jeudi 14 avril 2016

Ne laissons pas les fanatiques gâcher notre vie

Suite à une émission de télévision, mon confrère Léon Guéguen a pris une plume salutaire, et je vous livre le résultat de ses réflexions (avec son accord) : 




A propos du documentaire « Manger plus pour se nourrir moins »
(France 5, 3 avril 2016)
L’annonce accrocheuse de cette émission dans la Presse était catégorique et alarmante : « Au cours des 50 dernières années, les aliments ont perdu jusqu’à 75 % de leur valeur nutritive ». Cette affirmation, répétée au début du documentaire, était aussitôt accentuée par d’autres absurdités, à savoir qu’il faut 100 pommes actuelles pour le même apport de vitamine C qu’une seule pomme ancienne et 20 oranges au lieu d’une pour l’apport de vitamine A. Idem pour le calcium et la pro-vitamine A du brocoli et de façon plus générale pour le blé, la viande et le lait…C’est évidemment grossièrement faux !
Les principaux appuis scientifiques utilisés sont les articles d’Anne-Marie Mayer, sympathisante bio, reposant sur des comparaisons des tables anciennes et récentes de composition des aliments, les revues de synthèse de David Davis, interprétant les rares études comparatives publiées et, dans une moindre mesure, les déclarations de chercheurs de l’Inra d’Avignon. Le reproche fait à la sélection végétale est de n’avoir ciblé que le rendement en matière sèche, donc la production de glucides et de protéines, en négligeant les teneurs en micronutriments, à savoir les éléments minéraux majeurs, les oligoéléments et les vitamines. C’est donc le principal objet de ce réquisitoire contre l’agriculture moderne.
Dans ce cas particulier des micronutriments, les comparaisons sont souvent biaisées par le manque de fiabilité de données anciennes produites par des méthodes d’analyse peu sensibles et précises. C’est le cas du fer, du zinc, du cuivre et de la plupart des vitamines.
Il est évident que la composition chimique des végétaux dépend, au sein d’une même espèce, du cultivar. Il est donc possible, voire probable, que des variétés anciennes, d’un format différent, soient plus riches en certains micronutriments. De même, il est indéniable, comme tend à le montrer D. Davis, qu’il se produit un certain « effet de dilution » dans le cas de plantes très productives, à croissance rapide, provenant de cultures irriguées ou/et très fertilisées. Le stade de maturité détermine aussi les teneurs en eau et en vitamines.
Cependant, comme le déclare D. Davis et comme le montre la lecture attentive des graphiques de ses articles, les éventuelles baisses de teneurs ne sont en moyenne que de 10 à 20 %, avec quelques exceptions, comme le cuivre, pouvant résulter de contaminations plus importantes autrefois avec le seul fongicide alors disponible, la bouillie bordelaise. Quoi qu’il en soit, on est bien loin de l’énorme déclin stigmatisé dans le documentaire !
La forte baisse de teneur en calcium relevée pour le brocoli est probablement due au fait qu’il s’agit de deux variétés très différentes. De même, les teneurs inférieures de 20 à 40 % en minéraux du blé pourraient être expliquées par la taille différente du grain et donc par la proportion de son, beaucoup plus riche en matières minérales. Nous n’avons pourtant pas constaté de forte modification de la composition minérale du blé depuis nos premières analyses faites il y a 60 ans…
L’exemple de la tomate est souvent cité pour démontrer les moindres qualités organoleptiques et nutritives des variétés modernes. En l’occurrence, les teneurs en calcium et magnésium auraient baissé de la moitié. En fait, la tomate, quelle qu’elle soit, ne contient pratiquement pas de calcium et de magnésium par rapport aux besoins alimentaires. Une telle différence n’a donc pas de signification nutritionnelle. Il aurait aussi fallu dire que de nouvelles variétés de tomates conventionnelles sont plus riches que les tomates bio en lycopène, puissant antioxydant aux effets bénéfiques.
Un autre exemple emblématique du documentaire est la longue séquence sur l’abricot et la comparaison entre arboriculture intensive (ici raisonnée) et la culture bio dans un jardin broussailleux d’une néo-rurale écolo qui suit les conseils éclairés du couple Bourguignon, avec une scène désopilante de diagnostic (onéreux !) de la qualité du sol destiné à prévoir la bonne qualité nutritive des fruits. Après analyse, il s’avère que les teneurs en glucides, vitamine C et provitamine A ne diffèrent pas entre le bio et le conventionnel mais que les abricots bio sont 3 à 4 fois plus riches en calcium, fer et zinc. Or, comme la tomate, l’abricot est toujours très pauvre en ces éléments minéraux et de tels écarts n’ont pas d’impact nutritionnel. Tripler presque rien ne donnera pas plus que presque rien ! Il est dit aussi dans le documentaire que la production citée d’abricots bio était 10 fois plus faible qu’en arboriculture intensive et que le prix de vente de ces abricots était le double de celui des abricots conventionnels, ce qui a quand même conduit le commentateur à conclure raisonnablement que, pour satisfaire les consommateurs, le bio ne suffirait pas et qu’il fallait aller vers un compromis entre les modes extrêmes de production…
Quant au lait et à la viande, également visés dans l’introduction du documentaire pour avoir une valeur nutritive plus faible qu’il y a 50 ans, il s’agit aussi d’une contre-vérité. Il va de soi que la composition de la viande et du lait peut varier sensiblement, notamment pour les teneurs en lipides, en fonction de la race, de l’âge et du degré d’engraissement. Il est bien connu aussi que l’alimentation à l’herbe (ou avec addition de graine de lin) augmente la teneur du lait en acides gras polyinsaturés oméga-3. Cependant, la sélection et la productivité n’ont pas modifié de façon significative les teneurs en minéraux, oligoéléments et vitamines du lait. Les teneurs en minéraux actuellement relevées dans le lait ne diffèrent pas des moyennes calculées à partir d’une revue bibliographique exhaustive sur la composition minérale du lait de plusieurs espèces utilisant des données publiées il y a un demi-siècle (Guéguen L., 1971, Annales de Nutrition et Alimentation, 25, A335-A381).
En conclusion, encore beaucoup de bruit médiatique pour rien, dans le but d’angoisser le consommateur et de lui faire croire, ce que ne dira plus JP Coffe, que les aliments actuels « c’est de la m…. ».
L. Guéguen
Directeur de recherches honoraire de l’Inra
Membre émérite de l’Académie d’Agriculture de France


lundi 11 avril 2016

Il faut tendre avec efforts à la perfection sans y prétendre.

"Il faut tendre avec efforts à la perfection sans y prétendre" : cette phrase vient de Michel Eugène Chevreul, ce remarquable chimiste qui fut  plusieurs fois président de l'Académie des sciences, non pas par goût du pouvoir, mais parce qu'il avait découvert la constitution chimique des graisses, découvert la loi du contraste simultané des couleurs, et j'en passe, de sorte que sa stature scientifique le faisait primum inter pares

Cette phrase me paraît tout à fait merveilleuse, parce qu'elle incite à travailler, mais elle reconnaît quand même que la perfection n'est pas de ce monde. On peut la viser, mais il ne faut pas avoir la prétention de l'atteindre, car elle est inaccessible, au moins par postulat, ce qui est une façon très positive de nous encourager à travailler sans cesse pour  améliorer ce que nous faisons.
On trouve évidemment des idées exprimées ailleurs, ce qui n'est pas étonnant car si j'ai mis cette phrase de Chevreul qui dans ma collection, c'est qu'elle correspond bien aux  valeurs que je propose.
Dans la citation, il y a « avec efforts », et la connotation de cette expression peut paraître négative : des efforts ! Pourtant, on trouve le mot "force" dans effort, et cela n'a rien de péjoratif. Oui, il faut y mettre nos forces, mais pourquoi cela serait-il mauvais ? C'est un plaisir d'exercer sa force, non pas seulement physique, mais morale. Le philosophe Alain avait ainsi proposé des exercices  de bonne humeur. Il nous invitait à nous confronter à des situations de plus en plus difficiles afin de nous assurer que nous devenons capables de vivre dans la bonne humeur. Je maintiens que l'optimisme est une politesse qui s'apprend, et je vois les exercices de bonne humeur d'Alain comme une façon de faire. Je ne pas que la vie est toujours gaie, avec les décès, avec les maladies, etc., mais je dis que nous devrions avoir la politesse de proposer aux autres un visage souriant, positif, et je maintiens que cela s'apprend. Ce n'est pas un don du ciel ! C'est un travail constant que d'afficher des sourires afin de rendre les autres heureux, au lieu de se morfondre égoïstement. On se souvient de ce livre amusant de la comtesse de Ségur : Jean qui rit et jean qui pleure. C'était une caricature, évidemment, mais c'était surtout une leçon de morale ; je la prends pour telle, et je propose que nous la faisions connaître.
Oui, faisons la promotion de l'effort, du travail, du soin, de l'attention, de la politesse… Le grand physico-chimiste Michael Faraday allait le soir à son club d'amélioration de l'esprit. Récemment, j'ai rencontré un étudiant qui me demandait ce que cela signifiait. Je crois que j'ai trouvé la réponse : améliorer son esprit, c'est beaucoup de choses, mais c'est notamment apprendre à voir le verre plus qu'à moitié plein. Je propose cette phrase de Chevreul : il faut tendre avec efforts vers la perfection sans y prétendre.

Au fait, le rapport avec la recherche scientifique ? La phrase s'impose, parce qu'elle vient de Chevreul, mais, en réalité, elle s'impose à tous, non ?

dimanche 10 avril 2016

Il n'est pas nécessaire d'être lugubre pour être sérieux.

"Il n'est pas nécessaire d'être lugubre pour être sérieux" : encore une des phrases écrites sur le mur de mon laboratoire. Pourquoi  ?

Parce qu'il y a des gens pour qui le sourire est déjà le début de la frivolité. Je déteste ces pisse-vinaigre qui confondent le paraître avec l'être. Si nous faisons des travaux merveilleux, si nous prenons plaisir à notre travail, alors  je revendique que nous le fassions dans le rire, le sourire, la gaité, la jovialité, et  je déteste les visages en porte de prison,  les attitudes compassées de ceux qui se prennent au sérieux.
D'ailleurs l'expression est lâchée : se prendre sérieux ! Oui, bien sûr, il faut faire les choses sérieusement, mais pas se prendre sérieux. Il faut faire les choses avec soin, avec application mais quelle loi interdirait  de faire cela avec le sourire, en faisant des blagues, même avec de la gaudriole ?
Pour dire les choses plus crûment, je refuse absolument de m'ennuyer, d'être sérieux au sens d'ennuyeux, de compassé. D'ailleurs, ceux qui revendiquent ce sérieux de façade, ceux qui se prennent au sérieux, sont souvent des gens qui ont à vendre une attitude, qui cherchent du pouvoir, par exemple. Je déteste évidemment ce genres de personnages, et, à ce propos, je recommande cette phrase des Jésuites : il ne faut pas se comporter en tant que chrétien mais en chrétien.
Oui il faut être sérieux, c'est-à-dire faire des travaux bien faits, mais il ne faut pas prétendre être sérieux, car prétendre être sérieux, ce n'est pas précisément être sérieux, c'est juste le prétendre, c'est-à-dire se mettre un masque sur le visage, et, en réalité, mentir sur une façon d'être. Je préfère ceux qui sont sérieux à ceux qui paraissent sérieux, et, d'autre part, je préfère ceux qui sourient à ceux qui sont lugubres.

Tout cela étant dit, on se souvient que les phrases sur mes murs s'adressent  d'abord à moi : comment pourrais-je proposer de la sagesse aux  autres, alors qu'il m'en manque ? La phrase initiale est pour  moi, et pour moi seul : en aucun cas, je ne dois être lugubre. Il faut que j'offre à mes amis, à mes visiteurs, à mes collègues... un visage avenant, souriant... d'autant que je fais des choses passionnantes ! 

Comme je le disais, mon idéal dans la vie n'est pas la porte de prison, mais le sourire accueillant d'un ami.

samedi 9 avril 2016

Quelqu’un qui sait, c’est quelqu’un qui a appris.

Quelqu’un qui sait, c’est quelqu’un qui a appris. Cette déclaration provient d’un chimiste de l’Ecole polytechnique, Michel Fétizon, qui eut de nombreux élèves, et son idée me semble être quand même assez juste : comment saurions quelque chose si nous n’avons pas appris ?

La suite ici : http://www.agroparistech.fr/Quelqu-un-qui-sait-c-est-quelqu-un-qui-a-appris.html

Le moi est haïssable

Le moi est haïssable : pourquoi cette phrase sur les murs  de mon laboratoire ?

Parce que la science est un exercice de rigueur, mais aussi de créativité. Après que les phénomènes ont été caractérisés quantitativement, ce qui a produit des nombres, après que les nombres ont été réunis en lois, vient l'étape inductive de la recherche des mécanismes fondés sur ces lois. Induction : cela signifie qu'il faut faire un effort merveilleux d'introduire quelque chose de nouveau dans l'affaire. La déduction ne suffit pas, elle n'est pas créatrice.

Or qui dit "création" dit aussi créateur, et, souvent, ego : il faut  peut-être des individus suffisamment sûrs d'eux pour oser proposer quelque chose qui n'existait pas, comme les artistes ! Et la présence de personnalités puissantes dans la communauté complique évidemment la vie de ladite communauté, scientifique, donc. Dans un autre billet, j'ai discuté la question des controverses, qui est tout à fait liée à celle ci. Le moi est haïssable : la phrase est de Blaise Pascal, qui l'a dite dans le contexte de la religion. Évidemment, que vaut  notre petit moi face à Dieu ? La religion prône  l'humilité, de sorte qu'il n'est pas étonnant que Blaise Pascal ait prononcé la phrase.

Toutefois, en science de la nature, il est vrai que si notre moi est important, pour parvenir à proposer des mécanismes, des théories, ce moi est bien détestable quand vient l'évaluation des théories proposées,  car nous ne pouvons nous substituer à la nature, et les  théories en concurrence sont in fine jugées à l'aune de leur adéquation au réel, à leur bonne ou meilleure description des phénomènes.

Là, on se fiche de qui a produit ces théories, et c'est en se sens que le moi est  haïssable, dans la mesure où il entraverait nos progrès vers la recherche non pas de la vérité, mais vers la recherche de théories sans cesse meilleures.

mercredi 6 avril 2016

Comme le poète, le physico-chimiste doit être maître des métaphores

La métaphore ? Elle est essentielle en littérature, et l'on ne saurait donner meilleur conseil que de lire ou de relire le  merveilleux Traité des littératures médiévales germaniques de l'écrivain argentin Jorge Luis Borges, pour  bien comprendre, comment, avec le rythme, les métaphores sont le socle de la poésie. 
Toutefois la question posée ici est plutôt de savoir pourquoi les métaphores sont également essentielles pour la recherche scientifique.

On ne répétera jamais assez que les sciences de la nature explorent les phénomènes par des mesures quantitatives, avant de regrouper ces mesures en lois, à partir desquelles on cherche des mécanismes quantitativement compatibles avec les lois trouvées.
Ces mécanismes, ce sont des descriptions des équations par des mots. Par exemple,  quand le physicien observe un faisceau cathodique dévié par un aimant, il commence par calculer la déviation, puis il observe la forme analytique de la trajectoire des électrons, et il en vient finalement à dire que les électrodes du système (une ampoule en verre scellé où l'on a fait le vide et entre les extrémités desquelles ont a placé des morceau de métal) sont due à des électrons qui se propagent, tels de petites billes, de petits boulets de canon, avec une force qui agit sur eux par une force analogue à celle qui avait été vue pour  des aimants macroscopiques. Une autre description théorique consiste à voir, dans les particules subatomiques, des ondes : les électrons se comportent comme des vagues, comme des rides à la surface de l'eau.
"Tel", "comme"… : on est là dans la métaphore, et c'est d'ailleurs la raison pour laquelle la mécanique quantique a paru  initialement bien étrange. Les particules étaient-elles des ondes ou de petites billes ? Il a fallu d'autres métaphores pour comprendre : par exemple, un verre cylindrique regardé par la tranche apparaît sous la forme d'un rectangle, alors que, regardé par son axe, il apparaît comme un  disque.
"Sous la forme", "comme"… On est dans la métaphore   Pour comprendre, nous avons besoin de ces métaphores, qui, en quelque sorte sont l'expression sensible des équations qui constituent nos théories.
Les mots et les métaphore sont la possibilité de discuter les mécanismes des phénomènes. Or la science introduit de nouveaux mots, quand ceux que l'on avait ne suffisaient pas. Par exemple, le physico-chimiste  anglais Michael Faraday obtint un résidu incolore et odorant quand il distilla la houille, et il nomma benzène ce produit qui était alors inconnu. Par exemple, la découverte de l'électricité imposa une foule de nouveaux mots pour décrire les particularités du  monde que l'on ne connaissait pas : électrode, cathode, anode, électrolyse. Plus récemment, les physiciens des particules ont dû inventer des mots : bosons, quarks, hadrons...
Et voilà pourquoi le grand Antoine Laurent de Lavoisier avait bien raison de dire que l'on ne peut  améliorer la science sans améliorer le langage et vice versa. Le langage, c'est les mots, qui peuvent déjà être des métaphores, notamment quand ils sont  des onomatopées, mais ce sont aussi des métaphores plus explicites : les électrons sont comme des boulets de canon. On le voit, finalement, si la science fait usage des mots, et pas seulement des équations, alors son usage doit être aussi parfait que possible, de sorte que le scientifique n'est pas loin du poète.

lundi 4 avril 2016

Chercher des cercles vertueux.

On connaît les cercles vicieux, ceux qui conduisent au pire, mais on connaît moins des  cercles vertueux, qui conduisent sans cesse au meilleur.

Dans la construction de nos études, de nos groupes de recherche, de nos laboratoire, la question de l’amélioration est sans cesse posée. Il est question de qualité, et cette dernière ne s'obtient qu'au prix d'un travail soigneux.
Dans la mesure où les structures et les  méthodes nous portent, nous épaulent quotidiennement, nous mettent sur un bon chemin, il importe que ce dernier soit intelligemment construit.
La métaphore peut se poursuivre : dans la  mesure où c'est l'homme  qui fait les chemins, à nous d'imaginer des chemins qui nous mènent convenablement au but qui nous nous sommes fixés. Pour la recherche scientifique, le but est clair : il s'agit de reculer les limites de l'inconnu, d'agrandir le royaume du connu.

 Que sont les cercles vertueux, dans cette recherche ?