Affichage des articles dont le libellé est amour. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est amour. Afficher tous les articles

jeudi 3 février 2022

Apprendre à cuisiner

 
Je viens de comprendre qu'il y a lieu de mieux apprendre la cuisine que comme on le faisait par le passé,  et cela tient dans cette phrase : la cuisine, c'est la de technique, de l'art, de l'amour.

Je sais bien que le titre du livre que j'ai publié précédemment, c'est l'inverse : la cuisine c'est de l'amour, de l'art, de la technique. Mais quand même, on ne pourra rien exprimer artistiquement si l'on n'a pas la technique nécessaire pour le faire.

J'ai l'habitude de comparer la cuisine à la peinture, à la musique ou à la littérature : un peintre qui ne saurait pas éviter à la peinture de couler ne pourrait pas réaliser une toile ; un musicien qui ne saurait pas poser correctement les doigts sur le piano ne pourrait pas jouer une musique ; un écrivain qui ignorerait l'orthographe, la grammaire, la rhétorique ne pourrait pas produire une œuvre littéraire.
En cuisine, il en va de même et je crois que nous devrions séparer les différentes composantes quand nous découvrons une recette.

Par exemple, imaginons que vous nous voulions faire des pâtes aux couteaux.
Bien sûr, il peut y avoir un protocole que l'on suivrait machinalement, mais c'est quand même mieux de bien comprendre que les couteaux restent tendres quand ils sont cuits 5 minutes seulement dans un four, auquel cas ils s'ouvrent spontanément. Pour les pâtes, il y a lieu de comprendre qu'il suffit d'une dizaine de minutes de cuisson dans une grande quantité d'eau salée pour qu'elles restent al dente.

Là, on a un bon début. Mais on n'a pas réglé la question du goût,  et cette question du goût nous imposera peut-être d'utiliser des oignons et de l'ail. Pour avoir un bon goût avec ces produits, on pourra par exemple considérer des questions techniques, à savoir que les oignons prennent une odeur envoûtante quand on les cuit, ou que le sel peut contribuer à changer leur couleur. Du point de vue technique, il faut de la matière grasse soit doucement chauffée. Si on veut un goût plus puissant, alors on pousse le feu et l'on obtient une couleur plus soutenu. Pour l'ail, il y a lieu de savoir que l'ail cru donne un goût bien différent de l'ail grillé, que l'on peut obtenir des pétales grillés en chauffant des lamelles d'air dans de l'huile jusqu'à ce qu'elles brunissent.

Mais le choix de la pratique est "artistique" : il faut avoir son idée du "bon".
Choisir de l'ail cru ou de l'ail grillé ? Un choix artistique. Apporter de la douceur ? Un choix artistique. L'apporter par l'oignon plutôt que par la tomate, ou bien l'inverse ? Un choix artistique.

Et là, il faudra de l'inventivité, car des pâtes à l'eau, c'est triste  : le goût se construit, et il est naïf de croire qu'il est donné par un ou deux ingrédients. Pensons à des pistaches, des raisins secs gonflés, des anchois, etc.

L'accumulation des ingrédients, toutefois, ne doit pas faire perdre la ligne artistique... qui doit donc être créée antérieurement. S'impose une volonté qui guide l'ensemble de nos choix.
Pour la musique, au lieu de mettre des notes au hasard, il faut donner une organisation musicale. Pour la cuisine  il en va de même : au lieu de mettre des goûts au hasard, il faut faire plus que se contenter de penser en termes de contraste, et il faut une raison pour employer un ingrédient plutôt qu'un autre.

On n'oubliera pas, enfin, que j'ai parlé d'amour, de lien social  : tout ce que nous préparons devrait être composé en vue du bonheur de nos amis.
Par exemple, faut-il mélanger tous les ingrédients ou, au contraire, les répartir de façon visible, afin qu'il constatent que nous avons fait quelque chose pour eux ? Ma réponse est surtout de ne pas choisir entre les deux options mais, au contraire, de les employer toutes les deux.
Par exemple, si l'on choisit de disperser les oignons brunis dans les pâtes, alors pourquoi ne pas aussi en faire un petit tas visible par-dessus, ou sur les bords ?
Par exemple, il n'est pas certain qu'il faille disperser les couteaux pour faire une masse indistincte, mais on pourra peut-être soit les aligner avec des spaghettis, soit les placer au-dessus des pâtes pour qu'ils soient bien visibles, et ainsi de suite.

L'organisation du plat est essentielle parce qu'elle dit beaucoup. Mon ami Pierre Gagnaire, par exemple, met souvent un chapeau par-dessus ses plats, quelque chose qui cache ce qu'il y a dessous, qui prépare une surprise. C'est plus délicat, évidemment,  que de montrer directement ce dont qu'il s'agit... mais je suis bien sûr que même Pierre ne proposerait pas de systématiser cette solution car précisément la variété s'impose aussi.
L'art ne se réduit pas à les principes mécaniques.

Mais pour en revenir et conclure sur l'enseignement, j'observe que c'est bon de bien séparer les composantes de la cuisine, quand on apprend à la faire !

mercredi 17 novembre 2021

A propos d'amour



J'ai fait une erreur, à propos d'une cassolette de moules pour laquelle j'ai oublié que la cuisine, c'est d'abord de l'amour.

La question est la suivante : j'avais donc des moules, que j'ai cuites avec vin blanc, ail et oignon, avant de les décortiquer. Et l'on voit bien donc là que je me suis préoccupé de mes convives puisque je leur ai évité de se salir les doigts.
Pour la sauce, j'avais sué de l'oignon et de la carotte dans du beurre, avant d'ajouter du vin blanc, un fond de volaille et de la crème, que j'avais fait un peu réduire.

Et c'est à ce moment-là, après l'assaisonnement, la rectification du goût du liquide, que j'ai eu l'idée de mixer  mon liquide contenant  la carotte et l'oignon.

Pas de problème technique pour cette opération, mais quand j'ai mis dans de jolis bols le liquide brûlant avec les moules, alors nous avions un sentiment un peu rustique, car il n'y avait pas la belle consistance lisse d'un consommé. Tout allait bien également du point de vue artistique, le goût y était, mais c'est la question de l'amour qui était mal réglée, car j'aurais bien mieux fait de passer mon liqude au chinois pour récupérer une préparation parfaitement lisse.

Oui, n'oublions pas que la cuisine,  c'est  de la technique, de l'art mais surtout de l'amour !

mardi 2 mars 2021

A propos des accords mets-vin



Ce soir, je reçois ce message :

Je travaille actuellement sur un sujet de science alimentaire sur les accords mets et vins.  
Je suis aujourd'hui en recherche d'informations scientifiques sur les accords mets et vins, à savoir quelles sont les composantes chimiques et/ou organoleptiques qui régissent ces accords ? Avez-vous déjà étudié ces relations, si oui auriez-vous des articles à me suggérer ?



Et ma réponse


Merci pour votre message amical.
La question est d'autant plus intéressante qu'elle est plombée par des gens (je connais au moins un sommelier dont les dents rayent le parquet)  qui disent n'importe quoi, parce que :
1. ils cherchent à paraître savants (ce qu'ils ne sont pas)
2. ils le font parce qu'ils vendent leurs compétences
3. ils ne "cadrent" pas bien la question.

Il faut commencer par observer que l'appréciation gustative (mets ou boissons, ou les deux) est d'abord une question sociale, ensuite une question artistique, et seulement enfin une question technique.
Par exemple, l'appréciation de l'amertume est une question de culture, ces saveurs étant rejetées par les jeunes enfants. Et c'est ainsi que certains en viendront à aimer le durian, et d'autres la boulette d'Avesnes.
Donc surtout pas ne pas mélanger les phénomènes physico-chimiques avec les questions du "j'aime" ou du "je n'aime pas". Et ne pas chercher du côté de la théorie du "food pairing", qui est très pourrie (à venir, dans le Handbook of molecular gastronomy, parution avril, un chapitre qui fait le constat de façon serrée, scientifique).

Ensuite il y a la question artistique : on aurait fait entendre du Debussy à Mozart qu'il serait sauté au plafond d'effroi. Là encore, une question difficile, culturelle... et qui était à l'origine de mon meilleur livre "La cuisine, c'est de l'amour, de l'art, de la technique", lequel est à ma connaissance le premier traité d'esthétique culinaire jamais publié.

Enfin, il y a la question technique, et là, il y a des faits :
- par exemple, la complexation des protéines salivaires par des tanins (seulement certains des polyphénols)
- par exemple, des phénomènes à base de pH
- par exemple, la force ionique qui provoque le relarguage des composés les plus hydrophobes
- par exemple...
Et c'est ainsi que j'avais fait une quotidienne sur ce thème, il y a plus de dix ans, sur France Inter, l'été, avec Philippe Faure Brac.

Cela étant, vous avez vu que j'ai mis le social et l'art avant la technique... car on a le droit d' aimer la sensation bizarre du bordeaux tannique avec de la salade bien vinaigrée (et je connais des gourmands qui l'aime).
Autrement dit, il n'est pas nécessaire de vouloir justifier des accords, mais, surtout, il y a lieu de bien séparer les faits et les interprétations. Ce qui signifie poser les faits physiologiques, biologiques, sociaux... et ne pas aller plus loin.
Tout cela, bien sûr, doit être fondé sur une bonne appréciation de ce qu'est le goût : saveur (un nombre infini de saveurs), odeur (ne parlez svp pas d'arôme mais de composés odorants), trigéminal, oléogustation, sensation du calcium, couleur, nom (pour les réflexes conditionnés type acidité, gras ou amidon), consistance, température, et autres.

Un point de méthode, maintenant : comment allez vous faire pour trouver les bonnes sources ? A la réflexion, je partirai de l'analyse de la question, avec (pour les professeurs qui en sont bien ignorants), un état de la perception sensorielle du goût ; puis un état des phénomènes connus sur des influences en bouche (température, pH, salinité, etc) ; puis un état des influences mutuelles ; puis une rechercher de l'évolution artistique de la question (un travail difficile, jamais fait), et enfin un état des effets sociaux (pour ce que l'on en sait, sans jamais dépasser les faits, et, surtout, sans vouloir des conclusions quie ne sont pas accessibles).

Pas opposé à vous aider à bien faire, car cela serait utile que quelqu'un pose tout ce que je vous ai dit par écrit.
bien à vous

dimanche 26 avril 2020

La justesse n'est pas un frein ; c'est un moteur !




1. Nous craignons parfois que la rigueur ne nous empêche de marcher, d'avancer, car nous craignons les pointilleux (en alsacien : Dieffalashiesser), les procrastinateurs...
Mais non, mille fois non : bien dosée, avec cette modération qui était considérée par les Grecs antiques comme la vertu suprême, la rigueur est ce qui nous permet de nous mouvoir avec aisance.

2. N'oublions pas Condillac, puis Antoine Laurent de Lavoisier, qui était tout imprégné des idées du premier : il a rénové la chimie avec la rénovation des termes (dois-je vous redonner son introduction, dans le Traité élémentaire de chimie ?) .

3. En réalité, ce mouvement est le mouvement tout entier des sciences (de la nature), et j'ai bien dû faire quelques billets de blog pour dire que, au contraire, tout cela, toute cette précision terminologique,  fait grandir. D'ailleurs, il y a une sorte d'évidence à cela : comment créer du neuf si l'on reste dans l'ancien ? Il faut introduire des mots pour désigner des objets nouveaux, et seuls des champs poussiéreux tourneront avec les mêmes termes. Les sciences de la nature sont tout entières dans des mots justes, et jamais des raccrocs.

4. Et la rigueur empêcherait-elle la gourmandise, d'autre part ? La question m'a été posée il y a des décennies, par une journaliste qui me demandait si je n'abattais pas la "poésie" de la cuisine avec la gastronomie moléculaire, la réfutation éventuelle des précisions culinaires.
A l'époque, j'avais trouvé du tac au tac une réponse que je ne renie pas aujourd'hui :  si je vais au clair de lune avec mon amoureuse, savoir pourquoi la lune brille n'empêche pas l'amour.

dimanche 19 janvier 2020

Les lasagnes ? Mais c'est très simple !



Je m'étonne encore d'avoir eu cette chance de "tomber" dans la gastronomie moléculaire le 16 mars 1980 : la raison en est que je suivais une recette. Oui je suivais une recette, alors que, aujourd'hui,  je ne comprends plus pourquoi j'avais besoin de suivre une recette pour une préparation aussi simple !  Certes, c'était une recette de soufflé au roquefort,  mais la compréhension de la préparation qu'est le soufflé permet de s'affranchir de la recette, que le soufflé soit au gruyère ou au roquefort... Après tout un soufflé, ce n'est quand même que du blanc d'oeuf battu en neige que l'on mélange à une préparation un peu pâteuse et que l'on cuit. La "préparation un peu pâteuse" peut être une sauce blanche où l'on a mis des jaunes d'oeufs (pour le goût flatteur) et du roquefort. Bien sûr, on peut ajouter une foule de détails, tels que battre les blancs très fermes, ajouter les jaunes dans la sauce refroidie, etc.,  mais ces détails sont les détails, et l'essentiel vient d'être dit. Bien sûr, beurrer et fariner le moule aide le soufflé à gonfler, mais c'est quand même complètement secondaire par rapport au fait de cuire par-dessous.
Et là, on voit les progrès de la gastronomie moléculaire, qui ont bien identifié que la question essentielle, c'était donc de cuire par-dessous, et non pas tellement de beurre le moule ou de battre les blancs en neige ferme.

Donc , finalement, oui je m'étonne d'avoir eu besoin de recette, mais il faut être juste : c'est tout le travail effectué depuis 1980 qui permet aujourd'hui d'en arriver là, d'être en capacité de raisonner au lieu de suivre des recettes.

La raison pour laquelle je raconte tout cela  ? C'est que, aujourd'hui, on m'interroge à propos de la confection des lasagnes. Or là, si on reste au principe, tout est absolument simple : des lasagnes, c'est un ensemble de feuilles de pâte alternées avec  de la viande hachée et une sauce, plus éventuellement du fromage pour gratiner.
La viande hachée ? Si j'ignore la tradition, alors je peux imaginer du bœuf, du porc, du poulet... Bien sûr, traditionnellement, on hachait les viandes dures pour pouvoir les consommer, mais  toutes les possibilités sont permises aujourd'hui. D'ailleurs, il y a la possibilité de griller la viande par avance, afin de la brunir et de lui donner du goût. Il y a aussi la possibilité de l'assaisonner, bien sûr.
La sauce ? On peut trouver tout : une sauce tomate, une béchamel... Au fond, il ne tient qu'à nous de décider du goût que l'on souhaite sans compter que l'assaisonnement est infini. On pourrait t'imaginer des dés de poivrons, de la chair broyée d'aubergine...

Finalement on empile les couches les unes après les autres, on met dans un plat et on cuit : y a-t-il plus pour réussir ce plat ? Techniquement non, mais on n'oubliera pas la règle essentielle de la cuisine, à savoir que c'est de l'amour, de l'art, de la technique. Pour la technique, nous en avons parlé. Pour l'art, c'est la combinaison des ingrédients et leur dosage qui fera la chose. Et pour l'amour, c'est non seulement le choix de certains ingrédients,  mais aussi leur organisation, l'aspect que l'on donne à voir et que l'on donne à manger. Il faut s'adapter à ceux qui aiment des pâtes un peu pâteuses où à ceux qui aiment des pâtes plus al dente..
Bref, c'est en nous préoccupant de nos amis que nous avons des chances d'arriver à leur dire "Je t'aime", par un plat qu'on leur sert !

lundi 2 décembre 2019

La cuisine note à note ne serait pas de l'art ? Discutons-en

Ce matin, un message très important, auquel je réponds ci-dessous, évidemment. Cela concerne la cuisine note à note, en particulier, mais l'art culinaire en général.

Mais d'abord la question :

Cher M. This,
Je viens de regarder votre vidéo sur les soufflés :
https://www.youtube.com/watch?v=v4lRGKRbcBY
C'est une remarquable leçon de chimie et de cuisine comme d'habitude.
Vous dites que vous avez mis tous les éléments nécessaires. Je pense que vous avez mis *presque* tous les éléments nécessaires. Car il manque l'imaginaire et l'affectivité. Un être humain ça se nourrit *aussi* d'imaginaire. Vous disiez récemment que le goût est un sens *synthétique*. Vous vouliez dire que le tact et la vue participent également au goût. J'ai trouvé la formule remarquable. Mais je crois qu'il faut aussi ajouter l'affectivité et l'imaginaire à cette synthèse. J'en veux pour preuve, je ne sais pas, disons Roland Barthes, les Mythologies, le steack-frites. Ou autre preuve : l'énergie
que le marketing met à faire croire à sa clientèle, grâce à des images trompeuses,  que ses produits sont traditionnels, campagnards.
Et ça une cuisine où on n'utilisera plus que les produits synthétisés par l'industrie, il y aura peut-être tout du point de vue des nutriments, ça pourra peut-être très inventif au niveau des goûts, des textures. Ca sera peut-être
même plus écologique comme vous le faites remarquer dans votre vidéo.
Mais pour l'imaginaire, c'est loupé d'avance.
La gastronomie moléculaire restait compatible avec l'imaginaire. Le note à note, non !
Comme on n'est jamais original, toujours typique, je pense qu'on vous a déjà tenu ce discours. Mais bon, je vous envoie quand même ce mail.
Je vous prie d'agréer, Monsieur, l'expression de mes sentiments les meilleurs.


Il faut que je réponde sur plusieurs points.


1. Tout d'abord en observant que mon interlocuteur as raison sur une partie de ses remarques, et cette partie correspond d'ailleurs à la teneur mon  livre La cuisine c'est de l'amour, de l'art, de la technique.

2. Ensuite en faisant observer que cette vidéo sert simplement à présenter la cuisine note à note et à montrer que techniquement, elle est d'une facilité enfantine.

3. D'autre part,  je tiens à signaler que, quand j'apparais en public, je prends bien soin de ne jamais dépasser mes compétences,  qui sont celles d'un physico-chimiste et non pas celles d'un cuisinier : je ne veux absolument pas paraître cuisinier  (même si je sais parfaitement cuisiner)et c'est seulement alors que je discute la question du bon. Mais j'observe aussi que mes capacités artistiques sont bien loin derrière celles de mon ami Pierre Gagnaire, de sorte que ce serait une prétention exagérée de prétendre "savoir cuisiner". Inversement, j'ai la prétention de mes compétences, qui sont celles de la physico-chimie.

4. Mais reprenons tout cela en commençant par discuter la question la cuisine note à note, dont il faut quand même savoir qu'elle se développe aujourd'hui dans le monde entier, de sorte que ce serait déjà un combat d'arrière garde que de "ne pas y croire".
Pour cette cuisine, la question est de faire en cuisine l'homologue de la musique de synthèse. En musique, il y a le timbre du violon, de la trompette, de la flûte... Les capacités techniques des instruments et des instrumentistes sont limitées : par exemple, une alternance do-mi-do-mi, à la flûte, se ferait par un mouvement des clés actionnées par les doigts, et le meilleur des flûtistes ne pourras pas dépasser une certaine fréquence, alors qu'un synthétiseur pourrait faire n'importe quelle fréquence, et faire aussi n'importe quel timbre !
Du point de vue technique, la musique de synthèse est bien plus puissante que la musique classique... mais si  la technique est essentielle (un musicien qui ferait des fausses notes ne serait pas grand chose), ce n'est qu'un pré-requis, et c'est l'art qui fait tout... l'intérêt de l'art.

5. En cuisine il y a donc d'abord la question du bon, et je répète que c'est le sujet que je traite dans l'un de mes livres que je considère comme un des meilleurs. Qu'est-ce que le bon, c'est-à-dire le beau à manger ? Pour mon livre,  j'ai convoqué non pas seulement Barthes (qui est évoqué),  mais l'ensemble des philosophes du beau, c'est-à-dire ceux qui sont intéressés à cette branche de la philosophie qui est nommée esthétique. Dans mon livre, j'ai pris les théories historiquement rangées, et j'ai cherché comment on pourrait transposer tout cela à la cuisine. Je n'ai pas omis, précisément, ce que j'avais appelé l'amour et qui, en dernière analyse, devrais plutôt être le lien social, pour des raisons que j'ai déjà discutées longuement ailleurs. Bref, la cuisine, c'est d'abord du lien social, ensuite de l'art, mais seulement enfin de la technique .

6. Pour en revenir à ma vidéo sur le site d'AgroParisTech, il n'y a effectivement que l'aspect technique qui est traité, ce qui a bien perçu mon interlocuteur. Et il n'y a que cela parce que je l'ai voulu ainsi, que j'ai voulu laisser aux artistes le soin de parler d'art, aux spécialistes du lien social le soin de parler de lien social.
On se rappelle cette phrase des Jésuites : "Il ne faut pas agir en tant que chrétien mais en chrétien", et, de fait, je n'agis pas en tant que chimiste mais en  chimiste :  ma vie, c'est la physico-chimie, disons les sciences de la nature pour simplifier, et ma compétence, j'espère, est cela :  de la physico-chimie. Pas de la cuisine, même si je connais celle-ci bien mieux que nombre de cuisiniers professionnels (savez-vous, comme moi, faire 24 litres de blanc en neige à partir d'un seul blanc d'oeuf ? savez-vous les trois règles du soufflé,  "selon Hervé This" (dixit Pierre Gagnaire) ? savez-vous la différence entre une mousse et une mousseline de poisson ? savez-vous ce qu'est vraiment qu'un croquet ? une galimafrée ? Et ainsi de suite : il y a la connaissance des objets, de l'histoire de l'art culinaire, de la technique, et bien des analyses.

7. Mais qu'importe mes travaux. Surtout, il faut revenir à la cuisine note à note : quand je la présente à mes "amis" (je nomme ainsi ceux qui me font la gentillesse de croire que je peux apporter quelque chose), je les invite à poursuivre mon travail. Il faudrait donc que cette vidéo soit assortie d'une vidéo d'un ami qui ferait les compléments artistiques et sociaux...
Et c'est pour cela que je suis très heureux de vous signaler l'organisation prochaine le Master Class "Science, Technique et Art culinaire", où de jeunes cuisiniers talentueux partiront de techniques que j'ai inventées, et réaliseront des mets qui seront discutés des trois points de vue donnés dans le titre de ces Master Class. Cela se tiendra une fois par trimestre à l'Ecole du Cordon Bleu,  à Paris, et ce sera filmé et podcasté. Là, j'espère que nous aurons alors répondu à mon interlocuteur.
Car oui, mille fois oui, il manque l'humain, à ma démonstration technique.

8. Une observation de détail, maintenant, à propos de la phrase "La gastronomie moléculaire restait compatible avec l'imaginaire. Le note à note, non !"
Là, mon interlocuteur confond la gastronomie moléculaire, qui est une science de la nature, une branche de la physico-chimie, et la "cuisine moléculaire", qui est cette technique déjà ancienne, de cuisine rénovée techniquement, par l'emploi de matériels modernes, souvent venus des laboratoires.
Oui, comme cela a été montré, la cuisine moléculaire était compatible avec l'imaginaire... mais la cuisine note à note aussi ! J'invite mon interlocuteur à considérer tous les mets notes à note réalisés lors des concours internationaux, ou par des chefs individuels : son assertion est réfutée.

J'observe d'ailleurs qu'il faut se méfier du "Ce n'est pas de l'art", comme l'avait très bien expliqué Anne Gauquelin dans son petit livre entièrement consacré à cette question. Cela m'a été opposé quand je proposais la cuisine moléculaire, et cela revient pour la cuisine note à note. Pour ceux qui sont intéressés, je répète que j'ai discuté cela dans mon livre




mardi 10 février 2015

Socialisante, la cuisine ?

La cuisine est-elle une activité socialisante ?
La réponse est oui... dans certaines circonstances. Par exemple, si je cuisine pour autrui, autrui me fait la confiance de me confier sa santé, sa vie même. La relation qui se crée est donc essentielle, et voilà pourquoi j'ai publié il y a longtemps un livre dont le titre est : la cuisine, c'est de l'amour, de l'art, de la technique.
L'amour, c'est exagéré, parce que certains cuisinent pour de l'argent, d'autres pour du pouvoir, et ainsi de suite.... mais il  y a toujours du lien social.
D'ailleurs, l'art lui-même a quelque chose de social, à moins qu'il ne soit comme de la cuisine que l'on ferait pour  soi-même.

Pour ceux qui ont peur, on observera que la socialisation de la cuisine intervient pour toutes les formes de cuisine, de la cuisine médiévale à la cuisine note à note, en passant par la nouvelle cuisine, la cuisine classique ou la cuisine note à note. On se souvient (voir  mon livre Mon histoire de cuisine) que j'ai proposé des moyens d'augmenter la socialité due à la cuisine, par des plats que l'on partage, au  lieu de conserver chacun pour soi sa portion.

Bref, la cuisine est une belle activité... quand elle est pratiquée avec socialité, art et technique, n'est-ce pas ? 

samedi 25 août 2012

Il y a avenir de la profession, d'une part, et la question du lien social, de l'autre

 Ce matin, un message amical qui, reconnaissant que j'ai par ailleurs écrit que la cuisine, c'est du lien social, de l'art, de la technique, me pose une question :

"Pouvez vous communiquer sur votre vision de l’avenir de l’artisanat dans nos métiers de bouche ?  Je n’ai pas toujours l’impression que notre société et vos travaux fassent  l’apanage du « lien social » ?!... (Rationalisation quand tu nous tiens, les normes étouffantes du matérialisme moderne…)
 Merci pour votre avis
Bien fraternellement à vous"

Il faut donc que je réponde... mais il y a là beaucoup de questions. 

Allons y doucement, en commençant par une histoire (vraie)  : lorsque nous avons rénové le référentiel du CAP cuisine (contre l'avis de tas de réactionnaires, mais c'est une autre histoire), nous avons dû discuter de façon très âpre, parce qu'une commission, ce n'est pas un groupe d'individus tous d'accord a priori. Il y a eu beaucoup de travail, de nombreuses séances, sous la houlette amicale de l'Inspection générale. D'ailleurs, je dois dire que j'ai été émerveillé de l'intérêt précis que tous les membres de la commission prenaient à cette rénovation, qui a permis de faire disparaître (notamment) des erreurs terribles telles que la "cuisson par concentration" et la "cuisson par expansion" (des erreurs qui s'étaient introduites dès 1901). 

Bref, tout allait bien, nous discutions âprement, mais civilement, et nous sommes arrivés à un consensus. Lors de la dernière séance, nous étions tous soulagés d'y être parvenu... quand je me suis "mal comporté" : j'ai annoncé que, puisque la cuisine, c'est de l'amour, de l'art, de la technique, il fallait maintenant tout remettre à plat pour rénover l'enseignement, et enseigner, dans l'ordre : 
1. l'amour (lien social)
2. l'art
3. la technique

Oui, on ne lève pas des filets de poisson si on n'a pas une idée de l'oeuvre envisagée, et, surtout, si on ne les lève pas pour quelqu'un en particulier. L'art ? Les oeufs et autres lapins en chocolat minables que l'on voit chez les pâtissiers au moment de Pâques montrent bien que la question artistique n'est pas résolue, et que son enseignement laisse à désirer. Le lien social ? On cuisine, mais pour qui ? Comment, autrement qu'en faisant le geste de griller une viande, se préoccupe-t-on des convives, de leur bonheur ? 
A ce jour, je n'ai pas vu de manuel qui enseigne ces questions... qui sont d'ailleurs bien difficiles. 

Ce qui me conduit à la première réponse que je dois donner à notre ami. Le futur de l'artisanat de bouche ? 
D'abord, il y a là le mot "artisanat", que je distingue du mot "art" : je fais une différence entre le peintre en bâtiment et Rembrandt, non pas que j'en mette un plus haut que l'autre, mais simplement que l'on ne peut comparer que des choses comparables. Ce qui m'a conduit plusieurs fois à proposer que la profession fasse la distinction, et aussi les guides culinaires, d'ailleurs. J'ai proposé plusieurs fois au Michelin qu'ils fassent des catégories séparées pour les artisans et les artistes. Et, comme "client" potentiel, j'aimerais bien que, quand je vais au restaurant, on me dise à l'avance si je vais trouver de l'artisanat ou de l'art. Tout n'est pas clair, et des éclaircissements pourraient être utilement donnés. 
C'était notamment le sens de mon livre "La cuisine, c'est de l'amour, de l'art, de la technique" (Editions Odile Jacob, Paris). 

Oui, mais notre ami me parle d'artisanat. C'est là un mot compliqué, parce qu'il y a la définition légale (un individu qui travaille seul, par opposition à l'industrie) et la définition donnée ci dessus. 
Dans les deux cas, l'avenir de la profession dépend de l'enseignement. D'où la réponse implicitement donnée plus haut : j'invite tous mes amis à réclamer avec moi à l'Inspection que l'on introduise des cours explicites de lien social et d'art (autre chose que faire des roses en pâte d'amande !). 


J'arrive maintenant à la deuxième phrase de la question : notre ami n'a pas l'impression que notre société et mes travaux fassent l'apanage du lien social. 
Ici, deux aspects : la société, et mes travaux. Pour la société, j'y reviens, elle bougera si chacun d'entre nous s'y met, si nous sommes beaucoup à savoir dire quand quelque chose nous plaît et quand quelque chose nous déplaît. J'ai fait une proposition, et j'espère être suivi. En revanche, je sais que la question du lien social est une question très difficile : comment apprendre à aimer ? Comment mieux vivre en société ? Ce sont des questions essentielles, et nous aurons à combattre les marchands de peur, les autoritaires, les paresseux, les malhonnêtes... Toutes catégories qui, avec des individus parfois intelligents, donc dangereux, s'efforcent de gripper les rouages sociaux en vue de leurs intérêts opposés au bien collectif. Ne soyons pas naïf : il faudra oeuvre activement et habilement. 

Pour mes propres travaux, il est vrai que, ayant promu l'idée que la cuisine soit d'abord de l'amour, je n'ai pas beaucoup étudié la question... parce que je ne suis pas certain qu'elle relève de ma compétence. Je fais une différence entre le scientifique formé à la chimie physique, qui s'efforce de produire dans ce champ scientifique particulier, et l'intellectuel qui ne peut s'empêcher de penser les objets qu'il considère. 
D'ailleurs, cette double action brouillé malheureusement les pistes, produit de la confusion chez mes interlocuteurs. Alors que mon activité scientifique n'est que scientifique, et non technologique, je ne peux m'empêcher de souhaiter que la cuisine évolue, d'où la promotion de la cuisine moléculaire, dans le temps, et, aujourd'hui, de la cuisine note à note. 
Merci à notre ami de me donner la possibilité d'éclaircir les choses : personnellement, je ne ferai pas de cuisine note à note... parce que je ne suis pas cuisinier ! (même si je cuisine, si j'ai de bons maitres en cuisine, et si je ferai de la cuisine note à note à titre privé). Ce que je continuerai à faire, dans notre merveilleux laboratoire d'AgroParisTech (merci à l'institution qui me permet de travailler), c'est de la chimie physique, aussi soigneusement et intelligemment que je pourrai, en compagnie d'étudiants soucieux d'apprendre (ils sont là du matin au soir, en plein mois d'août, à titre volontaire), de collègues amicaux... 

Oui, je n'étudie pas quotidiennement le lien social, mais c'est un de mes regrets ! Et j'invite de jeunes talents à ne pas hésiter à se lancer dans l'aventure. La cuisine vaut bien cela !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

 


lundi 4 janvier 2010

L'homme et la machine

Oui, les progrès techniques posent la question de la place de l'être humain, dans la production... et l'histoire de Jacquard,avec ses métiers à tisser, est terrible : alors qu'il voulait supprimer le travail des enfants, il mit Lyon au chômage!
De même, si des sondes à ultrasons font des émulsions, si le "pianocktail" s'introduit dans les cuisines, faisant toutes les sauces imaginables d'un clic, où sera le cuisinier?

Je ne crains rien pour lui (ou elle), parce que la cuisine, ce n'est pas d'abord de la technique.. mais d'abord de l'amour que l'on donne à ceux que l'on reçoit, pour qui l'on cuisine.

Du coup, je viens de me souvenir d'un texte que j'avais écrit à ce sujet, et que je mets immédiatement sur mon site (http://sites.google.com/site/travauxdehervethis/Home/pour-en-savoir-plus/des-articles).

Très bonne année!