet homme travaille.

Plus positivement, donc, cette question des faits et des interprétations, qui donc a été énoncée pour le journalisme, est essentielle en sciences, où nous cherchons les mécanismes des phénomènes, c'est-à-dire des interprétations des faits. Le scientifique observe un phénomène, le quantifie, obtient des données, et il ou elle doit ensuite chercher des régularités, des mécanismes.
Sans des données fiables, nos recherches de régularités et mécanismes ne valent rien, ce qui justifie qu'un de mes amis chimiste répète à l'envi, et très  justement,  que "donnée mal acquise ne profite à personne".
Oui, il nous faut des faits bien établis, validés, et validés encore, afin que nous ne bâtissions pas des châteaux sur le sable, que ce soit sur un sol parfaitement ferme que nous érigeons nos théories. Sans quoi nos idées ne valent rien, et elles s'écrouleront au moindre coup de vent. Il faut donc d'abord les faits, puis les interprétations. Des faits bien établis, et des interprétations qui n'aillent pas au-delà de ce que les faits nous font penser.
Bien sûr, l'induction qui est au coeur du travail scientifique, dépasse les faits en ce qu'elle propose des prévisions de faits qui ne sont pas établis. C'est même là l'intérêt des théories scientifiques que de recouvrir d'innombrables situations par un même cadre théorique, de mieux décrire le réel, les phénomènes, mais il y a précisément ce risque d'aller élucubrer. Nous devons chercher les interprétations, les tester, avec prudence. Avec audace, mais avec raison, en ce que nous devons, quand nous avons fait une proposition théorique, chercher à la tester… en vue de la réfuter, car la science honnnête sait bien que nos théories ne sont que des descriptions approximatives, que nous devons donc améliorer sans cesse, pour nous approcher  d'une meilleure description du monde.
La description parfaite n'existe pas, mais nous sommes dans cette description de meilleure en meilleure, et, chemin faisant, nous décrivons des objets, notions, concepts, phénomènes, qu'il était impossible de voir auparavant.

dimanche 24 avril 2016

Penser en souriant aux sujets sérieux

Encore une phrase écrite sur les murs de notre laboratoire : "Penser avec humour aux sujets sérieux". Il concerne donc la recherche scientifique, et propose  d'accroître  le bonheur de sa pratique.
L'écrivain argentin Jorge Louis Borges disait : "Je travaille avec le sérieux d'un enfant qui s'amuse". Oui, si nous voulons une vie merveilleuse, nous devons nous amuser, ce qui ne signifie pas que nous divertissons notre temps à des travaux indignes, mais que nous savons prendre nos travaux avec le recul nécessaire, que nous savons les évaluer avec indulgence, certes, mais avec rigueur. Si nous devons être nos propres évaluateurs, soyons quand même un peu bienveillants ; ne soyons pas crispés, sourions  un peu. La vie, qui s'achève par la mort, est quelque chose de beaucoup trop sérieux pour que nous n'en sourions pas. Je plains  au fond les pisse-vinaigre, les individus qui ne savent ni boire ni manger, ni chanter en compagnie, ni prendre du plaisir à leurs travaux. Je plains ceux qui se prennent au sérieux, et, évidemment, je m'inquiète ces billets sur les règles que je me suis données, car je les vois bien sérieuses, bien morales...  et pour tout dire un peu ennuyeuses.
Vite, un sourire, une illumination de mon visage qui offrira à mes interlocuteurs un aspect plus réjouissant que celui d'une porte de prison !

mercredi 20 avril 2016

Y penser toujours

La question de la production scientifique est au coeur de cette discussion. Comment faire une découverte ? Comment repousser les limites de l'inconnu, agrandir le royaume du connu ?

Bien sûr, l'objectif étant déterminé, il y a la question de trouver les moyens de l'atteindre, et cela n'est évidemment pas facile, sans quoi les découvertes pleuvraient comme les gouttes d'eau un jour de pluie. Il est notoirement difficile de faire des découvertes. On peut discuter la question en termes de stratégie, mais on a vu ailleurs que la méditation est douce, et l'expérience est difficile. Même avec une bonne méthode, nous n'arrivons à rien si nous n'arrivons pas à la mettre en œuvre assidûment. Or « assidûment », cela signifie que nous y passions beaucoup de temps, que nous sommes focalisions sur cet objet-là  au lieu de nous perdre dans la poussière du monde. Si nous pensons au dernier roman, au dernier film, à la dernière chanson à la mode, c'est autant de temps que nous ne passons pas à nous préoccuper des régularités du monde, des causes des mécanismes des phénomènes. Et il ne faut donc pas s'étonner que ce soient les scientifiques les plus attentifs, les plus focalisés, apparemment les plus asociaux, qui aient été  à l'origine des plus grandes découvertes.
Einstein se moquait un peu du qu'en-dira-t-on, et il n'était pas spécialement bien habillé, ni bien coiffé...  Michael Faraday passait des journées, des mois, des années, seul dans son laboratoire avec un technicien, à mesurer, consigner, penser… et il fut à  l'origine d'un nombre admirable de découvertes : le benzène, l'induction électromagnétique, l'effet Faraday ...  Louis Pasteur, aussi,  parlait à peine à sa famille pendant les repas, tant il était absorbé par ses travaux.
On a souvent moqué le comportement un peu bizarre des savants, et c'est sans doute à juste titre, parce que on sait bien, en sciences, que la chance ne sourit qu'aux esprits préparés. Il faut y penser, y penser encore, y penser toujours, en un mot.