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vendredi 25 septembre 2020

Une question de communication scientifique est-elle en réalité une question scientifique ?

science/études/cuisine/politique/émerveillement/gratitude

 

 

1. Pour la communication, en général, il est clair que le "contraste" est essentiel : une musique jouée sans variations d'intensité n'est pas belle, et il suffit d'écouter les meilleurs des musiciens pour comprendre qu'il faut de la variété. Le violoniste Pablo Casals, par exemple, expliquant bien que les phrases musicales comprenant un passage dans les aigus devraient être comme des arc-en-ciel, avec un son dont l'intensité augmente dans les aigus, et diminue en redescendant vers les graves.  De même, une peinture sans variation ennuie, et même Pierre Soulages, qui "broie du noir", donne des variations, de teinte, de reflets, d'épaisseur... En peinture, il faut aussi  des contrastes... sauf à jouer de l'absence de ces derniers. Et une littérature sans événements ennuie, un discours monocorde endort... Il faut des alternances, des variations, du contraste ! Qu'il s'agisse de ce qui est narré, ou de la façon de dire les choses.  
 
2. Bref, quand on expose un travail, il semble essentiel d'alterner des phases calmes et des phases plus "excitées", d'alterner une exposition à voix douce ou à voix plus forte.

3. Mais pourquoi parler de contraste alors qu'il est question de sciences de la nature ? Parce que je sors d'une n-ième relecture de la vie de Michael Faraday, et que je vois, une fois de plus, combien il avait compris qu'il fallait rendre les choses vivantes,  quand il mit au point les Friday Evening Lectures, ces conférences du vendredi soir qui avaient été imaginées pour renflouer les caisses alors vides de la Royal Institution of London : en donnant au monde "civil" (industrie, artisanat) des connaissances applicables en pratique, il attirait les industriels à   à un club  (la cotisation servant à faire fonctionner l'institution.

4. Cela étant pesé, au delà de l'ennui que l'on a à assister à une conférence monocorde, y a-t-il des conséquences non plus de communication, mais de contenu ? de science ? Est-il vrai, comme je le pense sans analyse, que l'arc en ciel de la communication a une influence sur le travail scientifique lui-même?

5. Il y a certainement des scientifiques qui ont un "style", mais pas un style au sens de la façon de vivre. Bien plutôt un "style de faire de la science". Pierre Gilles de Gennes, par exemple, était très idiosyncratique, et c'est ce que le comité Nobel a bien reconnu, quand il lui a attribué le prix. De même, Jean-Marie Lehn a clairement un style.

Quel est ton style, en sciences ?

vendredi 22 février 2019

Quelle différence entre la netteté et la pureté du style ?

Quelle différence entre la netteté et la pureté du style ?

Il y a des questions comme des torchons rouges :  quand une matière nous intéresse, alors nous ne pouvons nous empêcher d'aller y voir de plus près. Et il est vrai que la question du style me passionne, car le style, la langue, c'est la pensée, et celle-ci doit être affûté pour que la science soit belle.
Quelle est la différence entre la pureté et la netteté du style ? Le risque, c'est de se hâter d'aller chercher la définition des mots "net" et "pur" dans un dictionnaire, puis de se lancer dans discussion un peu naïve, qui s'apparenterait quand même à compter les anges sur la tête d'une épingle, tant il y a de parenté entre les deux mots, et tant nous risquons d'y mettre nos idées personnelles.
Mais nous devons nous retenir. Je rappelle ici cette expérience que je fais souvent, qui consiste à tendre un stylo à quelqu'un qu'on ne connaît pas... et l'on voit immédiatement la personne prendre l'objet. Pourquoi ? Sans doute pour des raisons biologiques profondes, mais c'est la preuve que lui-même n'a pas dépassé l'animal.







Revenons donc à notre question : la première chose que je conclus, c'est que je ne dois pas y répondre. Pour autant la question est passionnante mais à condition que je sois conduit à faire quelque chose où je suis légitime. Et cela me ramène à la question du style en sciences. J'ai déjà évoqué dans un billet cette question intéressante, qui se rapproche de l'observation de Buffon selon lequel le style c'est l'homme. Oui il y a des styles différents science et l'on voit tout aussi bien du romantisme que du baroque, ce qui conduit à s'interroger évidemment sur la stratégie scientifique et ses relations avec le style. Stratégie  : je renvoie à mon texte publié par  la Société irlandaise de chimie, où j'expose 12 idées stratégique en sciences.

Mais je reviens maintenant à la question de la netteté et de la pureté, et je fais une relation avec mes discussions sur le style baroque, à propos duquel je me demandais comme il  pouvait y avoir une beauté, alors qu'on était dans l'accumulation. Oui, de la beauté  ; oui, de l'élégance... Et pour en revenir à la recherche scientifique, il y a effectivement des expériences plus limpides que d'autres, plus coulantes, plus fluides. Il y a effectivement ce travail qui s'apparente à dégager l'or de sa gangue : chercher des expérimentations, des calculs très évidents, très clairs, très purs, très nets. Il y a un immense plaisir à se livrer à cette belle science là. On dit que Gauss, le prince des mathématiciens, ne publiait ses résultats que lorsqu'il avait trouvé une démonstration parfaitement claire, parfaitement simple, parfaitement nette, parfaitement pure. Je ne sais si c'est vrai, mais je suis bien certain qu'il y a de la beauté dans certains travaux scientifiques, de l'élégance, de la pureté, de la netteté, et je vois là dans ces qualités des objectifs que nous pourrons chercher à atteindre.

Et je veux conclure avec cette observation, faite déjà souvent, qui consiste à signaler que, dans notre groupe de recherche, nous remplaçons tout adjectif ou tout adverbe par la réponse à la question "combien ?". Net ? Combien ? Pur ? Combien ?

mercredi 4 avril 2018

Fait-on de la science différemment selon l'idée que l'on s'en fait ?

Pour différents scientifiques, il y a différentes idées de la science. Par exemple, les physiciens les plus classiques ne sont pas les chimistes :  dans le premier cas, on s'intéresse à des lois universelles, tandis que, dans l'autre, on examine les caractéristiques moléculaires des objets,  en y repérant une foule de règles moins générales, mais parfaitement fondées et qui, parfois, "expliquent" les grandes lois. Quant aux biologistes, ils font leurs études en se souvent que "tout ce qui se rapporte au vivant doit s'interpréter en termes d'évolution".

Ces perspectives différentes conduisent à des expérimentations différentes, à des travaux scientifiques de types différents. Dans le premier cas, puisque l'on ne s'intéresse pas aux détails des objets, il est évidemment inutile de les caractériser en détail, car sur quelles caractéristiques faire porter  les analyses ? En conséquence, les articles de physique ne comportent pas de longues sections de « Matériels et méthodes ». En revanche, dans le second cas, les parties de «Matériels et méthodes » sont parfaitement essentielles, car les caractéristiques déterminent absolument les objets que l'on étudie. Il y a d'ailleurs une boutade selon laquelle que les physiciens font des expériences très propres avec des matériaux très sales, tandis que les chimistes font des expériences très sales, avec des réactifs très propres ; et l'on ajoute alors « et les physico-chimistes ? ». Pour les biologistes, je connais moins, de sorte que je laisse mes amis se déclarer.
Mais la blague précédente, si son fond est juste, est fausse dans sa forme, car les chimistes sont des scientifiques comme les autres, pour qui la méthode est de (1) identifier un phénomène ; (2) le caractériser quantitativement ; (3) réunir les données en équations nommées "lois" ; (4) chercher des mécanismes (notions, concepts) compatibles quantitativement avec ces lois ; (5) chercher des conséquences testables des théories ainsi produites ; (6) tester les prévisions expérimentales.
Pour en revenir à notre discussion, il y a donc bien une différence de pratiques entre les deux groupes, et il y  aurait également des différences avec les géologues, les biologistes, etc. Mais il y a plus.

Pour certains, qui sont dans le camp de Carl Popper, la question centrale de la science est la réfutabilité des théories, et il y a une manière de faire, qui consiste à douter des lois que l'on produit soi-même. Pour d'autres, qui acceptent (je ne sais vraiment pas pourquoi) l'idée de « vérité scientifique », il y a une pratique scientifique bien différente, parce que comment, alors, penser que tout est faux ? Plus généralement, j'ai exposé dans mon Cours des gastronomie moléculaire N°1 diverses idées que les scientifiques se font des sciences de la nature. Et, par ailleurs, j'ai discuté les diverses stratégies scientifiques. Evidemment il y  une relation entre ces deux groupes : le cadrage de nos activités scientifiques dépend de la position épistémologique que nous adoptons.
Seulement, à titre d'exemple, citons cette « abstraire et généraliser », qui consiste à vouloir immédiatement chercher des caractéristiques générales, des catégories : là, on part d'un objet local, et on cherche ensuite à en retrouver les propriétés. C'est bien différent de cette stratégie qui veut découvrir des objets, et conduira à passer beaucoup de temps à mettre au point des outils d’analyse, qu'il s'agisse de microscopes ou de télescopes, ou encore d'autres outils qui révéleront des caractéristiques des objets du monde : leur spectre d’absorption lumineuse, leurs propriétés d'adhérence, leur tension de vapeur….


Finalement, en dépassant la question stratégique et en arrivant à la question de l'évaluation, on voit qu'il est bon d'arriver au point où nous nous plaçons en rapporteur de nous même, et de nous demander  non pas seulement quelle activité scientifique, ou quel type d'activités, nous avons, mais pourquoi nous avons ce type d'activités.
Il est tout à faire remarquable que ce genre de discussions n'apparaisse jamais dans les articles scientifiques qui sont publiés, comme si les chercheurs devaient se résoudre un peu honteusement à des travaux strictement « techniques ». Le chimiste Jean Jacques, qui a fait toute sa carrière ou presque au Collège de France, a publié quelques ouvrages de réflexion sur sa pratique scientifique. Il s’agissait de livres très personnels, où, d'ailleurs, Jean Jacques mettait au premier plan la « sérendipité », c'est-à-dire cette chance qui sourit aux esprits préparés, cette attentions aux aléas expérimentaux. J'ai un peur que cette emphase n'ait été qu'idiosyncratiques.

Et c'est assez éloigné de ce que je propose de faire. Par exemple, dans nos documents de cadrage des travaux scientifiques, nommés DSR, il y a très rapidement, après le titre, l'énoncé de la question étudiée, et, surtout, les raisons pour lesquelles on fait cette étude.
Evidemment, on évitera des réponses convenues, telles celle qui justifie une étude de la couleur des aliments par une phrase qui dirait que la couleur est un paramètre essentiel de l'appréciation desdits aliments, ou celle qui justifie une analyse d'oignons par une phrase qui fait état du fait que les oignons sont les tissus parmi les plus consommés de l'alimentation humaine. Ce sont en réalité là des explications de nature technologique et non pas scientifique, et il vaut bien mieux s'interroger pour véritablement répondre honnêtement, même si cela est très difficile, à la seule question que doive se poser un scientifique : comment la science progressera-t-elle éventuellement grâce aux études que je propose de faire ?

vendredi 1 décembre 2017

En matière de style (scientifique, littéraire, musical...), c'est très grand honneur de posséder un chant


C’est un très grand honneur de posséder un champ,

Soit riche, soit stérile, en plaine ou bien penchant,
Une part en tout cas de l’immense nature,
Le visible sommet de cette architecture
Qui descend par degrés dans la compacte nuit
De la masse terrestre où le songe la suit.
Le bord étroit d’un champ enferme un lac de sève,
Que le maître orgueilleux entend frémir en rêve,
Et dont les flots domptés, sans jamais sourdre ailleurs,
Lancent pour lui leurs jets de verdure et de fleurs.
Un champ, avec ses plis, sa pente, est une forme,
Long ouvrage sans fin de la durée énorme,
Où des forces sans nombre en d’innombrables jours
Lentement ébauchaient et changeaient les contours
Qui se sont fixés la dans leurs métamorphoses :
Oh ! comme tout est vaste, antique et plein de choses !
Un champ résume en lui la terre avec les cieux ;
C’est la nature libre aux sucs mystérieux,
Par ses seules vertus en ses oeuvres guidée,
Et cependant par nous surprise et possédée
Dans un lien où l’homme, être éphémère et vain,
S’unit quelques instans à l’infini divin. 

Charles de Pomairols

dimanche 14 mai 2017

Le style, en science


Dans le jury de ma thèse, dont j'étais moi-même le directeur (pas administrativement : ce n'était pas possible, et il a fallu un prête nom... qui fut mon ami Pierre Potier), il y avait des personnalités scientifiques remarquables : Jean-Marie Lehn, prix Nobel de chimie ; Pierre-Gilles de Gennes, prix Nobel de physique ; Nicholas Kurti ; Georges Bram  ; Pierre Potier, que j'ai déjà évoqué ; et d'autres qui ne sont pas moins que les premiers, mais qui sont moins utiles pour la discussion que je propose ici.
Jean-Marie Lehn : il suffit de lire ses publications pour voir une façon de faire très particulière, conceptuelle. Jean-Marie pense les objets, les abstrait, avant de les réaliser ou de les faire réaliser en laboratoire. Il y a de la règle formelle, dans sa manière.
Pierre-Gilles de Gennes : une discipline différente, certes, mais surtout une tout autre méthode, où l'ordre de grandeur est premier. Certes, des capacités de calcul étonnantes, appliquées à des données expérimentales très élégantes, une sorte de pureté du travail.
Pierre Potier ? Il a assez dit lui-même combien il était content d'être à la fois pharmacien et chimiste, capable de considérer le vivant pour en faire une chimie intelligente.
Georges Bram : sa chimie organique était nourrie de son amour de l'histoire de la chimie.
Nicholas Kurti : un physicien à l'ancienne, expérimental, mais avec un maniement du formalisme tout à fait dans l'idée de la physique que l'on m'a enseignée.

On le voit, des personnalités toutes différentes, qui avaient toutes un style particulier. Un style qui concernait aussi bien le choix des thèmes d'études, que des méthodes de travail, la pratique de la science...

Et si le succès scientifique était ainsi fondé sur la bonne définition du style en science ?