mercredi 11 novembre 2015

Il faut s'amuser à faire des choses passionnantes

Pardonnez-moi un souvenir personnel, mais il nous donnera un exemple à propos duquel nous pourrons discuter.
Il y a quelques années, interviewé par une radio nationale,  j'avais déclaré je m'amusais beaucoup dans mon laboratoire (et c'est encore le cas aujourd'hui, peut-être encore plus que par le passé). Cette déclaration n'était pas une naïveté lâchée sans réflexion, mais, au contraire, une volonté de faire partager de l'enthousiasme, de susciter des vocations, pour les sciences de la nature ou pour la technologie, pour la vie en général : on se souvient que je crois que c'est une politesse que de ne pas se plaindre tout le temps, et, au contraire, d'être aussi positif que possible.
Bref, j'avais dit que je m'amusais  beaucoup... et je n'étais pas encore rentré au laboratoire (vite, au laboratoire, puisque c'est l'un des plus beaux endroits du monde... pour moi) que je recevais un appel téléphonique de la Direction de la Communication d'une Institution Scientifique (on comprend mon usage ironique des majuscules) qui me disait qu'il ne fallait pas faire de déclaration de ce type, que je devais pas dire que je m'amusais alors que d'autres sont au chômage, ou travaillent à la chaîne.
A l'époque, j'avais repoussé leur argument (après tout, ce n'était pas mon employeur), et, aujourd'hui, je maintiens que la position de mes interlocuteurs était idiote !Oui, je "m'amuse beaucoup"... mais que cela signifie-t-il ? Cela signifie que, du matin au soir, les week-end, pendant les vacances que je ne prends pas (et mon institution actuelle me le reproche), je ne cesse de chercher à produire de la Connaissance ! Oui, je m'amuse... sans quoi je changerais immédiatement de métier. Et je peux garantir aux contribuables que, avec mon "amusement" (on pourrait tout  aussi bien dire "travail"), l'état qui m'emploie en a pour son argent !
Oubliées les 35 heures, puisqu'il s'agit d'en faire 105, et que j'en ferais volontiers plus si j'en avais la force physique.
Oui, je m'"amuse", mais mes interlocuteurs de l'époque auraient eu raison de se demander un peu ce que  signifie "amuser". Oui,  je maintiens le mot "amuser", puisqu'il dérive de muser,  «s'appliquer, réfléchir, penser mûrement à» (Id., ibid., III, 161); 2. 1174-87 id. «aspirer, prétendre à, chercher à obtenir» (Chrétien de Troyes, Perceval, éd. F. Lecoy, 245).
S'amuser à faire son métier, n'est-ce pas la meilleure garantie de faire son travail, son métier, avec ardeur ? Et pourquoi aurait-on honte  du  bonheur d'un métier ? Ne peut-on, au contraire, souhaiter cela à tous ? Bien sûr, on n'a pas toujours  un métier merveilleux en claquant des doigts, et je gagne aujourd'hui ce que j'ai "payé" en n'allant pas "au bistrot" plus jeune : les compétences mathématiques s'obtiennent à une table de travail, seul, dans le "silence d'un cabinet".
Mais il faut aussi considérer le point suivant : ce qui est pour moi un "amusement" serait une punition pour d'autres. Des goûts  et des couleurs, on ne discute pas. Moi, les équations m'amusent, mais j'ai rencontré bien des étudiants pour qui cela était punition. La conclusion : c'est qu'il faut approprier le métier à l'individu. Tel qui aime les équations s'amusera à un métier où il en fait, et tel qui ne les aime  pas ne devra pas avoir ce métier. Autrement dit, nous devons tous choisir un métier qui nous amuse, mais ce choix est personnel, et nous n'aurons les  moyens de choisir que si nous  nous donnnons ces moyens.
N'est-ce pas un message à faire passer à tous les étudiants  : chers amis, ne perdez pas une seconde, et appliquez-vous à obtenir les compétences qui vous permettront d'avoir le métier que vous aimez, et que vous ferez alors... en vous amusant ! Pensez à l'image d'un poulain lâché dans le pré, au printemps : quand je suis au laboratoire, c'est ainsi. Je vous le souhaite de tout coeur !



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