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vendredi 18 août 2023

Quel modèle avons-nous de la matière ?

 

J'ai récemment interrogé des amis à propos de la représentation mentale qu'ils se faisaient des atomes... et j'ai été surpris des réponses.

Comme je me doutais que la question était difficile, que je voulais être certain d'être bien compris en la posant,  j'ai fait aussi pratique et concret que possible  : la question que je posais à mes amis était la suivante  "Je verse du sel sur la table, on voit des petits grains blancs, j'en isole un. Quelle est sa structure interne ? Comment est-ce organisé à l'intérieur ?

La première personne à qui j'ai posé la question était un médecin et,  après des contorsions, cette personne  m'a avoué, un peu gênée, qu'elle ignorait absolument tout de cette structure interne. Elle m'a dit qu'il y avait des atomes, mais c'était tout.
Puis, quand j'ai repris la question avec un électricien et une infirmière, le mot atome n'a pas été prononcé, et la représentation mentale était analogue à une page blanche.

Cela fait des décennies que je le dis, mais le constat s'impose : le public ne sait rien de la constitution moléculaire et atomique de la matière. Nos vulgarisations scientifiques sont donc trop souvent des récits un peu poétiques, des histoires à endormir les enfants, mais pas véritablement des explications.

Qu'attendais-je comme réponse ? Dans le cas du sel, les cristaux sont comme des empilements réguliers de cubes, sauf que les cubes sont des atomes.
Sont-ils cubiques me demandent mes interlocuteurs ?  Non. Sont-ils des boules ? Non plus ; ce sont des objets dont la forme est compliquée à supposer qu'il y ait un sens à parler de la forme d'un atome. Evacuons la discussion, en revenant sur le fait que ces objets  sont empilés régulièrement dans les trois directions de l'espace.

Évidemment, les chimistes m'objecteront que les cristauxc de sel ce sont plutôt des empilements d'ions, et non pas d'atomes, mais je réponds que, pour la vulgarisation, c'est un détail très gênant, très inutile, et qu'il vaut bien mieux parler d'atomes sachant que les ions sont des atomes qui ont perdu ou gagné quelques  électrons, mais qui gardent essentiellement leur structure d'atomes.
Il y a également la question de l'empilement et, là,  on a peut-être intérêt à expliquer que ces cubes s'attirent comme des aimants. Bien sûr, je sais que les forces sont électriques et non pas magnétiques, mais je rappelle que nous devons partir d'une page blanche et qu'il sera bien temps, plus tard,  d'introduire des subtilités de ce type.

Ayant fait cette expérience à propos du sel, je l'ai répétée à propos de la vodka (la considérant comme une solution d'éthanol dans l'eau à 40 °).
Là,  le médecin a su me dire que qu'il y avait des molécules dans le liquide, mais sans pouvoir en dire plus sur la répartition des molécules d'éthanol et des molécules d'eau, ni sur leurs éventuels mouvements.
Pour les autres, c'était encore une page complètement blanche.

Comment on arrive t-on à une telle situation ? Le médecin m'a déclaré que sa compétence était tout autre, quelle était surtout de savoir approprier des traitements à des symptômes et à reconnaître des maladies particulières, compétences pour lesquelles la connaissance atomique ou  moléculaire du monde n'est jamais sollicitée.
Pour les autres, le monde où ils vivent n'effleure même pas la question posée ; ils sont dans un monde tout différent, sans intersection.

Ma conclusion et que nous devons absolument ne pas surestimer les connaissances de nos interlocuteurs quand nous expliquons des résultats scientifiques. Nos explications ne doivent jamais faire l'économie de bases qui nous semblent élémentaires !

dimanche 4 décembre 2022

Sel, chlorure de sodium : quelles différences ?

Ayant discuté d'ilchimisme dans des billets précédents, il me faut maintenant chercher des remèdes à cette insuffisance, et la première consiste à prendre toute occasion pour la combattre.

Aujourd'hui, considérons la différence entre le sodium, le chlorure de sodium et le sel.

Le sel, c'est le sel : connu depuis des temps immémoriaux, extrait de la mer par évaporation de l'eau ou récupéré dans des mines.

Dans le premier cas, c'est le sel de mer, et dans le second, c'est le sel gemme.

Le sel est salé, et quand il est pur, parfois un peu amer ; il se présente sous l'aspect de cristaux individuellement transparents, mais qui paraissent blanc quand leur facettes réfléchissent la lumière blanche du jour.
Et quand on met du sel dans l'eau, on obtient de l'eau salée.

De quoi ce sel est-il fait ? Si on le regarde  avec un microscope extraordinairement puissant, alors on voit que les cristaux de sel sont des empilements assez réguliers, comme des cubes empilés,  avec principalement deux sortes d'objets que l'on a nommés "atomes de chlore" et "atome de sodium". Ne nous effrayons pas, ce ne sont là que des mots, des noms arbitraires.

Mais précisons que, en réalité, dans un cristal de sel, les atomes de chlore et les atomes de sodium sont fortement liés les uns aux autres parce qu'ils ont échangé un tout petit objet nommé électron et que cet échange les conduit à s'attirer comme deux aimants.

Si l'on est plus précis, on dit que les atomes de sodium qui ont cédé un électron sont devenus des "ions sodium" (un autre nom),  et que les atomes de chlore qui ont gagné un électron sont devenus des "ions chlorure".
Mais c'est véritablement un détail du deuxième ordre.

Quelle est la différence entre le sel et cette matière que l'on nomme chlorure de sodium et qui est faite exclusivement d'ions chlorure et d'ions sodium ?

Tout tient dans les impuretés, car quand on part d'eau de mer pour produire du sel (de mer, donc), alors on récupère un sel qui est qui contient non seulement des atomes de chlore et des atomes de sodium, mais aussi tout une série d'autres atomes : iode, calcium, potassium, et cetera.

Le "chlorure de sodium", en revanche, c'est seulement des atomes de chlore et des atomes de sodium, tandis que le sel, c'est seulement principalement des atomes de chlore et des atomes sodium, mais aussi beaucoup d'autres atomes de types différents.

Le sel gemme non raffiné, aussi, n'est pas du chlorure de sodium : selon les mines, il se présente sous la forme de bloc blancs, un bruns grisâtres, ou bleus, ou roses, ou rouger,  selon qu'il contient des atomes de fer, de cuivre, et cetera.

Ne confondons donc pas le sel et le chlorure de sodium.


Et le sodium ?

Comme il est parfois  question due sodium indépendamment du sel  ou du chlorure de sodium, il faut maintenant expliquer que le sodium n'est pas le sel, comme on l'a compris à l'explication précédente puisque dans le sel il y a des atomes de chlore et des atomes de sodium.

Et ce n'est pas le sodium qui donne la saveur principalement salée du sel, mais les ions sodium.
Car le "sodium", c'est un élément, une catégorie abstraite de la chimie, alors qu'un ion sodium est un objet matériel.

En effet, les atomes qui font la matière de notre monde sont de différentes sortes :  la chimie en a découvert environ 200 sortes qui ont pour nom hydrogène, hélium, lithium, bore, carbone...

Ce sortes sont ce que l'on nomme des éléments, et un élément est donc une catégorie, une chose abstraite,  plutôt qu'un objet concret.

Ce qui est concret, c'est l'atome d'hydrogène, ou l'atome d'hélium, et cetera.

De sorte que quand on dit "le sodium", c'est la catégorie d'atomes de sodium que l'on considère, et non pas les atomes de sodium eux-mêmes.

De ce fait, il est juste de dire que les atomes de sodium donnent la sensation salée,  et il est donc inexact de dire que le sodium donne la sensation salée.

D'ailleurs, si l'on voulait être tout à fait précis, on dirait que ce sont les ions sodium qui donnent la sensation salée.

Là, je crois que j'ai fait le tour de cette question et je vois aussi que nous pourrons régulièrement donner des informations utiles pour que nos amis comprennent mieux le mot matériel où ils vivent.

mardi 7 juin 2022

Des différences de solubilité des différents sels


On m'interroge sur la solubilité des différents sels  : sels gemmes, sels de mer.

Le sel se présente généralement sous la forme de cristaux, dont j'ai dit dans un autre billet qu'il s'agissait principalement composés de cristaux de chlorure de sodium, avec éventuellement quelques impuretés qui peuvent être des atome de calcium, de fer, de cuivre, et cetera.

Ces impuretés sont en quantité bien inférieures à ce qui ferait changer la solubilité des cristaux, de sorte que nous pouvons considérer ici que ce sont seulement des cristaux de chlorure de  sodium.

Cela étant, les cristaux de chlorure de sodium peuvent différer beaucoup selon les conditions de leur production, comme on s'en aperçoit quand on chauffe de l'eau salée dans une casserole à grand feu, ou, au contraire, quand on fait évaporer l'eau très lentement : dans le premier cas, on obtient une myriade de tout petits cristaux, tandis que dans le second, on obtient de gros cristaux.

La taille ne fait pas tout, car il y a des formes de cristaux différentes.
Par exemple, les cristaux de sel de Maldon se présentent sous la forme de plaquettes. Les différentes fleur de sel ont des morphologies particulières. Et jusqu'au sel de Chypre, dont les cristaux sont de petites pyramides à base carrée, creuses et dorées.

Pour la solubilité, la question essentielle est la mise en contact de l'eau et des cristaux.

A masse donnée, plus les cristaux présentent de surface, plus il se dissolvent facilement.

Et c'est ainsi que des cristaux de sel glace se dissolvent quasi instantanément,  alors que du gros sel met plus longtemps à se dissoudre.

Le sel glace ? Vous l'obtiendrez en broyant du sel dans une poêle avec le fond d'une casserole qui écrasera les cristaux de sel.

Pour en terminer, la personne qui m'interroge à ce propos me demande : « le sel de mer absorbe-t-il moins les liquides ou au contraire plus ? »
Ce n'est pas la même chose que se dissoudre rapidement ou lentement, et le sel n'absorbe pas l'eau ;  en revanche, sa surface peut se lier à des molécules d'eau de l'atmosphère et former une saumure en surface des cristaux. Là encore, plus la surface exposée est grande et plus ce phénomène aura lieu. Autrement dit, un sel glace fera plus vite une saumure avec l'humidité de l'air que du gros sel.

mercredi 23 mars 2022

À propos de notre dernier séminaire de gastronomie moléculaire

 

Tous les mois depuis 21 ans,  nous nous réunissons pour expérimenter à propos de précisions culinaires, c'est-à-dire de trucs, astuces, tours de main, et, plus généralement, d'idées techniques qui s'ajoutent à la définition d'une recette, laquelle définition est le protocole minimum pour faire la recette.

Pour ce séminaire de mars 2022,  nous avons testé trois précisions culinaires :  à savoir que le cabillaud trempé dans l'eau salée avant la cuisson serait plus tendre que du filet non trempé,  que le cabillaud cuit dans de l'eau trop salée ne prendrait pas de sel en excès,  et que l'artichaut noircirait moins à la cuisson s'il était en présence de citron et d'huile d'olive.

Je passe sur les détails expérimentaux, évidemment importants, et donnés dans les comptes rendus mis en ligne, pour arriver aux résultats.

Pour la première précision culinaire testée, nous n'avons fait qu'une expérience, ce qui est insuffisant ;  mais, quand même, nous avons été surpris d'observer que le cabillaud qui avait été trempé dans de l'eau fortement salée pendant 40 minutes était plus tendre que le cabillaud qui avait pas été trempé.
Cela a été observé au cours d'un test triangulaire en aveugle, et tous les jurés ont été unanimes : la différence était flagrante.

Pour la deuxième précision, c'était plus facile, car il s'agissait simplement de mettre un filet de cabillaud dans de l'eau très fortement salée et de cuire.
La aussi, les résultats ont été très clairs : la partie externe du cabillaud était devenue extraordinairement salés, mais l'intérieur, il est vrai, était restée sans sel. C'est que nous avions poché le poisson, avec le mot pochage qui dit bien ce qu'il veut dire : faire une poche coagulée autour de la chair.
Mais quand même, ce filet de cabillaud était beaucoup trop salé au total.

Pour les artichauts, enfin, nous avons comparé quatre artichauts cuits dans l'eau : d'un même l'eau,  d'une même taille,  d'une origine commune. Ils étaient cuits ensemble, pendant le même temps, dans l'eau bouillante, dans la même quantité d'eau, dans les mêmes casseroles. Mais une casserole ne contenait que de l'eau, tandis que les autres contenaient soit du jus de citron (et les demi citrons pressés), soit dans de l'eau additionnée d'un demi litre d'huile d'olive, soit avec citrons et huile.
Le résultat nous a étonné : nous n'avons eu aucune différence de couleur,  ni sur l'extérieur, ni sur la partie comestible des feuilles,  ni sur le cœur après avoir ouvert les artichauts.

Et c'est ainsi que l'on a des idées techniques plus justes, en cuisine !

jeudi 24 septembre 2020

À propos de sel et de viande

science/études/cuisine/politique/émerveillement/gratitude

 

1. Il se dit mille choses, à propos de viandes, jusqu'à ceux qui, sans formation scientifique et n'ayant fait aucune étude scientifique des phénomènes, en donnent des "explications", en ligne, dans des revues, dans des livres... J'aimerais bien avoir leur certitudes, mais j'invite mes amis à se méfier quand ils entendent parler d'osmose, de réactions de Maillard, de choc thermique, et j'en passe et des meilleures.

2. L'osmose ? Si vous entendez dire que l'eau va du milieu le plus concentré au milieu le moins concentré, passez votre chemin. Les réactions de Maillard ? Là encore, si l'on vous dit qu'elles sont responsables du brunissement des viandes, c'est nul. Le choc thermique ? J'en ai déjà parlé mille fois dans ce blog, et, bien souvent, c'est du pur fantasme.

3. Bref, puisque l'on m'interroge à propose de saler la viande que l'on fait sauter (je rappelle que cela se fait dans une poêle, alors que poêler se fait dans un poêlon), je commence par rappeler que nous avons fait un séminaire de gastronomie moléculaire où nous avons vu s'affronter des professionnels : certains disaient que mettre le sel avant change la couleur (pas vu d'effet), d'autres disaient que saler après la cuisson permettait d'avoir une viande plus juteuse (pas vu d'effet), tandis que d'autres, encore, salaient en cours de cuisson... sans que l'on voit de différences avec les autres façons de saler.

4. Pour autant, il y a des phénomènes, qui doivent s'interpréter à partir de la connaissance de la structure des viandes... en commençant par rappeler que la viande est du tissu musculaire, fait de cellules allongées que l'on nomme des "fibres musculaires", lesquelles contiennent comme du blanc d'oeuf (de l'eau, des protéines), et qui sont groupées en faisceau par du "tissu collagénique" : un matériau qui limite les cellules, et les groupe en faisceaux, et les faisceaux en faisceaux de faisceaux.

5. Ce muscle est coupé... et il y a toute la différence du monde entre un découpe perpendiculaire aux fibres, et parallèles aux fibres : pensons à la différence entre une entrecôte et une bavette.

6. Et c'est en gros la quantité de tissu collagénique qui fait la dureté des viandes : quand il y a beaucoup de tissu collagénique, la viande est naturellement dure, et l'on préfère la braiser que la griller.

7. Mais, à propos de sauter les viandes, il faut bien garder en tête deux notions : la jutosité (combien il y a de jus) et la tendreté (combien la viande est tendre, molle en quelque sorte).

8. Quand on chauffe une telle viande, il y a des phénomènes divers, à commencer par des coagulations de protéines qui opacifient la viande, la perte d'oxygène qui change la couleur, la contraction du tissu collagénique qui comprime la viande comme une éponge et en expulse des jus, ou la dégradation du tissu collagénique qui attendrit la viande, ou encore le brunissement de surface, la formation d'une croûte (qui n'est en aucun cas imperméable).

9. Bref, mille phénomènes qui jouent différemment selon la façon particulière de chauffer.

10. Et c'est ainsi que l'on distingue assez justement la cuisson rapide, à haute température, et les cuissons lentes, à basse température.

11. A haute température, on chauffe surtout la surface, que l'on fait brunir ; la cuisson évapore l'eau de surface, et l'on s'arrête généralement avant que la texture de la viande soit homogène : le but est de produire un contraste, avec une partie centrale peut modifiée, qui conserve donc ses jus.

12. Pour la cuisson rapide, à haute température, il y a une contraction de la viande qui expulse les jus, d'où des bulles de vapeur au pied de la viande, des sifflements, de la fumée... Là, rien ne rentre et tout sort, de sorte que le sel ne peut en aucun cas venir à coeur.

13. En revanche, quand une viande sautée repose, elle se détend un peu, et peut absorber un peu de jus qui aurait été salé quand du jus exclu par la contraction se serait trouve au contact de sel, qui se serait donc dissous dans le jus.

14. Pour la cuisson à basse température, il y a deux façons de la faire :  courte ou longue.

15. Quand la cuisson est courte et que la température est basse, alors, surtout si le morceau de viande est épais, la température augmente légèrement de l'extérieur vers l'intérieur et, si on fixe une température de cuisson à 50 degrés par exemple avec quelques minutes, alors on obtiendra 50 degrés que sur une faible épaisseur et la viande sera quasi crue. Pas de risque microbiologique pour de la viande de boeuf, car c'est en surface que se trouvent des micro-organismes : si l'on a lavé la viande, ou si on l'a fait brunir avec un coup de gril ou de chalumeau, elle sera assainie.

16. Mais j'ai pris la précaution de parler de boeuf. Avec du porc, du sanglier, du cheval, il faut se méfier des parasites, et chauffer à plus haute température : on n'oublie pas que la cuisson sert (1) à assainir microbiologiquement, (2) à modifier la consistance pour rendre les denrées facilement consommables et assimilables, (3) enfin, et enfin seulement, à donner du goût.

17. Passons à la cuisson longue à basse température : le but est alors de dissoudre le tissu collagénique, pour attendrir la viande sans lui faire perdre sa jutosité.

18. Si maintenant on fixe une température de 60 degrés pendant plusieurs heures ou jours, alors la température sera de 60 degrés dans la totalité de la viande.

19. J'ai pris la précaution de parler de 60 degrés, parce que pour ces cuissons longues, il ne faut pas descendre trop bas en température, sans quoi on fait proliférer les micro-organismes, et l'on risque des accidents.

20. D'ailleurs, c'est une bonne pratique, quand on fait ce type de cuisson, de commencer par un brunissement à haute température, qui tue les micro-organismes ; puis on enferme la viande dans une cocotte ou dans une poche plastique, afin qu'elle ne soit pas recontaminée à l'air.

21. Et quand on cuit ainsi, à basse température pendant longtemps, le tissu collagénique est dégradé, et la viande s'attendrit merveilleusement : c'est la technique du braisage enfin maîtrisée par les thermostats modernes, qui évitent ce "coup de feu" qui ruinait tout.

22. Et là, la viande, qui est restée juteuse, devient tendre : tout bien, d'autant que cette viande à braiser est généralement bon marché.

23. Notons que, quand le tissu collagénique se défait, les fibres peuvent se séparer, et un liquide salé peut entrer à coeur par "capillarité".

vendredi 7 août 2020

Des questions de conservation


Conserver ?

Cela fut la grande préoccupation de l'humanité, avant la découverte de l'appertisation, des micro-organismes et du froid ! On n'a pas assez répété que nos saumons fumés, nos yaourts, nos fromages, nos vins, nos confitures... ne sont pas seulement des préparations délicieuses, mais des moyens de préserver, en prévision de disettes, des ingrédients soudainement abondants.
Que faire des haricots qui abondent, d'un coup ? Des conserves. Que faire des fruits qui font casser les branches des arbres ? Des confitures. Que faire du lait d'une traite, trop abondant pour être bu ? Du fromage. Et ainsi de suite.

Une idée simpliste, mais utile pour notre discussion : les aliments ne se conservent pas, parce que notre environnement (l'air) est plein de micro-organismes, lesquels sont des êtres vivants aux besoins analogues aux nôtres : il leur faut des températures modérées, de l'eau, des nutriments ; bref, tout ce que les ingrédients alimentaires classiques ont à leur surface. D'où des fermentations pas toujours bénéfiques : que l'on pense à ces Clostridium botulimum qui produisent la toxine botulique, mortelle !

Allons-y, en principe :

∘ Pour du yaourt, pas difficile : on ajoute des échantillons de deux micro-organismes, qui consomment lentement le lactose du lait (un sucre) et le transforment en acide lactique, qui fait "cailler", en un gel lisse qui est le yaourt. La recette est simplement d'ajouter au lait un peu de yaourt déjà fait, à du lait que l'on tiédit.

∘ Pour du fromage, pas difficile : on prend du lait, et on lui ajoute simplement de la présure, qui fait cailler ; on casse le caillé, on fait égoutter, et l'on récupère une matière sèchée que l'on peut saler, afin de guider des proliférations bactériennes utiles, comme pour le munster. Bien sûr, il y a mille variations... parfaitement décrites dans le livre du merveilleux et défunt Jean Froc, aux Editions Quae.

∘ Pour de la viande séchée, pas difficile : on passe au sel pendant plusieurs heures/jours, afin de faire croûter, le sel tirant l'eau (par le phénomène d'osmose) et imprégnant un peu la surface, puis on met dans un courant d'air, pour faire sécher : de la sorte, les micro-organismes manquent de cette eau dont ils ont besoin. Cela vaut pour les jambons ou les saucissons, mais aussi pour des pièces différentes. Et l'on garde cette idée forte : sans eau, la conservation se fait mieux.

∘ La conservation au sel ou en saumure ? Pas difficile : on met la viande ou le poisson dans du sel, lequel n'est pas un milieu favorable aux micro-organismes, dont il "tire" l'eau par osmose. Attention, je ne dis pas que des micro-organismes ne se multiplient pas dans la saumure, mais quand même, on a salé les jambons pendant des siècles : rappelons-nous l'histoire de Saint Nicolas et les trois petits enfants qui s'en allaient glaner aux champs.

∘ Tout comme le sucre ! D'ailleurs, le sucre est utilisé dans les hopitaux de campagne, directement déposé sur les plaies. Et cela engendre les fruits au sirop, mais aussi les confitures, et aussi quelques poissons : pensons aux gravlax, par exemple.
Tiens, j'y pense : ne manquez pas mon "truc" merveilleux pour bien doser le sirop des fruits au sirop ; cela est dans Mon histoire de cuisine (Editions Belin)

∘ Du sucre, on passe au miel, qui n'est en quelque sorte qu'une solution sucrée : on dit que le corps d'Alexandre le Grand fut rapporté à Alexandrie dans du miel.

∘ Et puisque nous avons évoqué sel et sucre, pensons fumage... qui sèche en même temps qu'il dépose des composés qui  bloquent la prolifération microbienne. Ne pas en abuser, toutefois, car à haute dose, ils sont cancérogènes : à preuve la plus grande incidence des cancers du tractus digestif dans les pays nordiques, qui mangent beaucoup de fumé.

∘ Le salpêtre : c'est une matière que l'on recueillait sur certains murs, afin de préparer de la poudre à canon. Il est utile dans des charcuteries, parce qu'il bloque certains micro-organismes tels que le Clostridium botulinum. Certains l'attaquent aujourd'hui, mais ont-ils raison ? A venir pour dans quelques semaines un rapport, qui explore la question, résultat de plusieurs auditions de spécialistes, scientifiques (différentes spécialités), technologues, techniciens. Sans parti pris politique !

∘ Le vinaigre ? Essentiel : j'ai ainsi dans mon garde-manger des cornichons, des mirabelles, des cerises et des quetsches au vinaigre. Indispensable pour un bon pot au feu à l'Alsacienne.
Une précision : dans mes quetsches au vinaigre, j'ajoute de la cannelle et du sucre.
Et pour les cornichons, il y a un "truc" pour les conserver croquants, à savoir les chauffer doucement dans le vinaigre, initialement, pour activer des enzymes végétales qui feront durcir.

∘ Mais on n'oublie pas que l'acide acétique du vinaigre vient de la fermentation de l'alcool éthylique (ou éthanol) du vin ! Et l'on conserve très bien dans l'eau-de-vie.

∘ L'appertisation : découverte par Nicolas Appert, elle permit de conserver des légumes... et, dans une exposition au Palais de la découverte, j'avais fait exposer des petits pois préparés par Appert  (c'était juste à la Révolution française).

∘ Et le froid : l'humanité a su conserver au froid quand elle en a disposé, mais faut-il vraiment faire un guide de l'utilisation des congélateurs.


En pratique ?

 Internet est plein de "recettes", de sorte que je ne vais quand même pas ajouter ma voix au concert... d'autant que c'est quand même simplissime.



Et l'intérêt  des conserves personnelles par rapport aux conserves industrielles ?

 Le mot "conserves" est ambigu, parce que toutes les préparations évoquées précédemment sont des "conserves", à défaut d'être de l'appertisation... qu'il faut quand même maîtriser correctement : j'ai déjà signalé le cas de tapenades artisanales qui avaient envoyé des clients à l'hôpital... et le fabricant inconscient en prison ! Mais pour des confitures, des quetsches, du saumon fumé,  de la viande séchée, et ainsi de suite, je préfère souvent les miennes !

dimanche 26 juillet 2020

Une solution qui bout


J'ai évoqué l'ébullition de l'eau, laquelle (l'eau, pas l'ébullition) est un composé pur, mais je n'ai pas considéré les solutions que sont l'eau salée ou l'eau sucrée.

Commençons par mettre du sel dans l'eau, et l'on voit la température descendre un peu, d'environ 1 degré : l'agitation de l'eau a diminué, parce qu'une partie de l'énergie de mouvement des molécules d'eau a été dépensée, pour séparer les atomes du sel.

Si l'on chauffe, la température augmente comme quand on chauffer de l'eau, mais cette fois, on peut  dépasser 100 °C, et atteindre une température légèrement supérieure de quelques degrés (deux ou trois), notamment quand la solution est saturée en sel.

En tout cas, ce n'est pas en mettant du sel dans l'eau que l'on obtiendra les  130 degrés qu'un cuisinier triplement étoilé a écrit que l'on atteindrait !

Bref, quelques degrés en plus de 100 °C, ce n'est pas grand-chose... mais évidemment on évitera de calibrer un thermomètre dans l'eau salée.

Bref une fois que cette température d'ébullition est atteinte, l'eau s'évapore régulièrement ,et rien ne change plus jusqu'au moment où la sursaturation apparaît, et où le sel se met à cristalliser, mais la température ne change pas.

Avec le sucre, c'est différent, car si le sel ne se dégrade pas la chaleur, le sucre lui, se transforme chimiquement : si l'on chauffe une solution d'eau sucrée, on voit  la température monter jusqu'à 100 degrés, mais avec l'évaporation de l'eau, on voit la température qui continue d'augmenter 102, 103, 104..  D'abord, a solution reste claire, mais la couleur peut changer (jaunir) tandis que l'apparence des bulles évolue.

La température augmente parce que la quantité d'eau diminue,  et l'on est moins dans une solution d'eau sucrée que dans un système nouveau avec des molécules d'eau et des molécules de saccharose (le sucre de table).

Le léger jaunissement que l'on observe est le signe d'une dégradation chimique des molécules de  saccharose, alors même que le saccharose se dissocie notamment en glucose et en fructose.






Puis, quand on atteint la température de 140 degrés environ,  la caramélisation a lieu. Cette fois, la dégradation est franche et elle correspond réaction très énergétique,  qui a été largement étudiée par notre collègue de Grenoble Jacques Defaye.

Mais je n'entre pas dans les détails,  puisque nous sommes ici dans un billet d'expérimentation. Et je me limite à dire ici que cette caramélisation est une réaction plus énergétique que ne le feraient des chimistes dans leurs laboratoires.

dimanche 14 juin 2020

Du sel à partir d'un acide et d'une base

Note importante : 
Quand nous expérimentons, prenons garde à ne pas nous empoisonner, car à plus ample informé, nous n'avons qu'une seule vie.Oui :
1. ne surtout jamais boire d'acide chlorhydrique concentré !!!!!!!!!!!!!!
2. idem pour la soude caustique
3. ne faire l'expérience de boire de l'eau salée éventuellement obtenue par neutralisation de l'acide chlorhydrique par la soude, ou inversement, que si l'on est parfaitement sûr de ce que l'on a fait, si les réactifs sont tous "food grade", c'est-à-dire de qualité alimentaire, et si l'on a contrôlé la neutralisation avec papier pH ou pH-mètre.
Bref, être prudent !



Disons-le d'emblée : de la soude caustique à de l'acide chlorhydrique, cela fait du sel. Oui du sel, comme le sel de cuisine, ce que les chimistes nomment du chlorure de sodium puisque ces cristaux que l'on manipule quotidiennement, blancs parce qu'ils sont très purs, contiennent quasi exclusivement deux types d'atomes qui sont nommés sodium et chlore.

Bien sûr il y a des subtilités, et notamment le fait que le sodium et le chlore sous sont sous la forme d'ions, ayant échangé un objet que l'on nomme un électron, mais ne nous encombrons pas de cela maintenant.

La soude caustique, ce sont souvent des paillettes ou des petits granules, qui sont composé de trois sortes d'atomes :  des atomes de sodium, des atomes d'oxygène et des atomes d'hydrogène.
Les atomes d'oxygène et d'hydrogène sont attachés ensemble par paires, avec un atome d'hydrogène et un atome d'oxygène, ce qui forme des assemblages nommés ions hydroxyde.

Et dans un cristal de soude caustique, les atomes de sodium et les assemblages hydrogène+oxygène s'empilent  régulièrement, en en alternance.

Quand on met de la soude caustique dans de l'eau, les molécules d'eau viennent cogner le cristal d'hydroxyde de sodium, le desorganisant,  et l'on se retrouve avec de l'eau, une masse de molécules grouillantes au milieu desquelles sont dispersés des ions sodium et des ions hydroxyde.

Pour l'acide chlorhydrique, c'est un peu la même chose. On pourrait partir de deux gaz, le dichlore et le dihydrogène. Si on les fait réagir, on obtient  un  gaz un nommé chlorure d'hydrogène : https://www.youtube.com/watch?v=YXsFjHK7fJ0
Les molécules de chlorure d'hydrogène sont faites d'un atome d'hydrogène et d'un atome de chlore. Là encore, il y a l'échange d'un électron entre ces deux types d'objets, mais peu importe.
Et quand on met ce gaz en présence d'eau, alors il se dissout immédiatement, et l'on récupère une solution acide nommée acide chlorhydrique.

Et nous arrivons au point que je visais : quand nous mélangeons les deux solutions de soude et d'acide chlorhydrique, il se passe   la chose suivante  : les ions hydroxydes venus de la soude se lient aux atomes d'hydrogène apportées par le chlorure d'hydrogène et ils forment ensemble des molécules d'eau, qui s'ajoute à l'eau.
Dans cette eau, on trouve aussi des atomes de sodium, et des atomes de chlore... de sorte que si l'on évapore l'eau, il reste... du chlorure de sodium. Oui, du sel, mais du sel parfaitement pur, bien plus pur que les sels de mer ou les sel gemmes !

Et pour finir :
Note importante : 
Quand nous expérimentons, prenons garde à ne pas nous empoisonner, car à plus ample informé, nous n'avons qu'une seule vie.Oui :
1. ne surtout jamais boire d'acide chlorhydrique concentré !!!!!!!!!!!!!!
2. idem pour la soude caustique
3. ne faire l'expérience de boire de l'eau salée éventuellement obtenue par neutralisation de l'acide chlorhydrique par la soude, ou inversement, que si l'on est parfaitement sûr de ce que l'on a fait, si les réactifs sont tous "food grade", c'est-à-dire de qualité alimentaire, et si l'on a contrôlé la neutralisation avec papier pH ou pH-mètre.
Bref, être prudent !





mercredi 10 juin 2020

Cristallisation


Dans la série des changements d'état, il y a le passage d'une solution à un solide,  la formation de cristaux, ou cristallisation.
Rien de plus simple que d'explorer d'abord ce phénomène avec de l'eau salée. On met de l'eau dans une casserole ou dans une poêle, on ajoute du sel, et l'on chauffe :  l'eau chauffe d'abord doucement, s'évapore progressivement, et le sel se concentre. Quand la  concentration en sel dépasse la saturation, soit environ  300 grammes de sel par litre, le sel précipite sous forme de cristaux.  C'est cela la cristallisation du sel.

Cette définition donnée, nous pouvons  maintenant entrer plus dans les détails. Ainsi, si le chauffage est très lent, de l'ordre de l'évaporation de la solution en plusieurs heures, alors on obtient de gros cristaux, de forme parfaitement régulière. Parfois, ces gros cristaux peuvent être des monocristaux, avec une forme très simple, aux faces toutes planes.
En revanche, si l'on chauffe bien plus énergiquement, alors on obtient une myriade de tout petits cristaux, et pas cette belle cristallisation que nous avions précédemment : les atomes de chlore et de sodium qui étaient dispersés dans l'eau (le sel de table, c'est un assemblage de ces deux types d'atomes) n'ont pas eu le temps de diffuser dans la solution pour aller s'empiler correctement sur les cristaux déjà formés, et la cristallisation s'est faite un peu n'importe comment, partout dans la casserole, avec des cristaux en concurrence les uns avec les autres.

samedi 25 janvier 2020

A propos de précisions indues


Dans un précédent billet, j'ai critiqué des indications culinaires telles que "0,222 gramme de sel".

Oui, cette indication est idiote, parce qu'elle est à la fois sans intérêt pratique, prétentieuse ou ignorante, et inutile.


Les explications

Sans intérêt pratique : personne, en cuisine, n'a de balance capable de peser cela, ce qui ne signifie pas seulement d'avoir l'outil, mais aussi avoir l'outil bien étalonné, bien utilisé, validé, etc. (ce n'est pas la peine d'avoir une voiture qui roule à 200 km/h si l'on est à 10 km/h sur une route de campagne défoncée).

Prétentieuse ou ignorante : afficher tant de chiffres, c'est -je le sais- une façon pour certains de prétendre qu'ils sont précis, "scientifiques", ce qui est d'ailleurs faux, et c'est "ignorant" (là, ce n'est pas une critique mais un fait), pour d'autres, parce que cela démontre une ignorance des règles de la pesée et de l'affichage : en substance, il existe une règle internationale de l'industrie, de la réglementation, de la science, qui est que l'on ne doit pas afficher plus de chiffres qu'on est capable d'en mesurer, et je suis bien sûr que les personnes qui ont communiqué ce nombre ne pouvaient pas le mesurer.

Enfin, la quantité de sel à utiliser dans une recette,  c'est une question de goût, et que, de ce fait, c'est inutile de donner une valeur qui doit, en réalité, être déterminée par ceux qui font la recette. 


On m'argumente que ce nombre est le produit d'une division, et il est vrai que si l'on avait, par exemple, 10 gramme de sel pour 3 kilogrammes de préparation finale, on obtient 10/3, soit 3,33333333.... grammes pour 1 kilogramme. Ou, de façon plus réaliste, 0,33333.... grammes pour 100 grammes. Et oui, si l'on arrondit à 0,3 grammes pour 100 grammes, alors on mettra moins de sel que prescrit si l'on fait la recette pour 700 grammes.
Mais :
- d'une part, c'est contre les règles internationales, un peu comme si l'on décidait de nommer chat un animal à quatre pattes qui aboie
- de toute façon, on se moque de la quantité exacte de sel d'autrui, comme indiqué
- surtout, la règle veut que, si on fait du 10 grammes pour 3 kilogrammes, on affiche 10 grammes pour 3 kilogrammes, quitte à dire que cela fait environ 0,3 grammes pour 100 grammes.

Et je ne saurais terminer ce billet sans rappeler que la cuisine, c'est de l'amour, de l'art, de la technique.

Et pas de la technique en premier ! D'ailleurs, citons ici mon ami Pierre Gagnaire qui explique bien que le sel n'est pas un "curseur" que l'on varie en plus ou en moins : il faut le voir comme un des instruments de l'orchestre, qui joue sa partie, originale, mais en accord avec les autres. Et on ne demande pas à Mozart d'ajouter ou de retrancher un violon de son oeuvre.

Ce qui conduit à observer que le livre où j'ai trouvé l'indication est encore plus bête et malfaisant que je ne pensais initialement. Il met les praticiens sur une mauvaise piste, les abaisse au lieu de les éclairer.



Allons, ne restons pas sur cette note négative, et levons les yeux pour voir le ciel bleu : oui, avec des explications, nous y arriverons, surtout si nous n'oublions pas que, la cuisine, c'est d'abord de l'amour !



vendredi 24 janvier 2020

Abandonnons le Guide culinaire à ses erreurs et à ses prétentions !


Je me suis souvent étonné que le Guide culinaire soit un si mauvais livre, signé par le seul Auguste Escoffier, après la première édition, alors que l'homme avait fait écrire des tas de gens : Philéas Gilbert, Emile Fetu, et bien d'autres.

Je me suis souvent étonné d'y voir tant d'erreurs : de la moutarde dans la mayonnaise, des confusions entre mousses et mousselines, des précisions indues (95 °C sans thermomètre, 0,222 grammes de sel*).

Bref, je n'aime pas ce livre, et je viens de trouver une nouvelle occasion de proposer qu'on le mette aux oubliettes de l'histoire, avec un bien mauvaise note. C'est à propos d'oeuf sur le plat.

Je lis :

Œufs sur le plat
Les œufs traités par ce mode de cuisson représentent une espèce particulière d’œufs poché, dont le juste à point de cuisson fait tout le mérite et leur apprêt s’équilibre sur ces trois points :
1-cuisson du blanc jusqu’au moment où il prend une teinte laiteuse ;
2-miroitement du jaune ;
3-soins attentifs, pour éviter que les œufs ne s’attachent au fond du plat.
La proportion établie pour ce genre d’œufs ; le sont uniformément pour 2 œufs. La quantité normale de beurre est de 15 g, dont moitié dans l’ustensile et l’autre moitié versée, fondue sur les jaunes. L’assaisonnement est de 32 centigrammes pour 2 œufs.


Tout d'abord, non, cela n'a rien à voir avec un oeuf poché, et, d'autre part, c'est une évidence que l'à point de cuisson soit essentiel.
Le blanc doit-il être laiteux ? Si on le veut ainsi ! Et si on le veut différemment, faisons différemment.
Les oeufs qui attachent ? Mouais... Ils attachent en réalité rarement quand la poêle est bien beurrée ou huilée.
D'ailleurs, 15 grammes de beurre ? Il noircit. De l'huile, plutôt, avec du beurre en fin de cuisson ? L'assaisonnement : il n'est pas dit que c'est du sel, mais on peut le supposer. Et... 32 centigrammes ? Prétention ! Prétention !  Et menteurs : je suis bien sûr que ce n'est pas 32 centigrammes qui était mis, mais 30, ou 35, ou 40... Et puis, cela dépend de ce que l'on aime !

Décidément, je préfère de loin la bonne Madame Saint Ange, ou
Jules Gouffé, dont voici la recette :

Étalez dans un plat de fer rond 25 g de beurre, 1 demi-pincée de sel et une prise de poivre. Cassez dessus 6 œufs toujours de première fraîcheur. Saupoudrez avec une demi-pincée de sel et 2 prises de poivre. Mettez-les au fourneau à feu doux. Couvrez avec le couvercle de tôle et feu dessous. Laissez cuire 4 minutes. Dès que le blanc est pris, servez.

C'est quand même mieux, non ?


* On me demande pourquoi je critique ces 0.222, et je vais m'en expliquer dans un billet à suivre rapidement  :
https://hervethis.blogspot.com/2020/01/a-propos-de-precisions-indues.html

jeudi 23 janvier 2020

Le sel, c'est quoi, au juste ?


La grande question du sel  : c'est quoi, le sel ?

En discutant avec des collègues moins chimistes que moi, je m'aperçois que les rapports entre sel, sodium chlorure de sodium, gros sel, sel fin, et caetera, méritent d'être éclaircis. Et, me remémorant des échanges avec des amis cuisiniers, il y a déjà quelques années, je crois qu'il est indispensable de bien présenter les choses.

Partons donc de la mer, l'océan, où il y a de l'eau qui a un goût salé.

On sait que quand on fait évaporer l'eau, il reste des petits solides assez blancs, qui, si on les regarde à la loupe, ont des faces planes.



Ces petits objets ne sont pas sphériques, pas entièrement irréguliers : non, il ont des facettes planes, même si chaque cristal a une forme particulière. La raison en est que, contrairement à du verre, par exemple,  ou à du sucre tiré, le sel présent dans l'eau de mer "cristallise". Il va falloir se demander ce que cela signifie vraiment, mais pour l'instant, savourons ces premières informations : l'eau de mer est faite d'eau qui peut s'évaporer, et de ces solives blanc qui restent solides, ne s'évaporent pas,  et qui forment ce que l'on nomme le sel de mer. D'ailleurs, j'ai dit que ces cristaux étaient blancs, mais le sel de mer non raffiné est souvent gris,  et il faut des redissolutions et recristallisations pour arriver, par une opération qui est la même que celle qu'on fait en laboratoire, à obtenir les cristaux blancs, parfaitement purs... Mais là encore, je vais un peu trop vite.

Prenons un de ces solides à la pince, et regardons-le au microscope : nous voyons alors que c'est en réalité un objet de transparent. Il n'apparaît blanc, quand la lumière et blanche, que parce que la lumière se réfléchit sur les facettes. Si la lumière est blanche, alors les reflets sont blancs et le cristal apparaît blanc. Mais si la lumière était rouge, les reflets seraient évidemment rouges, et le sel, les cristaux de sel apparaîtrait rouge.
Le sel, donc, est  un matériau transparent.



Imaginons que nous coupions un de ces cristaux en deux  : nous obtiendrions deux cristaux plus petits que le cristal initial. Coupons encore chaque cristal en deux, et en deux... Nous avons toujours des cristaux.
Mais nous poussions l'opération, nous arriverions à un moment  où  nous n'obtiendrions plus des cristaux, mais des très petits objets de deux sortes, que les chimistes ont nommé des "atomes de sodium" et des "atomes de chlore". Et ces atomes sont comme des boules vertes  et rouges, dont l'empilement régulier fait les cristaux. Bref, le sel est fait d'atomes de sodium et d'atome de chlore. On dit parfois que le sel est fait de sodium et de chlore, mais c'est déjà une façon jargonnante de parler.



En réalité, je n'ai pas dit que les atomes de sodium et les atomes de chlore s'attirent tels des aimants, mais je le dis. Et je propose de ne pas expliquer la différence entre des atomes et des ions, car les ions, ce sont seulement des atomes qui ont perdu une petite partie : l'ion sodium, c'est un atome de sodium qui a perdu un "électron". Et, d'ailleurs, l'ion chlore (on dit en réalité "ion chlorure", mais vraiment on entre dans des détails) a gagné un électron. Et cet échange est à l'origine de l'attraction entre les deux sortes d'atomes : j'ai parlé d'aimants, mais ce n'est pas ici une question de magnétisme, mais d'électricité. Mais, je le répète, je crois que ce sont là des subtilités sans intérêt à ce niveau de description.

Imaginons maintenant que nous mettions un cristal de sel dans de l'eau : on voit que ce cristal disparaît, après un certain moment, et l'eau devient salée. 

 On dit que le sel s'est dissout dans l'eau. Et le phénomène est simple. L'eau, tout d'abord, est faite d'une myriade de très petits objets tous identiques, que l'on a décidé de nommer des "molécules d'eau". Ces molécules sont en mouvement; de sorte que, quand on met le cristal dans l'eau, les molécules d'eau viennent bousculer les atomes de sodium et de chlore du sel, qui se dispersent alors au milieu des molécules d'eau.
Pourquoi l'eau où le sel est dissout est-elle salée ? Sur la langue, nous avons ce que on a des papilles, des groupes de cellules spécialisées dans la détection des composés sapides.  Ces cellules sont de petits sacs vivants, à la surface desquels il y a ce que l'on nomme des "récepteurs ". Or les atomes de sodium qui sont dans l'eau peuvent aller interagir avec ces récepteurs, comme des clés et des serrures : et quand des atomes de sodium interagissent ainsi, cela déclenche un courant électrique qui part vert le cerveau : c'est la détection de la saveur salée.

J'espère que, le tableau étant plus clair,  et nous pouvons tirer les conséquences de ce qui a été dit précédemment.

D'abord la différence entre gros sel et sel fin de. Tout simplement, il suffit d'observer que les cristaux obtenus par évaporation de l'eau de mer sont très variés : il y en a de gros, de petits, de moyens... Et il suffit de broyer les gros pour en obtenir de petits. Ou de tamiser avec des tamis aux trous de tailles décroissantes :on récupère d'abord les gros cristaux, puis les moyens, puis les petits... puis les très petits. On peut même, si l'on broie de petits cristaux, comme je l'ai proposé il y a quelque décennies, faire du "sel glace", comme du sucre glace, mais avec du sel : en pratique, il suffit de broyer longuement du sel dans une poêle, en l'écrasant avec une casserole  ! J'y pense : les gros cristaux c'est du gros sel, et les petits cristaux c'est du sel fin.
D'autre part, ajoutons aussi que la façon dont les cristaux se forment, lors de l'évaporation de l'eau (et de la cristallisation du sel) peut conduire à des cristaux différents : en pyramide creuse, en plaquette, en pyramide pleine à étages, etc. Par exemple, le sel de Maldon (en Angleterre), c'est du sel mais qui a cristallisé sous la forme de plaquettes et qui a un croustillant particulier, très appréciés de certains cuisiniers étoilés.
 Il y a aussi la question du sel iodé et du sel fluoré : pour des raisons sanitaires, on a considéré que le public manquait de ces éléments chimiques que sont l'iode et le fluor, et on les a ajoutés au sel, de sorte que, quand nous utilisons du sel, nous consommons ces deux éléments et nous n'en manquons pas.
D'ailleurs on peut ajouter bien d'autres éléments  tel le fer, pour faire de la couleur rose, le cuivre pour du bleu, et ainsi de suite... mais c'est toujours du sel, du chlorure de sodium,  avec quelques impuretés. Et c'est la raison pour laquelle il est vraiment extraordinaire,  exorbitant au sens littéral du terme,  de payer des fortunes pour du sel rose de l'Himalaya qui n'est autre autre chose que du sel ferrugineux.

Enfin, puisque nous sommes à des "impuretés, ajoutons que le "sel" de table, qu'il vienne de la mer ou de mines (d'anciens océans évaporés et recouverts", peut contenir d'autres atomes ou groupes d'atomes : du potassium, par exemple. Mais c'est toujours d'abord du sel.
Et puis, il faut terminer en ajoutant que l'on peut "fabriquer" du sel, en mélangeant de l'acide chlorhydrique et de la soude : oui, avec ceux produits extraordinairement corrosifs (qu'il ne faut surtout pas consommer !), on obtient du sel. Mais de l'acide sulfurique, on neutraliserait aussi la soude, pour former du sulfate de sodium. Ou avec de l'acide nitrique et de la potasse, on ferait ainsi, par "neutralisation", du nitrate de potassium. Et ainsi de suite : les produits finalement formés ont été nommés "des sels", par les chimistes. Et ces sels ne sont pas du chlorure de sodium. Le chlorure de sodium, ces cristaux formés de sodium et de chlore, ne sont qu'un sel parmi mille.

mardi 26 février 2019

Je vous présente le chlorure de sodium

Aujourd'hui, des amis m'interrogent à propos de chlorure de sodium. De quoi s'agit-il ?

Pour expliquer la chose, et pour expliquer pourquoi le chlorure de sodium n'est pas exactement le sel de table, il est bon de reprendre les choses d'un point de vue historique et technique.

Partons donc de la mer, qui est de l'eau salée. Si on évapore l'eau (dans une poêle ou dans un marais salants), on récupère des cristaux plus ou moins blancs, et que l'on a nommés cristaux de sel. On peut aussi extraire des cristaux de sel de mines, et c'est alors du "sel gemme".
Si l'on s'y prend bien, on peut recristallier ces matières et obtenir des cristaux très blancs, qui sont alors du chlorure de sodium quasiment pur. Cette fois, ces cristaux sont des assemblages  réguliers de deux types d'atomes : des atomes de sodium, et des atomes de chlore. Et comme ces atomes s'échangent des électrons, on les nomme des ions.

Mais le monde est imparfait, et quand on cristallise le sel à partir de la mer, les cristaux ne sont pas exclusivement composés d'atomes de chlore et de sodium. Il y a des atomes d'iode, de potassium, et plein d'autres ions que l'on pourrait nommer impuretés, non pas que ces atomes soit moins bien que ceux de chlore et sodium (il y a même de l'or, dans le lot), mais qu'il ne font pas partie du chlorure de sodium.
 Autrement dit, le sel marin stricto sensu n'est pas stricto sensu du chlorure de sodium puisqu'il contient des impuretés , et il en va de même pour le sel gemme. La différence n'est pas grande quand les sels sont raffinés mais elle peut le devenir pour le sel gris, pour le sel de mer non raffiné, et là, le contenu en ions autre que chlore et sodium peut-être important, ce qui explique d'ailleurs que le sel puisse parfois être non seulement salé, mais aussi un peu amer : les ions calcium confèrent une certaine amertume, quand ils sont abondants, ce qui doit nous conduire d'ailleurs à observer que notre appareil sensoriel détecte parfaitement ce calcium essentiel pour la constitution de notre organisme. La découverte n'est pas très ancienne, et elle préfigure sans doute d'autres découvertes du même type.

samedi 12 janvier 2019

Cuissons de viande (suite)

Dans la série des idées fausses qui traînent, on me signale celle-ci, selon laquelle, quand on sale une viande avant de la sauter, le sel mettrait entre 5 et 8 minutes à se dissoudre.
C'est faux, car le sel en présence de liquide commence  immédiatement à se dissoudre, à partir de la surface, progressivement.
Ce qui est en jeu, c'est la fin de la dissolution, la disparition du cristal de sel... et cela intervient après un temps qui dépend évidemment de la taille des cristaux. Par exemple, pour ce "sel glace" que j'avais inventé, la dissolution est quasi instantanée.


La pénétration du sel dans la viande ? Il n'y a pas de règle  générale, parce que tout dépend des viandes, et aussi de la découpe, avec les fibres parallèles ou perpendiculaires à la surface grillée. Il y a des viandes pour lesquelles le sel n'entre pas, même après plusieurs heures ou jours, et d'autre pour lesquelles le sel pénètre par capillarité entre les faisceaux de fibres musculaires (c'est surtout vrai pour les viandes très tendres, ou pour la chair de poisson, par exemple).


La meilleure solution, entre saler avant, après, pendant ? C'est celle que l'on préfère !
Je rappelle que l'art culinaire est de l'art : et le "meilleur", c'est celui que je préfère. Rien à voir avec la technique... surtout quand les conseils viennent d'incompétents.


J'entends parler de saler pour modifier la structure des protéines et éviter qu'elles se tordent à la cuisson en expulsant du jus : le collagène, qui sera désorganisé à la cuisson, se contracte en fonction de la température, et la perte en jus ne dépend pas de la viande, seulement, mais surtout de la température atteinte ! Et c'est la raison pour laquelle la cuisson à basse température donne des viandes si tendres et si juteuses : avec peu de contraction collagénique, il y a peu d'exclusion du jus.


Caramélisation et réactions de Maillard : quand une viande brunit, il n'y a pas de caramélisation, car cette réaction est un brunissement qui résulte de la désydratation intramoléculaire du saccharose, le sucre de table... qui est absent des viandes. Certains disent que le brunissement résulte de "réaction de Maillard", mais on doit parler au pluriel (les réactions de Maillard), d'une part, et, d'autre part, le brunissement des viandes grillées n'est pas un résultat de réactions de Maillard, mais  surtout de diverses pyrolyses ou thermolyses. Mais évidemment, dire "réactions de Maillard", ça impressionne (disons : il y a de l'imposture, parce que cela fait savant ; pensons : plusieurs syllabes !)


Et je m'arrête là, parce que l'éventail des élucubrations ou des inventions est infini. Ne lisons que les bons auteurs !



vendredi 11 janvier 2019

A propos de viande grillée

Un cousin m'interroge à propos de grillades, et il fait bien parce qu'il traîne, dans des livres ou sur internet, des idées complètement ahurissantes (et fausses !) , énoncées par des individus qui se font passer pour les spécialistes qu'ils ne sont pas : je rappelle que n'importe qui sachant écrire peut publier des livres, et que l'on a ainsi vu, par le passé le "baron Brisse" écrire des tissus d'âneries. Pas de raison que nous n'ayons pas l'équivalent aujourd'hui. 
Bref, voici le message :

Je te contacte pour savoir si tu as fait des expériences sur le salage et le "poivrage" des viandes (avant cuisson ou pas) ?
Il y a beaucoup de recettes qui circulent et il est difficile de faire sa religion.
J'ai pour habitude de saler les viandes à griller après la réaction de Maillard afin d'éviter avant cuisson la perte de jus et aussi pour ne pas faire brûler le sel. Un soi disant boucher m'affirme qu'il faut saler 24 h 00 avant si l'on veut que cela pénètre les fibres et que le sel puisse se dissoudre (ce qui se ferait  difficilement lors de la cuisson).


 Ma réponse est facile à faire, parce que j'ai étudié cette question il y a bien longtemps, et que nous en avons même fait plusieurs "séminaires de gastronomie moléculaire". Où, je le rappelle, nous faisons des expériences publiques, dont les résultats sont visibles par tous ! Enfin, j'ai fait état de résultats plus récents dans mon livre "Mon histoire de cuisine" (éditions Belin, Paris).





Lors du premier séminaire consacré à la question, il y avait donc des cuisiniers professionnels, et nous avons eu l'occasion de voir que toutes les "théories" étaient représentées : ceux qui salaient avant la cuisson, ceux qui salaient pendant et ceux qui salaient après. Evidemment, chaque école avait ses "raisons", mais personne n'avait fait de comparaison. La comparaison, c'est nous qui l'avons faite, et il n'y avait pas de différences.
On trouvera notamment cela exposé dans les comptes rendus des séminaires : 
http://www2.agroparistech.fr/-Le-Groupe-d-etude-des-precisions-.html

Tout cela étant dit, je signale que nous avons fait des expériences poussées, telle l'utilisation de microscopie électronique à balayage X, et nous n'avons pas vu de sel entrer dans les viandes, au cours d'une cuisson ordinaire où le sel est placé avant, que la viande soit de type entrecôte ou bavette (sens des fibres par rapport à la surface exposée à la chaleur).
D'autre part, j'ai fait des expériences de mesure de la masse sur des semaines.
Enfin, on verra dans le livre cité que le type de viande détermine le résultat.

A propos de "réactions de Maillard", maintenant : je crois qu'il serait temps de cesser d'évoquer ces réactions, qui existent bien, mais qui sont secondaires, quand même.
Le brunissement des viandes que l'on cuit résulte d'une foule de réactions, dont les réactions de Maillard -que j'ai popularisées- ne sont qu'un exemple... toujours cité par ceux qui n'en connaissent pas d'autres.
Mais que l'on pense surtout à la déshydratation intramoléculaire des hexoses et à mille autres pyrolyses ou thermolyses. Je signale, par exemple, que des protéines brunissent à la chaleur sans présence de sucres réducteurs (obligatoires pour les réactions de Maillard).

Et c'est pour cette raison que j'avais proposé, lors de la rénovation du CAP, que l'on parle de cuisson avec ou sans brunissement, proposition qui a  été retenue.

Brûler le sel : le sel ne brûle pas, et l'on aurait beau le chauffer dans une poêle chauffée au rouge qu'il resterait sous forme de sel. Certes, il perdrait son eau de cristallisation... mais la regagnerait aussitôt, au refroidissement. Pensons que le sel est le sel, et le reste lors des cuissons.


Bref, je suis heureux que mon cousin m'ait consulté  : cela me donne l'occasion, ici, de rectifier des erreurs qui ont trop souvent cours.
Et pour saler : quand on veut ! Pour poivrer : plutôt après la cuisson si l'on ne veut pas perdre les fraîches notes odorantes et piquantes du poivre.


mardi 4 décembre 2018

Du sel ou du jus de citron dans les blancs en neige ?

C'est amusant de voir comment, bien souvent, nous nous focalisons sur des détails, au lieu de considérer le "premier ordre", le plus important.
Ainsi, à propos de blanc que l'on bat en neige.

Un ami me demande si le sel ou le jus de citron sont utiles "pour le blanc en neige". Pour le blanc en neige : que veut-il dire ? Pour la bonne réalisation d'un blanc en neige ? Pour l'obtention de plus de mousse ? Pour la tenue ? Pour éviter le grainage ?

Renseignement pris, je m'aperçois qu'il n'avait guère d'idée claire, à ce propos, et il me répond "pour le volume". Là, je suis en mesure de lui dire que nos expériences n'ont pas montré de différence de volume, ni avec le sel ni avec le jus de citron... et pour cause : au premier ordre, la question de faire un blanc en neige revient à celle d'accumuler des bulles d'air dans un liquide. Le volume final est limité par la quantité d'eau présente... et c'est cette analyse qui m'a permis de battre le record du monde du plus gros volume de blanc en neige à partir d'un seul blanc, soit plus de 40 litres, parce que j'ajoutais de l'eau chaque fois que le blanc était bien ferme.
Avec le sel, la quantité d'eau ne change pas. Avec le jus de citron, elle ne change notablement que si l'on ajoute beaucoup de jus de citron. Dans les deux cas, on se moque en réalité un peu de l'état des protéines, car ce n'est pas le facteur limitant.

Mon ami, à cette réponse, change de questionnement, et m'interroge sur la tenue des blancs en neige. Et je lui demande pourquoi, sachant que la tenue est en réalité assez bonne. Il me cite alors la confection de meringues... mais il ignore alors l'expérience qui consiste à diviser un blanc en neige en deux moitiés, à ajouter du sucre dans une seule des moitiés, et à battre autant, à nouveau, les deux moitiés : on voit que les bulles du blanc sucré sont bien plus petites que les bulles de l'autre moitié, non sucrée, et donc la tenue est bien supérieure avec du sucre, sans qu'il soit besoin d'invoquer l'effet du sel, ou du jus de citron, ou du cuivre.

A nouveau, la leçon est : regardons les choses au premier ordre !

dimanche 25 novembre 2018

Le salage de l'eau de cuisson des lentilles

Une question m'est posée, ce soir, et, comme j'en ai pris l'habitude, je donne la réponse à tous.

D'abord la question :

Bonjour Monsieur,
Je vous ai posé récemment une question sur votre blog, en commentaire d’un article publié en décembre 2016 au sujet de la cuisson des lentilles.
Mais je ne vois pas ma question dans les commentaires. Du coup je ne sais pas si elle vous est parvenue et je me permets de vous la poser par e-mail.
Ma question concerne le salage de l’eau de cuisson pour les lentilles. On lit souvent qu’il ne faut pas saler l’eau de cuisson des lentilles, au risque qu’elles restent dures.
Or dans un article de son site https://www.seriouseats.com/2016/09/salt-beans-cooking-soaking-water-good-or-bad.html, Kenji Lopez démontre le contraire, expliquant que les ions sodium se substitueraient aux ions calcium et assoupliraient les pectines, ce qui non seulement permettrait à la peau de se détendre mais aussi éviterait que les lentilles n’éclatent.
Et par ailleurs, le salage de l’eau permet de le saler de l’intérieur, comme pour les pâtes ou les pommes de terre.
Cette explication vous paraît elle correcte, et valide-t-elle la pertinence de saler l’eau de cuisson des lentilles ?



Tout d'abord, je suis bien confus de ne pas avoir répondu... mais je n'ai pas vu ce commentaire. Le mieux, pour m'interroger : icmg@agroparistech.fr.

D'autre part, pour bien comprendre la question de la cuisson des légumes secs -et d'ailleurs des légumes en général-, il faut savoir que les végétaux sont composés de "cellules" (de petits sacs), qui sont cimentés les uns aux autres par des molécules de pectine, qui sont comme de longs fils entourés autours de piliers que sont les molécules de cellulose.
La cellulose ? Pensons à du coton hydrophile, ou à tous ces résidus solides qui restent dans les centrifugeuses, ou extracteurs à jus : ce sont des "fibres", non digestibles.
Les pectines ? Ce sont des molécules comme des fils, qui font prendre les confitures.
Cela étant posé, il faut encore savoir que la cuisson ne modifie pas les molécules de cellulose : et la meilleure preuve, c'est que nos chemises en coton subissent de nombreux cycles de lavage sans de dissoudre ! En revanche, les pectines sont dégradées, et, ne pouvant plus tenir les cellules entre elles, elles laissent le tissu végétal amolli.

Le sodium et le calcium, dans cette affaire ? Le calcium est un "ion" (pensons un atomes qui veut se lier à certains voisins) à deux "bras" : il peut ponter deux molécules de pectines, ce qui, d'une part, renforce le ciment intercellulaire, et, d'autre part, bloque la dégradation des pectines ! Voilà pourquoi il y a certaines eaux calcaires où les lentilles ne cuisent jamais !
Le sel ? Si le sel n'apportait que du sodium, tout irait bien... mais il y a sel et sel : par exemple, le sel gris contient parfois beaucoup de calcium (et même certains sels blancs).
De toute façon, rien ne vaut une pincée de bicarbonate, car ce dernier fait précipiter le calcium, laissant une eau à la fois adoucie et un peu basique : tout pour amollir. Et si le goût final vous déplait (avec une pincée, pas de risque), vous "neutralisez" avec un acide : vinaigre blanc, jus de citron, etc.

Enfin, le salage permet-il de saler l'intérieur des pâtes ou des pommes de terre ? Pour les pommes de terre, nous avions fait un séminaire sur la question, et nous n'avons pas vu de goût. Pour les pâtes, il faut bien y regarder, car l'étude n'est pas faite. Il faudrait cuire dans l'eau salée, puis rincer à l'eau pure, puis goûter... ou, mieux, analyser correctement.

Mais je ne veux pas terminer sans vous inviter à faire une expérience que j'ai faite pour la première fois (en conférence) en 1990 : on part de trois casseroles identiques, avec la même eau, en même quantité, et l'on ajoute : rien dans la première ; du vinaigre blanc dans la deuxième ; du bicarbonate dans la troisième. On met alors la même quantité de lentilles, pois, haricots secs... et l'on porte à ébullition simultanément.
De temps en temps, on goûte les lentilles dans l'eau pure : quand elles sont cuites, on regarde dans les deux autres casseroles. Les lentilles dans l'eau vinaigrées sont dures comme du bois, tandis que, avec le bicarbonate, on a une purée. J'adore ce type d'expérimentations qui parlent mieux qu'un long discours ! Comme disait Michael Faraday : ce n'est pas tout de comprendre les bons principes, il faut expérimenter !



mardi 2 janvier 2018

La mise à l'ébullition d'eau salée

Ce matin, un message :
Nous sommes un groupe de TPE qui travail sur un mythe urbain : "Le sel élève le point d’ébullition de l’eau". 
Ce qui implique que lorsqu'on fait chauffer de l'eau pour une cuisson il faut mettre le sel lorsque l'eau est chaude.
Nous avons fait des expériences en laboratoire pour tester plusieurs sels, plusieurs eaux et 2 quantités de sels.
 Nous avons aussi pu voir que les eaux sans sel atteignaient le point d'ébullition de l'eau plus rapidement que les eaux avec du sel de table. Donc cela confirme le mythe, sauf lorsque nous mettons une importante quantité de sel (8% contre 0,2%), Auriez vous une idée pour expliquer cela ?
L'eau de source, l'eau du robinet, l'eau déminéralisée et l'eau minérale sont les quatre eaux que nous avons étudiées. Pourquoi l'eau déminéralisée est-elle l'eau la moins efficace que les autres ? Et pourquoi l'eau de source est-elle la plus efficace ? Est-ce que les substances chimiques contenu dans l'eau du robinet ont des impacts sur le temps d'ébullition de l'eau ?
Le sel de table, le sel de Gérande et le sel noir d'Hawaï, le sel rose d'Himalaya et le sel bleu de Perse sont les sels que nous avons étudiés. Sont-ils tous des sels de mer ? Et y a t-il une différence entre le sel de mer et le sel gemme ? Nous avons pu constater que le sel noir d'Hawaï était le plus efficace lorsque l'eau contenait 0,2% de sel mais nous nous demandons pourquoi. Savez vous si le charbon a un impact sur l'ébullition ?


J'ai répondu à nos jeunes amis que leur résultat m'étonne... d'autant plus qu'ils donnent des valeurs sans indiquer d'incertitudes, de sorte que, sans doute, les répétitions n'ont pas été faites. 
D'autre part, j'avais moi-même fait les comparaisons expérimentales de façon TRES contrôlée, et je n'ai pas vu de différence significative : parfois, l'eau salée avant d'être chauffée mettait plus de temps à bouillir que l'eau chauffée  pure, puis additionnée de sel ; parfois, c'était l'inverse. 

Surtout, ces expériences méritent d'être faites de façon très contrôlée. Dans le message de nos jeunes amis, de nombreuses précisions manquent, car les biais sont possibles partout. 
Par exemple, ils ne signalent pas que l'ajout de sel diminue la température de l'eau, et que l'ajout de sel augmente la température d'ébullition. 

D'autre part, il faut comparer des choses comparables, et s'il est logique que de l'eau salée mette plus de temps à bouillir que de l'eau pure (il y a, dedans, la masse du sel, qu'il faut chauffer aussi), il vaut mieux comparer les deux cas suivants : 
- on prend une casserole, on y met une masse d'eau pesée (précision de la balance ?), puis on pose la casserole sur un dispositif de chauffage et l'on attend l'ébullition ; on ajoute le sel (ce qui fait tomber l'ébullition), puis on mesure le temps à partir duquel on a formé de l'eau salée bouillante
- on prend une casserole, on y met la même masse d'eau que précédemment, la même masse de sel que précédemment, on pose la casserole exactement au même endroit du système de chauffage (ou mieux, on ne bouge jamais la casserole, afin que le contact soit  le même), puis on attend l'ébullition. 
Bref, le résultat de nos jeunes amis est douteux, d'autant que, pour comparer des expériences répétées, il faudra avoir donné une moyenne et un écart-type, et avoir comparé les résultats par un test statistique (ANOVA, Student...). 


Plus généralement, on voit bien, ici, la nécessité d'une description très détailles des matériels et des méthodes. Une "expérience de laboratoire", ce n'est pas le fait qu'elle soit faite dans un laboratoire : il faut surtout qu'elle soit faite sans biais ! 
Enfin, pour le sel  noir de Hawai, je ne suis certain qu'ilest noirci par du charbon. Les sites qui décrivent ce sel évoquent aussi des laves, ce qui me semble plus plausible.



















Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)

mardi 28 juin 2016

On nous prend vraiment pour des imbéciles ; est-ce de la malhonnêté ou de la bêtise ?

Sur twitter, un correspondant avait posté l'image suivante :

Cela semble anodin : du sel... Mais chaque mot de l'étiquette est idiot ou mensonger, ou tendancieux...

Allons-y lentement :

"ingrédients" : je vois un "s", ce qui laisse penser qu'il y en a plusieurs ; or il n'y a que du sel. Donc le "s" était mensonger.

"Cristaux de sel de mer ramassés à la main" : c'est probablement mensonger, car il est peu probable que les ramasseurs se soient baissés pour prendre le sel dans leurs mains ; ils ont probablement pris des racloirs et des pelles.

"Sans OGM" : là, c'est à hurler de rire ! Les OGM, ce sont des "organismes génétiquement modifiés". Or le sel est minéral, pas vivant. Ne contenant pas de génome, de gènes, d'ADN ou d'ARN, il ne peut donc pas être modifié génétiquement. On nage donc dans le pléonasme (une évidence voulue) ou la périssologie (une évidence non voulue, donc une faute de pensée). Et puis, c'est quand même du marketing minable, non ?
Surtout, on prend tout ceux  qui savent que le sel, les cailloux, le sable, etc. sont des minéraux pour des imbéciles. Je propose que les indications du type "sans xxx" soient bien plus sévèrement réglementées qu'elles ne le sont ajourd'hui.

"Sans additifs artificiels" : stricto sensu, ce sel est artificiel, puisqu'il a été produit (c'est la définition du dictionnaire". Additif ? Il est vrai que le sucre glace, par exemple, est additionné de silice ou d'amidon, pour éviter qu'il ne fasse de blocs. Mais, là encore, pourquoi ajouterait-on des "conservateurs" à du sel... puisqu'il est lui-même un conservateur. Et puis, en quoi le statut du sel diffère-t-il réellement des additifs ?

"Produit en Afrique du Sud" : pas bien précis ; est-le pays  ?

"Ne pas moudre au dessus de la vapeur" : de quelle vapeur ? et pourquoi ?

"Bien refermer le couvercle après utilisation" : nos vendeurs ont-ils le sentiment idiot que le sel va s'évaporer (impossible) ?

Bref, soit nos vendeurs de sels sont idiots, soit ils sont tendancieux, soit ils nous prennent  pour des imbéciles. N'achetons pas leur sel !