jeudi 31 août 2017

Transformer les règles en postulats

Une règle, c'est une règle, c'est-à-dire une contrainte. Et le nombre des règles, des lois est si grand que l'on ploie sous le faix, sous le joug. D'ailleurs, j'ai assez dit combien il importait de supprimer des règles anciennes quand on en introduisait de nouvelles, en soulignant aussi qu'il était inutile de faire "des lois qui punissent les bons élèves", alors que précisément, les mauvais s'efforcent (et réussissent) de contourner les lois faites à leur encontre.

Cela dit,  on sait que les règles  peuvent être stimulantes, en poésie : Victor Hugo a joué de l'alexandrin, et une bonne partie de la littérature est une façon de poser des règles et de les enfreindre. L'unité de temps, de lieu, d'action a fait le théâtre classique. De même pour la règle de la bienséance, qui exclut violence et intimité physique. Et l'Oulipo (Ouvroir de littérature potentielle) s'est fait un jeu d'introduire des règles formelles, telle la règle S+7, qui est en réalité un protocole, et qui préconise, partant d'une phrase, d'en former une autre en remplaçant chaque mot par le septième mot derrière lui dans le dictionnaire.
En musique, même tabac : les règles du contrepoint, par exemple. En peinture : les règles de la perspective, si bien mises à bas par la peinture moderne. En sculpture, même chose. Et, plus généralement, l'art n'a eu de cesse que d'abattre des règles, au point que c'en est presque la marque, et la raison pour laquelle l'art moderne est d'abord si difficile pour certains qui ne retrouvent plus les structures auxquelles ils s'étaient lentement habitués.

Pour autant, une règle reste une contrainte, et il y a au moins cette connotation, même dans les perspectives les plus positives. Dans un groupe de recherche, par exemple, il faut quand même "obéir aux règles", même quand nous nous sommes donnés nous-mêmes ces règles.

D'où l'idée : transformons les règles en postulats ! Un postulat, c'est une donnée sur laquelle s'érige une théorie. Une base solide qui nous aide. Il suffit d'un changement de nom, et hop ! Le tour est joué : d'une contrainte négative, nous faisons une aide, positive.




mardi 29 août 2017

Ni adjectif ni adverbe ? Une merveilleuse possibilité


Hier, j'ai posté un billet de blog où je dis qu'il ne faut ni adjectif, ni adverbe dans nos textes scientifiques, parce que ce sont des mots imprécis, voire sans sens, qu'il faut remplacer par la réponse à la question « Combien ? ».

Voir http://hervethis.blogspot.fr/2017/08/ni-adjectif-ni-adverbe-une-merveilleuse.html

Il y a eu des lecteurs intéressés, mais quelques uns ont contesté cette idée, disant que les adjectifs et les adverbes font partie de la langue française, par exemple. Pourtant, aucun n'a discuté vraiment la question dans le contexte des études scientifiques, et aucun n'a donné d'argument contre ma thèse. Je la maintiens donc absolument, et, rapporteur de manuscrits scientifiques, je m'évertuerai sans cesse à lutter contre ces scories de la pensée scientifique.


Pour autant, ce qui était une espèce de censure peut devenir un atout, et, au lieu d'interdire les adjectifs et les adverbes, je propose une voie bien plus brillante, plus positive, plus prometteuse même en termes de production scientifique : chaque fois que nous remplaçons un adjectif ou un adverbe, nous affinons la compréhension des phénomènes. 
Chaque adjectif ou chaque adverbe est donc la possibilité d'améliorer le travail que l'on fait. Pour quiconque a une idée de la science un peu élevée (et seuls ceux-là m'intéressent), alors les adjectifs et les adverbes sont merveilleux, parce que ce sont des proies faciles, des possibilités rapides d'amélioration de nos travaux. 

Autrement dit, j'aime beaucoup les adjectifs et les adverbes parce qu'ils me permettent à bon compte de produire de la meilleure science.

lundi 28 août 2017

Une bonne pratique : éviter les adjectifs et les adverbes.


Parmi les bonnes pratiques il y en a de compliquées et il y en a de simples. L'une des plus simples tient dans cette phrase : se méfier des adjectifs et des adverbes, voire les éradiquer. On se prépare à dire "de nombreuses l'étude", et l'on s'arrête : combien ? On se prépare à dire "important"  : important ? On se prépare à dire "grand", "petit", etc., et cela vaut la peine de s'arrêter : grand par rapport à quoi, petit par rapport à quoi ?
La science, ce n'est pas du baratin, ce n'est pas de la "communication", au sens le plus bas. Il s'agit, pour commencer, d'avoir une caractérisation quantitative des phénomènes que l'on étudie. Ce que ne donnent pas les adjectifs, et encore moins les adverbes. "Important", c'est nul, mais "très important" !

Je propose comme une bonne pratique d'expurger de nos articles tous les mots qui ne sont que des chevilles, à commencer par les adjectifs et les adverbes. J'invite tous les auteurs de manuscrits scientifiques à éradiquer adjectifs et adverbes, tous les rapporteurs à pourchasser ces derniers.
Plus généralement, ce sont les imprécisions qui sont à bannir. Par exemple, cette expression minable "De tout temps l'homme..." : de tout temps, vraiment ? même quand l'espèce humain n'existait pas ? on voit que, là encore, on parle pour ne rien dire, puisque l'on n'apporte aucune information avec cette expression. Et puis, les généralisations sont... généralement bien dangereuses, et le grand (;-)) Michael Faraday le disait bien, parmi ses six conseils : ne pas généraliser hâtivement.

Positivement, n'oublions pas que la science commence par des caractérisations quantitatives des phénomènes qu'elle explore !

dimanche 27 août 2017

En science, il y a lieu de comprendre… mais c'est cela le bonheur de notre activité scientifique !


Analysant rétrospectivement une série d'expériences que je viens de terminer, je m’aperçois que ma supériorité scientifique (ne craignez rien : les chevilles n'enflent pas) par rapport à des étudiants venus récemment en stage tient notamment au fait que je ne me résous jamais à faire quelque chose que je ne comprends pas.
Par exemple, considérons les protocoles d'analyse par des méthodes du type de la chromatographie en phase gazeuse. Dans le principe, c'est tout simple : on prend un échantillon liquide à l'aide d'une seringue, et on l'injecte dans une « colonne » chauffée (un très long et fin tuyau, de plusieurs mètres de long, du diamètre d'un cheveu, enroulé sur lui même afin de ne pas occuper trop de place) où souffle un courant régulier d'un gaz. Le liquide est évaporé et la vapeur est emportée par le gaz. Quand l'échantillon contient des molécules de plusieurs types, c'est-à-dire quand l'échantillon injecté est constitué de plusieurs composés, ces derniers migrent à des vitesses différentes, de sorte qu'ils arrivent séparés à la sortir du tuyau, ce qui permet de les analyser.
Quand on fait une telle analyse, on commence par chercher un protocole, dans une publication scientifique. En supposant que les molécules qui nous intéressent ont déjà été analysées par la méthode que l'on a retenue, on en vient à reconnaître que, puisque la méthode a été publiée, elle a été évaluée par les pairs, de sorte qu'elle est validée, et utilisable. Comme nous faisons tous de même, les mêmes méthodes se répètent généralement de publication en publication, chacun se citant légitimement.
Pourtant, quand on analyse l'historique d'une telle méthode, on observe que, bien souvent, l'esprit des méthodes est progressivement transformé, et je dirais même perverti, au point que l'on se retrouve finalement avec des usines à gaz : une méthode simple, qui avait été mise au point pour un cas particulier, est ensuite compliquée pour un cas un peu différent, puis cette méthode est encore compliquée pour un autre cas analogue, jusqu'à ce que l'on arrive à l'usine à gaz.
Il y a alors lieu, face à des méthodes compliquées que nous lisons dans des publications, de se poser la question de la légitimité des détails expérimentaux, et il arrive fréquemment que, face à une usine à gaz, on puisse simplifier le protocole en revenant à des principes simples tels que « l'huile n'est pas soluble dans l'eau ». Je sais d'ailleurs un camarade de promotion de l'Ecole supérieure de physique et de chimie de Paris (ESPCI) qui a fait faire des économies immenses à une très grosse société dont il a remis à plat les formules.
Il y a donc toujours lieu de bien comprendre ce que l'on fait. Cela vaut pour les méthodes, pour les protocoles, pour tout ! Par exemple, on lit que pour préparer une solution d'amidon, il faut chauffer de l'amidon dans l'eau et ajouter du sel. Pourquoi chauffer ? Pourquoi du sel ? En l'occurrence il faut chauffer parce que l'amidon est présent sous la forme de petits grains insolubles de deux composés, amylose et amylopectine ; pour certains dosages, l'amylose doit être libéré en solution. Mais l'amylose est sous la forme cristallisée dans les grains d'amidon, et il faut chauffer pour que l'amylose passe en solution. Le sel ? Quand l'eau qui contient l'amylose en solution refroidit, les molécules d'amylose ont tendance à recristalliser, et le sel évite cette recristallisation. Pourquoi le sel évite-t-il la recristallisation ? Voilà le type de questions qu'il serait erroné de croire allant à l'infini : ce serait un relativisme idiot, car, en réalité, un peu de jugeotte permet de s'arrêter judicieusement. Mais, surtout, ce sont des questions importantes,  qu'il faut considérer soigneusement pour éviter de faire n'importe quoi : par exemple omettre le sel, ou en mettre des quantités inappropriées, etc.
Pour tous nos actes scientifiques, qu'il s'agisse de calcul ou d'expérimentations, nous devons absolument comprendre ce que nous faisons, sans quoi nous ferons environ n'importe quoi et nos travaux scientifiques seront inutiles.

samedi 26 août 2017

Fingerspitzengefühl, l'intelligence du bout des doigts... Non, l'habileté scientifique



Fingerspitzengefühl ? Que signifie ce mot très long ? C'est de l'allemand, qui signifie environ « intelligence du bout des doigts », mais pas exactement, et c'est précisément la différence qui est intéressante.


Finger, c'est le doigt : là, pas de glissement de sens. Spitzen : c'est la pointe, et une connotation non pas d'extrémité, mais d'extrémité effilée, pointue. Et Gefühl n'est pas « intelligence », mais le ressenti, la sensation.
Dans ce mot allemand intéressant, il y a donc la perception la plus affinée que l'on a avec les doigts, plutôt une sensation qu'une action, alors que l'expression française d'  « intelligence du bout des doigts » y met d'abord la tête, la réflexion, plutôt que la sensation. On trouve là le vieux débat entre la tête et la main, certains prétendant que c'est la tête qui fait marcher la main, et d'autres reconnaissant justement que la tête sans la main n'est rien. En réalité il faut les deux, de sorte que ni le mot allemand ni l'expression française ne conviennent vraiment pour dire cette intelligence habile de la manipulation laquelle met en œuvre une tête intelligente et des doigts sensibles, percevant bien et agissant précisément.
On ne dira jamais assez, surtout dans notre société française dominée par le calcul, les mathématiques, qu'aucune théorie du tennis ne permettra jamais de jouer comme un champion à qui ne pratique pas. En matière scientifique, où s'imposent à la fois le calcul et expérimentation, il en va de même : on aura beau calculer merveilleusement, on ne fera pas de science décente si l'on est incapable de bouger correctement ses doigts ou si l'on n'a pas, autour de soi, des collègues qui ne font pas cela parfaitement. Dans l'expérimentation, le geste est constant, et déterminant, même quand l’expérience a été parfaitement planifiée.
Je sors, par exemple, d'un dosage qui imposait des gestes tels que emplir une burette, actionner un robinet, de sorte que la solution de dosage vienne goutte à goutte, et non seulement goutte à goutte, mais avec des gouttes tombant avec un rythme précis ; je veux ici témoigner de ce que s'imposait absolument un doigté extrêmement précis, pour remplir la burette sans qu'aucune goutte de solution ne vienne jaillir, pour que le rythme d'écoulement des gouttes soit tel qu'il fallait aux divers stades de l'expérimentation, c’est-à-dire plus lentement surtout vers la fin (environ une goutte toutes les trente secondes).
Cela, c'est pour les sciences de la chimie, mais il en va de même pour les sciences physiques, et je me souviens d'expériences de microscopie à force atomique où le maniement des pointes, même s'il était finalement commandé électriquement par un cristal piézo-électrique, imposait des manipulations minutieuses.
On ne dira pas assez que la science est non seulement affaire de compréhension au niveau le plus abstrait, mais aussi de précisions dans les calculs et de précision expérimentale. La tête doit être parfaitement affûtée, et les doigts également. J'ai été longtemps fasciné par ce mot allemand Fingerspitengefühl, que j'avais recueilli de la bouche d'un lauréat du prix Nobel, mais je sais aujourd'hui que le mot est inapproprié, et il y aurait lieu de concocter un néologismes autour de mots tels que « dextérité » ou « habileté ». Dextérité ? Pour un gaucher, c'est quand même un peu exagéré. Habileté ? Le mot provient du latin « convenable ».
Habileté scientifique ?

Les questions à propos des expérimentations.









Cela fait bien longtemps que je m'interroge sur les règles à donner à nos étudiants à propos d'expérimentation. Par exemple, il est signalé que la blouse de laboratoire ne doit pas quitter le laboratoire et ne pas venir dans le bureau où elle contaminerait ce denier. Mais le cahier de laboratoire ? Celui là fait effectivement la navette, parce qu'il faut l'avoir sous la main pendant la manip, mais ensuite il faut exploiter les résultats, dans un bureau. Le cahier étant souillé, il contamine le bureau.


Quiconque c'est posé cette question a conclu que le cahier de laboratoire ne doit pas être sur la paillasse mais ailleurs : sur un meuble que l'on garde propre, sur une chaise… Cette fois, il y a un léger mieux… mais quand nous consignons les résultats, souvent nous avons des gants aux mains, lesquels sont souillés, et nous utilisons un stylo, qui va se contaminer par le contact avec les gants. On pourrait imaginer que le stylo reste au laboratoire mais on n'empêchera pas que le stylo contamine le cahier, qui contamine le bureau.



Résultat de recherche d'images pour "cahier de laboratoire inra"


On sait que le risque zéro n'existe pas, et cette chaîne de petites observations à propos du cahier de laboratoire sert surtout à montrer surtout qu'il y a lieu d'être vigilant. Quel fluide tombe sur la paillasse ? Quels gestes faisons-nous ? Pourquoi les faisons nous ?


C'est par l'examen de ces mille questions que nous faisons un travail passionnant et difficile. Par exemple, faire un bon dosage, ce n'est pas seulement être patient et travailler posément ; c'est en réalité un travail qui demande de la dextérité, de l'habileté, de la patience, de la réflexion… Il faut une « intelligence expérimentale » considérable, sous peine de faire à peu près n’importe quoi… et c'est la raison pour laquelle nous devons proposer aux étudiants des séances de travaux pratiques nombreuses, et bien pensées. J'ai plaisir à signaler que l'Ecole supérieure de physique et de chimie de Paris (l'ESPCI Paris) organise ainsi les études : pendant quatre ans, des études théoriques tous les matins, et des études expérimentales tous les après midi.

Des bonnes pratiques : utiliser des méthodes officielles.


Pour exposer l'idée contenue dans le titre de ce billet, je propose de partir d'un épisode récent de notre laboratoire. Nous devions doser le dioxyde de soufre dans des vins diversement traités. Une étude bibliographique extrêmement rapide avait montré qu'une méthode, nommée méthode de Ripper, était communément employée, et il m'avait semblé, vu la simplicité du travail proposé, que ces dosages pourraient faire l'objet de stages d'étudiants. Le bilan ? Il y a eu quatre étudiants venus au laboratoire pour des périodes comprises entre un et deux mois, mais je suis désolé d'observer que le résultat total était nul.
Je ne me plains pas des étudiants, à qui je ne demande pas de produire des résultats, mais seulement d'apprendre. Or ils ont beaucoup appris, si j'en juge la liste des connaissances et des compétences qu'ils ont adjointes à leur rapport de stage, lequel a fait surtout état de travaux exploratoires. En revanche, il était intéressant d'observer que, pour des raisons que je dois encore analyser, ils s'étaient arrêtés, dans leur recherche bibliographique, à des « travaux pratiques », parfois universitaires, de qualité très variable. Or un vrai dosage, ce n'est pas une séance de travaux pratiques : les réactifs sont à préparer soi-même, dans toute leur complexité, et, surtout, les méthodes utilisées doivent être officielles et validées !

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Ayant moi-même fait, après eux, une véritable recherche bibliographique, dépassant notamment les feuilles de travaux pratiques que l'on trouve dans les premières pages de Google (en français), je suis finalement arrivé, en passant par Google scholar et en cherchant en anglais, à des publications qui effectuaient ce type de dosages, et qui m'ont conduit très rapidement à des méthodes officielles. Il y en avait en français et en anglais, soit par l'AOAC (l'association américaine des chimistes analyticiens), pour les États-Unis, soit par l'OIV, l'Office international de la vigne et du vin. Dans les deux cas, les documents sont en anglais, et ils présentent des méthodes validées.
Validées : cela a imposé des études méthodologiques longues, inter-laboratoires, qui ont conduit à des protocoles finalement assez simples, et très bien documentés, qu'il s'agissait de mettre en œuvre. On observe que ces méthodes validées sont l’équivalent des méthodes de bonne pratique des société savantes médicales. Quand un médecin prescrit un médicament, il n'a pas à inventer n'importe quel traitement, mais doit se conformer  à des règles professionnelles qui stipulent quel médicament doit être utilisé dans quelles conditions, et pour quelles affections. C'est à la fois une aide et un confort. Une aide, car cela signifie qu'un groupe de collègues s'est réuni pour produire un résultat synthétique, qui est validé, efficace. Un confort, parce que s'il y a le moindre accident, en raison d'un effet secondaire, d'une sensibilité particulière d'un patient, etc., alors le praticien est couvert devant la loi, ayant suivi la bonne pratique préconisée par la société savante. C'est sur elle que pèse la responsabilité de la proposition thérapeutique, parce que le praticien, suivant les bonnes pratiques, a fait du mieux que pouvait la pratique médicale, avec les connaissances du jour. On le voit, la charge est donc essentiellement sur la communauté professionnelle, laquelle doit sans cesse surveiller les progrès des connaissances pour produire les meilleures règles possibles.
Pour en revenir à notre dosage, il y avait donc des méthodes officielles, et il était hors de question de se raccrocher à n'importe quelle séance de travaux pratiques affichée par n'importe qui sur internet. Ayant finalement à faire des dosages moi-même, j'ai donc utilisé une méthode officielle, et, à l'usage, je me suis aperçu qu'il y avait beaucoup d'intelligence dans la méthode proposée. Par exemple, contrairement aux protocoles des travaux pratiques que nos étudiants avaient dégoté, il était proposé d'ajouter du chlorure de sodium à une solution d'amidon qui était utilisée pour produire un changement de couleur. Pourquoi ce chlorure de sodium ? Parce que sa présence évite la « rétrogradation de l'amylose, qui aurait prévenu la réaction avec le di-iode éventuel. Evidemment le protocole officiel proposait de chauffer l'amidon, car, ce qu’ignoraient nos jeunes amis qui n’avaient pas assez creusé leurs recherches bibliograhiques, l’amidon se trouve sous la forme de grains insolubles dans l'eau, et il faut chauffer pour que l'amylose soit libéré et qu'il puisse ensuite réagir efficacement avec le di-iode.
Et d'ailleurs, pourquoi le di-iode teinte-t-il l'amidon en bleu ou en noir ? Là, il y a évidemment lieu de s'interroger et de faire des recherches bibliographiques complémentaires, car cela semble une règle absolue de la science que de ne pas supporter de faire quelque chose qu'on ne comprend pas. J'aurais mauvais grâce à critiquer les étudiants qui sont venus en stage dans notre laboratoire de ne pas avoir fait cette recherche, car je me souviens avoir été membre d'un jury de recrutement de maître de conférence en chimie des sucres dans une grande université parisienne, et, ayant posé cette question du changement de couleur de l'amidon avec le di-iode, je n'avais  reçu aucune  réponse d'aucun des candidats (à vrai dire, ce n'est pas exact : il y a eu un candidat qui a répondu n'importe quoi avec aplomb, espérant me bluffer, alors que j'ai la réponse depuis longtemps ; inutile de dire que j'ai renvoyé publiquement ce malhonnête dans ses seize mètres).
A propos de la solution de di-iode, il y avait cet autre petit mystère, que l'on dissout le di-iode dans une solution d'iodure de potassium. Le niveau zéro de l'étudiant, c'est de ne pas chercher à savoir pourquoi on utilise cet iodure de potassium et de ne pas l'utiliser. Le niveau supérieur, c'est de ne pas poser la question, mais d'utiliser l'iodure de potassium prescrit. Mais on peut viser mieux, et se poser la question. Ou, encore mieux : se poser la question, réfléchir et calculer, avant de confronter son résultat à une étude bibliographique. On trouve finalement que le di-iode n'est pas soluble dans l'eau, et c'est par la formation d'un fait de trois atomes d'iode qu'il peut se solubiliser, ce qui impose la présence d'ions iodure. Quel bonheur que de découvrir toutes ces particularités des transformations moléculaires !
Et puis, il y a une foule de détails, telle la concentration particulière de di-iode qu'il faut utiliser. Pourquoi cette concentration particulière ? A l'usage, il est apparu qu’une solution dix fois plus diluée montrait moins les changements de couleur que l'on visait, alors qu'une solution plus concentrée faisait perdre en sensibilité. J'en passe, parce qu'i y aune foule de détails expérimentaux, qui avaient fait en réalité l'objet de discussions préalables, par les sociétés savants, qui avaient abouti à un protocole validé. Il y a donc lieu de commencer par des protocoles validés avant de tester tout et n'importe quoi pour n'arriver à rien.

vendredi 25 août 2017

Les réponses du jour

Aujourd'hui, il a fallu répondre en anglais... mais je sais que Google translate ou autres font de bonnes traductions.


Bref, voici :



# About molecular gastronomy
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# Today, questions that deserve an answer :
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# I'm a science student from Barcelona and I'm working on a project that consists on discover which parameters are involved in the development of a sferification. The problem is that although I have seen all of your blogs and interviews about molecular cuisine and molecular gastronomy I have some questions that I would like to ask you.
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# Firstly, I would like to know the differences between the science of ingredients and the science of culinary processes because even after searching information on the Net it is not clear to me at all.
# Secondly, I wish you could tell me more about the history (origin) about molecular cuisine and its name.
# Thirdly, I want to know your response about what is/are the reasons why you and Mr. Kurtis created a science called molecular gastronomy and why do you think people would have to increase their interest, in particular, on science investigations like yours?. What are the reasons why you are motivated on following your studies about molecular gastronomy?.
# Finally, what councils do you have for a future scientist?
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# I know you probably are a very busy person but it would be so magnificent to receive an answer of someone of renown as you.
#
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# Yes, such a message deserves an long answer... and it's also a way of being clearer.
# I take the various points one by one :
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# 1. spherification: indeed, when it is recognized that this is simply jeffication, then it is easier to study... and there are many scientific articles about that, the most interesting being those where the jefficication is even triggered by a monovalent ion such as sodium, whereas the simplistic theory says that divalent calcium ions have to make bridges with alginate molecules.
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# 2.  the differences between the science of ingredients and the science of culinary processes ? Simply read carefully what is written.
# On one hand, the science of food ingredients is the investigation of all plant and animal tissues (primarily) that are used as food ingredients. For example, how much  beta caroten is there in the various parts of the roots of Dauca carota L.? Or how many different compounds of the family of betalains are there (there was a very good recent paper about that) ? Etc.
# On the other hand, the science of culinary processes is... the science and culinary processes : here, one focuses on culinary processes, and the details of food ingredients have (almost) no importance. By the way, one should be very clear about the word "science", because there is so much confusion about science and technology. Sciences of nature, such as molecular gastronomy, are sciences, which means that the question is to look for the mechanisms of phenomena : why does a steak turns brown when grilled? why does a soufflé expand? why is water trapped in a gel? The goal is to produce knowledge, and the method is :
# - identify a phenomenon
# - characterize it
# - group the data into laws (equations)
# - look for mechanisms quantitatively compatible with the laws in order to produce a theory
# - try to refute the theory by looking for theoretical deductions from the theory, and make experiments for testing such deductions.
# On the other hand, the technology question is different: you use some scientific knowledge in order to improve processes.
# And here is an (apparent) paradox and the source of much confusion (by weak minds): even if molecular gastronomy is focused on phenomena occurring during culinary processes, it is a scientific activity, and not technology. Of course, there are many innovations flowing from the understanding of culinary processes, and from molecular gastronomy, but science is science, and technology is technology (sometimes called engineering).
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# 3. the history about molecular cuisine ?
# First let's observe that you speak of "molecular cuisine", and not "molecular cooking", and not of molecular gastronomy
# - molecular gastronomy is a scientific activity, introduced in 1988 (the name, because the activity began earlier)
# - molecular cooking is defined as a modern way of cooking, technically speaking: I promoted it with no name since 1980, and I gave the name in 1999 only, because of much confusion about what chefs do and what scientists do. More precisely, I invented this name in front of a French TV, at a meeting in Paris with the Innicon project, where chefs from Europe where coming to get some technology results (the würtz, the geoffroy, etc. taught to Heston Blumenthal, Alberto Adria, and others). Later, I proposed a difference between molecular cooking (the technique) and molecular cuisine (the style based on the introduction of new techniques)
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# 4. why Nicholas and I created the scientific discipline that we called molecular gastronomyl? Because we are scientists ! Indeed, the goal of science is to make discoveries, by studying phenomena... and we were sure that because nobody was interested in cooking, at that time, there were many phenomena that were not studied, hence the possibility of make many discoveries !


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# 5. why the interest in food increased? There are probably many reasons, but certainly the fact that well being increased in many countries contributed: instead of having barely enough food, people had enough, and could improve. Moreover, science is a key element for innovation, as I teach to the Erasmus Mundus Plus master students of our program "Food Innovation and Product Design"
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# 6. why I am daily -all days of the year- at the lab, doing scientific research? Because science is the great pride of the human mind! Because it is fascinating to observe that "the word is written in mathematical language"! Because knowledge is a way to promote tolerance, international cooperation.  Because science goes along with education: one school more, one prison less!
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# 7. which advices for a future scientists? Maths, maths, and maths! Epistemology, and focusing. Someone who knows is someone who learned. We need seconds for learning so many things, methods, values, information, notions, concepts!
# Ars longa,
# vita brevis,
# occasio praeceps,
# experimentum periculosum,
# iudicium difficile


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# But this quotation is not positive enough, and I prefer publishing here my own list:
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# Quelques idées pour aider à se supporter quand on se voit dans un miroir
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# Mer isch was mer mocht
# Hervé This, adapté d'un proverbe alsacien
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# IL FAUT S’AMUSER A FAIRE DES CHOSES PASSIONNANTES
# H. This
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# Nous sommes ce que nous faisons : quel est ton agenda ?
# H. This
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# Une colonne vertébrale !
# H. This
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# Tout fait d'expérience gagne à être considéré comme l'émanation de généralités que nous devons inventer (abstraire et généraliser)
# H. This
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# Quels sont les mécanismes ?
# La science en général
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# Les mathématiques nous sauvent toujours : « que nul ne séjourne ici s’il n’est
# géomètre »
# Platon
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# Ne pas oublier de donner du bonheur.
# H. This
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# Tu fais quelque chose ? Quelle est ta méthode ? Fais le, et, en plus, fais-en la théorisation.
# H. This
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# Surtout ne pas manquer le moindre symptôme
# H. This
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# Je ne sais pas, mais je cherche !
# H. This
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# De quoi s’agit-il ?
# Henri Cartier-Bresson
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# Puisque tout est toujours perfectible, que vais-je améliorer aujourd’hui ?
# H. This
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# « Dois-je croire au probable ? ».
# H. This ?
# A rapprocher de :« En doutant, nous nous mettons en recherche, et en cherchant nous trouvons la vérité ».
# Abélard
# Et de :
# "Douter de tout ou tout croire, ce sont deux solutions également commodes, qui l'une et l'autre nous dispensent de réfléchir".
# Poincaré
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# Combien ?
# La science en général
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# D’r Schaffe het sussi Wurzel un Frucht
# Proverbe alsacien
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# Ni dieu ni maître
# La devise des anarchistes
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# Tout ce qui mérite d’être fait mérite d’être bien fait
# ?
# La vie est trop courte pour mettre les brouillons au net : faisons des brouillons nets !
# Jean Claude Risset
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# Se mettre un pas en arrière de soi même?
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# Le summum de l’intelligence, c’est la bonté
# (et la droiture)
# Jorge Borgès
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# Regarder avec les yeux de l’esprit
# H. This
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# Vérifier ce que l’on nous dit
# Ne pas généraliser hâtivement
# Ayez des collaborations
# Y penser toujours
# Entretenez des correspondances
# Avoir toujours sur vous un calepin pour noter les idées
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# Ne pas participer à des controverses
# Michael Faraday et Isaac Watts
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# Penser avec humour des sujets sérieux (un sourire de la pensée)
# H. This
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# « Comme chimiste, je passai cette oeuvre à la cornue ; il n'en resta que ceci : »
# ; se dissoudre dans, infuser, macérer, décoction, cristalliser, distiller, sublimer, purifier, alambiquer
# Jean-Anthelme Brillat-Savarin
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# « Et c’est ainsi que la chimie est belle »
# H. This d’après Alexandre Vialatte
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# Morgen Stund het Gold a Mund
# Proverbe alsacien
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# Y penser toujours
# Louis Pasteur
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# Ne pas confondre les faits et les interprétations
# Elémentaire
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# Quand les lois sont mauvaises, il faut les changer
# H. This
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# Ne pas faire de lois qui punissent les bons élèves, et ne pas faire des lois pour punir les mauvais si on ne les applique pas.
# Un conseil de H. This aux prétentieux qui font des lois
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# Un homme qui ne connaît que sa génération est un enfant
# Cicéron
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# Dieu vomit les tièdes
# La Bible
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# Il n’est pas vrai que « La tête guide la main », ce qui est prétendu par une
# poutre du Musée du compagnonnage, à Tours : la tête et la main sont
# indissociables
# H. This
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# Les calculs !!!!
# Tous les scientifiques dignes de ce nom
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# Tout changer à chaque instant (vers du mieux !)
# H. This
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# Chercher des cercles vertueux
# H. This
#
# Comme le poète, le chimiste et le physicien doivent maîtriser les métaphores
# H. This
#
# Le moi est haïssable
# Blaise Pascal
#
# Quels mécanismes ?
# La science en général
#
# N’oublions pas que nos études (scientifiques) doivent être JOVIALES
# Hervé This
#
# L’enthousiasme est une maladie qui se gagne
# Voltaire
#
# Clarifions (Mehr Licht)
# Goethe
#
# Tu viens avec une question, mais quelle est la réponse (utilise la méthode du soliloque)
# H. This
#
# Pardon, je suis insuffisant, mais je me soigne
# H. This
#
# Comment faire d’un petit mal un grand bien ?
# H. This
#
# Le diable est caché derrière chaque geste expérimental, et derrière chaque calcul
# H. This
#
# Les questions sont des promesses de réponse (faut-il tenir ces promesses). Vive les questions étincelles
# H. This
#
# La méditation est si douce et l’expérience si fatigante que je ne suis point étonné que celui qui pense soit rarement celui qui expérimente
# Diderot
#
# Comment pourrais-je gouverner autruy, moi qui ne me gouverne pas moi- même
# François Rabelais
#
# Prouvons le mouvement en marchant !
# Hervé This
#
# Comment passer du bon au très bon ? Comment donner à nos travaux un supplément d’esprit ?
# Hervé This
#
# Il faut des TABLEAUX : les cases vides sont une invitation à les remplir, donc à travailler!
# Hervé This
#
# Quelqu'un qui sait, c'est quelqu'un qui a appris.
# Marcel Fétyzon
#
# Il n'est pas nécessaire d'être lugubre pour être sérieux (le paraître n'est pas l'être).
# H. This
#
# Si le résultat d'une expérience est ce que l'on attendait, on a fait une mesure. Sinon on a fait une découverte.
# Franck Westheimer
#
# Il faut tendre avec efforts vers la perfection sans y prétendre.
# Michel-Eugène Chevreul
#
# Tu vois une régularité du monde ? Il devient urgent de s'interroger sur sa cause.
# H. This
#
# Une idée dans un tiroir n'est pas une idée
# H. This
#
#

jeudi 24 août 2017

Les enseignants des Hautes Etudes de la Gastronomie

Chers Amis
Dans la série des "grands enseignants" des Hautes Etudes du Goût, voici

Bruno Laurioux

Bruno Laurioux


Ancien élève de l’École Normale Supérieure de Saint-Cloud, agrégé d’histoire, Bruno Laurioux a enseigné comme maître de conférences aux universités de Paris VIII, Vincennes – Saint-Denis puis Paris I, Panthéon-Sorbonne, avant d’être élu, en 2005, comme professeur d’histoire médiévale à l’Université de Versailles Saint-Quentin en Yvelines. De 2004 à 2010, il a été chargé de conférences à l’École Pratique des Hautes Études, section des sciences philologiques et historiques. De 2006 à 2010, il a occupé les fonctions de directeur scientifique adjoint puis de directeur scientifique au département des sciences humaines et sociales du CNRS.



Bruno Laurioux est aujourd'hui professeur d'histoire du Moyen Âge et d'histoire de l'alimentation à l'Université François-Rabelais de Tours.



Il est également président de l'Institut Européen d'Histoire et des Cultures de l'Alimentation (IEHCA).


Bruno Laurioux a publié et dirigé de nombreux travaux de recherche qui font de lui l'un des grands spécialistes de l'alimentation au Moyen Âge.


Liste complète ici: http://lea.univ-tours.fr/membres/publications-de-bruno-laurioux-1-3-519334.kjsp?RH=1345644849786

Une observation passionnante

On discute à l'infini des dangers de la chimie, et l'on confond souvent les dangers et les risques. Oui, l'acide sulfurique est dangereux, et il est vrai que cela peut faire des catastrophes quand on met de l'eau dedans (surtout, ne faites pas l'expérience !), tout comme il est vrai que cela fait des catastrophes quand on met de l'eau sur de l'huile bouillante enflammée (surtout, ne faites pas l'expérience !). Dans le premier cas, chimique, l'eau fait avec l'acide sulfurique concentré une réaction qui dégage beaucoup de chaleur, provoque une ébullition qui provoque des projections d'acide sulfurique concentré ; dans le second cas, culinaire, l'eau tombe au fond de la casserole, parce qu'elle est plus dense que l'huile, mais, chauffée par l'huile bouillante, elle s'évapore, et provoque une explosion qui projette de l'huile enflammée partout.
On pourrait multiplier les exemples, pour montrer que la question n'est pas le danger, mais le risque : courir avec un couteau la pointe en l'air, traverser la route, conduire un jour de grands départs, etc. Le danger est dans le moindre de nos actes, et il importe de minimiser les risques. Par exemple, je ne risque pas de me tuer à l'atterrissage si je ne fais pas d'ULM, et le risque de me noyer dans ma baignoire est moindre que si je suis en solitaire au milieu de l'Atlantique.
D'où les consignes de sécurité que l'on donne dans les laboratoires de chimie. Le port des blouses, des gants, des lunettes... Il y a tout un apprentissage... mais je sais que certains débutants voient mal l'intérêt de toutes ces contraintes. N'en fait-on pas un peu trop ?

Non ! 

Aujourd'hui, je viens de trouver, un peu par hasard, une merveilleuse démonstration de la nécessité de faire très attention, lors des expérimentations. Il s'agissait d'un classique  dosage du dioxyde de soufre par une solution de di-iode (je passe sur les détails expérimentaux) : dans une burette, il y avait donc la solution de di-diode, et les gouttes tombaient une à une dans un erlenmeyer (un flacon de forme conique, resserré sur le haut) où était le vin à doser. La burette était bien placée, le plus bas possible pour que les gouttes de solution de di-iode ne tombent pas de haut, et le vin à doser était agité le plus doucement possible par un agitateur magnétique.
Enfin, il faut que je signale que l'erlenmeyer était placé sur un papier blanc, conformément à la méthode officielle que j'utilisais, car cela permettait de mieux voir le changement de couleur, au moment (à la goutte près) où la solution de dosage de di-iode avait fini de consommer tout le dioxyde de soufre du fin.





En cours de dosage, alors, donc, que je manipulais avec beaucoup de précaution, j'ai soudain vu le papier blanc de teinter de noir en quatre endroits : quatre toutes petites taches de di-iode, alors que rien d'anormal n'était arrivé.

Oui, quatre petites taches, qui, grâce à la couleur de la solution de di-iode, m'ont montré que, malgré les précautions, il y a des projections, dans uner telle expérience.

En l'occurrence, il n'y a pas de risque, parce que je portais des gants, des lunettes et une blouse, et aussi parce que les réactifs utilisés n'étaient pas très dangereux, mais c'était surtout une mise en évidence : avec des produits bien plus dangereux, la possibilité de telles projections existe aussi, et, là, il faut absolument être protégé.

 J'y pense : et si, au lieu de faire la morale à nos étudiants, nous leur faisions répéter cette expérience, afin qu'ils voient d'eux-mêmes qu'il y a des projections ? Ainsi convaincus du bien-fondé des règles de sécurité, ils auraient certainement à coeur de les appliquer !

samedi 19 août 2017

Inédit

Souvent, la presse est marchande de peur : la pharmacie serait dangereuse, la médecine classique, les pesticides, les plastiques, les ondes, que sais-je ?

Mais là, c'est inédit : je vois une chaîne d'information qui relaye des mises en garde contre les marchands d'orviétan. Le chapeau de l'article est :

ÉTUDE SANTÉ - Les patients qui choisissent de recourir aux seuls remèdes alternatifs pour soigner des cancers fréquents ont jusqu'à cinq fois plus de risque de mourir que ceux qui optent pour des traitements classiques. Explications. 

Et le lien : http://www.lci.fr/sante/cancer-homeopathie-phytotherapie-naturopathie-attention-aux-medecines-alternatives-2061747.html

 Je ne résiste pas au plaisir de vous donner le premier paragraphe :


Le recours aux médecines alternatives, du type homéopathie, phytothérapie ou naturopathie, doit être surveillé. Les malades qui utilisent les seuls remèdes alternatifs pour soigner des cancers fréquents ont jusqu'à cinq fois plus de risque de mourir que ceux qui optent pour des traitements classiques, selon des chercheurs. Cette différence dans le risque de décès cinq ans après le diagnostic "a été la plus élevée pour le cancer du sein et du colon", a déclaré à l'AFP l'auteur principal de l'étude, Skyler Johnson de l'Université de Yale.

Et pour l'étude :

Use of Alternative Medicine for Cancer and Its Impact on Survival

JNCI: Journal of the National Cancer Institute, Volume 110, Issue 1, 1 January 2018, djx145, https://doi.org/10.1093/jnci/djx145



Champagne ! 

jeudi 17 août 2017

Aux Hautes Etudes du Goût : Pierre Combris

J'ai un peu de tard dans ma présentation des enseignants de l'Institut des Hautes Etudes du Goût, de la Gastronomie et des Arts de la Table. En revanche, c'est un grand plaisir de présenter mon collègue Pierre Combris :



Pierre Combris est économiste et directeur de recherche honoraire à l'INRA.


Il a dirigé, depuis 1996, le laboratoire de recherche sur la consommation qui étudie l'économie et les pratiques alimentaires ainsi que les mécanismes de choix des consommateurs.
Ses recherches personnelles ont porté sur l'évolution de la consommation alimentaire en France des années 1950 à nos jours et sur les infléchissements des préférences des consommateurs.


Il s'est également intéressé aux processus de choix en fonction des caractéristiques des aliments et de l'information dont dispose les consommateurs.


Il est membre du conseil d'administration de l'Institut Français pour la Nutrition et est expert auprès du Fonds Français pour l'Alimentation et la Santé.

mardi 8 août 2017

Bonnes pratique : être à la hauteur de ses dires

Au terme de cette série de billets inspirés par le Responsible Science de l'Académie américaine des sciences, je m'aperçois que je n'aimerais pas être du groupe qui a produit ce document : à ne voir que le crime, que la fange, la boue, on ne peut manquer de la voir partout.
Tiens, aujourd'hui, je trouve dans ce document :

Misrepresenting speculations as fact or releasing preliminary research results, especially in the public media, without providing sufficient data to allow peers to judge the validity of the results or to reproduce the experiments

Ce qui signifie en français : "Faire croire que des spéculations sont avérées, ou publier des résultats de recherche préliminaires, notamment dans les média à l'attention du public général, sans fournir assez de données aux pair pour que ceux-ci puissent juger de la validité des résultats ou reproduire les expériences". Cela dit, il est vrai que le désir d'être encensé conduit certains à des comportements étranges, et je ne peux manquer de me souvenir de notre deuxième colloques international de gastronomie moléculaire, où plusieurs des participants initiaux étaient devenus des vedettes... dont le comportement avait changé ; la présence de journalistes dans nos débats les conduisait à se comporter en vedettes, au lieu d'être en position de discuter de questions scientifiques. Ah, ce fatal ego ! Il fallut interdire la participation de la presse à partir des troisièmes rencontres. 

Mais levons le nez de la boue, et regardons le ciel, car il est bleu ! Oublions la publication pour le bonheur de la production scientifique, et, soudain, tout change : comment, alors, irions-nous trop vite à confondre des spéculations et des faits ? Nous savons bien que le diable est caché dans le moindre détail expérimental, dans le moindre calcul, et nous n'avons en réalité pas besoin des pairs pour évaluer nos travaux, puisque nous en sommes les premiers censeurs, les premiers rapporteurs. L'explorateur, dans la jungle, n'a pas besoin de public, pour savoir s'il avance ou non, et il sait que c'est à la sueur de la machette qu'il peut se frayer un chemin ; il sait combien de route il parcourt, et il sait que son cheminement est lent.

Oui, décidément, la vertu est sa propre récompense, et nos avancées scientifiques sont ce qu'elles sont : du pur bonheur quand nous faisons le travail soigneusement !

lundi 7 août 2017

Bonnes pratiques : jusque dans les relations humaines

Etonnant document que ce Responsible Science de l'Académie américaine des sciences : il nous fait part d'environ toutes les infamies possibles, dans le milieu scientifique.
Par exemple, j'y trouve :

Inadequately supervising research subordinates or exploiting them

Oui, il est vrai que mal diriger des collègues est répréhensible. Les exploiter aussi. Mais plus positivement, ne pourrions-nous pas nous poser la question suivante : comment bien diriger des recherches ?

La question est bien difficile, car il y a ce "diriger", qui est terrible. Peut-on vraiment "diriger" un scientifique digne de ce nom ? A la seule évocation de la "direction", je ne peux m'empêcher de penser à Frères Jean des Entommeures qui répondait à l'offre de diriger une abbaye "Comment dirigerais-je autrui, alors que je ne me gouverne pas moi-même ?".

Diriger ? Cela signifie, étymologiquement, donner une direction. Mais reprenons la question : il s'agit de science, donc de faire des découvertes. Comment être certain que nous mettrons nos amis sur la piste de découvertes, alors que nous ne sommes pas nous-mêmes certain de savoir dans quelle direction nous-même devons chercher ? Il y aurait ainsi de l'inconscience à diriger les autres ! Et une telle responsabilité ! Imaginons que nous les mettions sur une mauvaise piste !
Bien sûr, on peut aussi prétendre que peu importe la direction, le chemin que l'on fait emprunter ou que l'on emprunte soi-même, et que tout est dans la "composition" (au sens de la composition florale, de la composition de parfums, de la composition musicale, de la composition de tableaux, de la composition littéraire...) que nous faisons, à partir d'observations quantitatives du monde. Oui, on peut prétendre que même pour les sciences de la nature, "la beauté est dans l'oeil qui regarde" : on ne découvre que ce que l'on décide de voir, telle la découverte des fullérènes dans cette suie qui est sous les yeux de l'humanité depuis la découverte du feu.

Image associée


Mais quand même, n'y a-t-il pas des directions plus fructueuses que d'autres ?

Je ne sais pas, puisque, portant cette question conférence après conférence, dans le monde entier, je n'ai guère reçu de commentaires sur la question de la stratégie scientifique, qui est en réalité celle qui est discutée ici.
Mais revenons à la "direction de recherches". Je me demande quand même si ce que nous nommons "directeur de recherche", en France, n'est pas seulement la direction administrative de la recherche. C'est à dire un travail tout à fait sans intérêt du point de vue scientifique ! La vraie question n'est-elle pas la question de la recherche elle-même ?
Pour ce qui me concerne, quand j'agis en "directeur de thèse", par exemple, j'essaie surtout d'être un "rapporteur bienveillant", qui apporte de la culture scientifique, de cette culture qui permet de mieux voir les faits expérimentaux, de mieux les interpréter. Je suis là pour signaler des bonnes pratiques, les expliquer, et, surtout, pour être "contagieux d'enthousiasme" pour cette merveilleuse recherche scientifique.

Car nous avons besoin d'être entourés, aimés, encouragés, et non pas dirigés !

Bonnes pratiques : ne pas généraliser hâtivement


Vite, d'une frappe sur les doigts, faisons un élan vers le bonheur ! Dans ce Responsible Science, que j'ai déjà cité, je lis, comme répréhensible  :

Using inappropriate statistical or other methods of measurement to enhance the significance of research findings;

En français "utiliser des méthodes statistiques ou des méthodes de mesures inappropriées pour donner à des découvertes de recherche plus d'importance qu'elles n'en ont". En réalité, la traduction du passage américain est difficile, parce que ce texte est lui-même un peu inexact : il dit "augmenter l'importance" ; or on ne peut pas augmenter l'importance d'une découverte, mais seulement faire croire que le résultat a plus d'importance qu'il n'en a en réalité. D'autre part, il y a une amphibologie au mot "significance", parce que, en statistiques, on parle de significativité, partant du bon principe que toute mesure est incertaine, et que, d'autre part, les théories sont toutes approximatives, même si leur précision va croissante.
Ce qui est clair, c'est que se pose ici la question du scientifique vis à vis de lui-même, et vis à vis de sa communauté. Si la juste ambition des scientifiques est de faire des découvertes, alors on comprend mal pourquoi on irait utiliser des méthodes fautives pour se tromper soi-même : au fond de soi, on sait bien quand on a observé un effet ou pas. A contrario, on sait qu'il y a hélas des individus qui vivent en représentation, et pour qui l'estime qu'on leur porte est plus importe que la justesse des idées qu'ils tendent à la communauté, en vue de s'en faire estimer. Et c'est à eux que s'adresse en réalité la phrase de l'Académie américaine des sciences.
Oublions-les, car ils ne méritent pas de cette considération qu'ils quêtent au prix de leur malhonnêteté. Et, vite, prenons positivement l'idée initiale : oui, ayant des résultats, pour nous assurer de leur justesse, nous avons souvent besoin de méthodes statistiques. Dans un autre billet, j'ai assez dit que nos mesures sont toujours imprécises à des degrés divers, de sorte que nos résultats expérimentaux ne concordent qu'imparfaitement à nos "théories", nos équations d'ajustement. C'est pour cette raison que nous avons besoin de savoir avec quelle probabilité il y a ou non concordance. Il nous faut des méthodes de mesure toujours plus précises, et il nous faut valider, afin de savoir ce qu'il en est de nos résultats.


Leur "importance" ? C'est là une autre question, bien difficile, et je propose de transposer cette phrase "la vertu est sa propre récompense" à nos études scientifiques : au lieu d'en chercher l'importance, utilisons bien notre temps à savoir si les résultats que nous produisons sont dignes d'être affichés, publiés. Validons, validons, et validons encore !

mercredi 2 août 2017

Qui peut signer les articles scientifiques ?

 Je me souviens d'un billet que j'ai fait, à propos des signataires des articles scientifiques : qui peut signer ? qui ne doit pas signer. Mais la lecture du {Responsible Science} de l'Académie américaine des sciences me fait tomber sur une idées un peu différente, que je livre d'abord sans commentaires :

{Conferring or requesting authorship on the basis of a specialized service or contribution that is not significantly related to the research reported in the paper. }

 Il ne faut  donc pas faire signer, ou demander de faire signer des collègues sur la base d'un service ou d'une contribution qui n'est pas significativement reliée au travail rapporté dans l'article. Dans cet énoncé, il manque donc cet "accepter de faire signer" que j'avais discuté précédemment. Mais, surtout, tout tient dans le "significativement" : c'est là que s'introduit le diable.

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Dans le travail scientifique, il y a en effet :
- l'identification des phénomènes que l'on explore  : évidemment, c'est une étape essentielle, puisque en découle tout le reste, et c'est donc "significatif". Bien sûr, il y a le cas où un phénomène est mal identifié, et l'on peut imaginer que quelqu'un vienne ensuite pour finir l'identification, et mettre le phénomène dans toute la lumière qui permet l'étude : là encore, j'ai l'impression que c'est significatif
- puis vient la caractérisation quantitative du phénomène, et il y a là un travail technique, qui se divise en
    - préparation de l'expérience
    - préparation des échantillons
    - analyse des échantillons
    - analyse des résultats
 Sans toutes  ces étapes, rien n'existe, de sorte que tout semble "significatif"... à cela près que, pour chaque étape, il peut y avoir une exécution complète, ou une partie d'exécution. Par exemple, pour la préparation des échantillons, il faudra avoir lavé la verrerie afin de faire des mesures "propres" : un simple travail de "plonge" est-il significatif ? Bien sûr, il est indispensable, car il détermine la qualité des résultats ; mais significatif ? Par exemple, la sauvegarde des fichiers de données est essentielle à l'activité du laboratoire, mais l'informaticien qui organise ces sauvegardes doit-il figurer parmi les auteurs ? Et le personnel administratif, sans lequel rien ne pourrait avoir lieu ?
A l'inverse, si l'on considère que la science est une activité intellectuelle, de création, on pourrait arguer que seuls les concepteurs de l'expérience, les créateurs de théorie, méritent de figurer parmi les auteurs... mais on tombe alors dans un excès inverse.
Décidément, les Grecs antiques avaient raison de prôner la modération en toute chose, et, dans ce débat des signataires d'un article, rien ne remplacera un peut de jugeotte... et d'honnêteté.

- le phénomène étant caractérisé quantitativement, il faut réunir les données en lois synthétiques : là, il est plus clair que le travail mérite signature

- puis peut s'élaborer une théorie, à partir des équations identifiées : c'est là que vient l'étape d'induction, parfaitement scientifique

- de la théorie, on déduit une conclusion testable : encore un travail sans ambiguïté

- puis on teste expérimentalement la prévision théorique : et là, on retrouve que ce que nous avons dit à propos de la caractérisation quantitative du phénomène.

On le voit : la question est grave. Et on ne la résout qu'au prix de beaucoup de réflexion, d'intelligence, d'honnêteté.