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dimanche 6 août 2023

Une invention ancienne : les grahams (de l'huile gélifiée).


Nous sommes bien d'accord : la gastronomie moléculaire, activité scientifique (une discipline qui fait partie du champ des sciences de la nature) n'a pas pour objectif l'invention, mais la découverte. 

Toutefois les sciences de la nature ont des applications d'au moins deux types : techniques, et pédagogique. Les inventions relèvent semble-t-il (je deviens prudent, avec l'âge) du champ technique. 

Je m'aperçois, ainsi, que j'ai oublié de nommer une vieille invention, souvent décrite et enseignée aux cuisiniers : les "gels d'huile", ou "huiles gélifiées". Evidemment, avec de tels noms, c'est peu engageant, car qui voudrait manger de l'huile ? Notre mauvaise foi gourmande veut travestir la chose (alors que le chocolat, c'est en gros 50 pour cent de matière grasse et 50 pour cent de sucre, sans que cela gêne personne), et c'est facile : il suffit de donner un plus beau nom. Un "chevreul", puisqu'il est question de matière grasse et que le chimiste français Michel Eugène Chevreul découvrit la structure des triglycérides ? Le nom a été précédemment donné à des mets qui mettent en oeuvre la transposition du "contraste simultané" en cuisine. Un de gennes, puisque Pierre-Gilles de Gennes explora la physique de la matière molle, et notamment des gels ? Le nom a déjà été donné à des perles d'alginate. 

Alors pourquoi pas des "graham", puisque Thomas Graham introduisit le mot "colloïde" en 1861 ? 

Au fait, comment les préparer ? 

Il suffit de repenser aux "gibbs", que j'avais proposés il y a des décennies : ce sont des émulsions piégées dans des gels chimiques, que l'on obtient de la façon suivante : à de l'eau, on ajoute un composé tensioactif (par exemple, des protéines), puis on émulsionne de l'huile, ce qui produit une émulsion ; on chauffe, afin de coaguler les protéines, et l'on obtient les gibbs, du nom du physico-chimiste américain Josiah Willard Gibbs. 

Peu appétissant ? Imaginez que vous infusiez de la vanille dans l'eau, que vous la sucriez, et que votre huile soit une belle huile d'olive vierge : si vous produisez le met dans une jolie tasse, avec un objet un peu croustillant, bien doré, vous aurez un dessert remarquable. Ou si vous émulsionnez du chocolat fondu dans un blanc d'oeuf, avant de cuire votre émulsion, vous aurez un gibbs de chocolat délicieux (à servir chaud). Bref, plein de possibilités : je passe les gibbs au fromage, au fois gras, au beurre noisette...

 

Passons maintenant aux graham : c'est tout simple, puisqu'il s'agit de faire sécher les gibbs : si l'eau s'évapore, le réseau reste intouché, et l'huile demeure. Finalement, on récupère une huile dans un solide, un gel d'huile, un "graham". 

Quel goût lui donner ? Celui du chocolat ? Du foie gras ? De l'huile d'olive ? Du beurre noisette ? La question est artistique, de sorte que c'est aux artistes (les cuisiniers) de répondre !

mardi 12 décembre 2017

Un blanchiment en cuisine ? Une mousse, une émulsion, une suspension...

Une question m'arrive par courriel :


Bonjour,
J'ai toujours été passionnée par la cuisine, mais par dessus tout, j'aime comprendre comment fonctionnent les choses. J'ai beaucoup aimé votre livre Révélations Gastronomiques.
Cependant une question subsiste, et je ne parviens pas à trouver une réponse satisfaisante sur internet  : d'ou vient le changement d'aspect de la preparation lorsqu'on blanchit des oeufs avec du sucre ? J'ai beau savoir que cette technique n'apporte strictement rien à une recette, je me fais mal au bras a chaque fois juste pour admirer la transformation, et tenter de comprendre (en vain).
Auriez vous un ouvrage ou un site internet à me conseiller pour trouver des reponses?


 Et voici la réponse :


Merci pour votre message, et votre éloge de Révélations gastronomiques. Ce n'est pas mon préféré (celui que j'aime le plus, c'est Le terroir à toutes les sauces), mais quand même, je m'étais donné du mal.

Pour le changement d'aspect de la préparation, je vous propose de faire l'expérience de considérer un verre d'eau : c'est un liquide incolore, transparent.
Si vous faites tourner très rapidement un petit fouet dans le verre, vous verrez que des bulles s'introduisent, et, si vous tournez assez rapidement, vous verrez apparaître une couleur blanche, alors que l'eau et l'air sont transparents. En réalité, la lumière du jour (blanche, en générale) pénètre sans modification notable dans l'eau (à part le fait d'être déviée), mais elle se réfléchit sur la surface des bulles, surface qui agit comme un miroir. D'ailleurs, ne voit-on pas le soleil se réfléchir à la surface de l'eau ?
Une bulle, un reflet (blanc, si la lumière est blanche). Deux bulles, deux reflets ; mille bulle, mille reflets...

Reprenez la même expérience avec un blanc d'oeuf (qui est transparent et jaune) : vous verrez qu'au début, il y a des bulles avec des reflets, et, progressivement, de plus en plus de bulles de plus en plus petites, avec des reflets sur chaque.

Tiens, un "exercice d'application", pour voir si j'ai été clair : quelle serait la couleur d'un blanc en neige éclairé en lumière bleue ? Réponse : bleue, parce que la lumière bleue serait réfléchie sur chaque bulle.
Un autre exercice plus difficile : que verrait-on au coeur d'un blanc en neige ?


Pour en revenir au blanchiment des jaunes avec le sucre, la couleur jaune s'éclaircit, parce que la préparation  foisonne, devient mousseuse. On ne voit pas les bulles, parce qu'elles sont trop petites, mais on voit les reflets blancs : blanc plus jaune, cela fait jaune clair, au lieu de jaune soutenu.
Voici une image :
Et ce n'est pas exact que le foisonnement n'apporte rien à la recette : dans les Séminaires de gastronomie moléculaire, vers 2001, nous avons organisé un test triangulaire pour comparer une crème anglaise avec et sans ruban... et la crème anglaise avec ruban était différente, gustativement.

Plus généralement, il y a une règle : chaque fois qu'une préparation culinaire qui est fouettée blanchit, c'est souvent qu'il y a mousse ou émulsion, ou, plus généralement, un système colloïdal. 







Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)