mercredi 31 juillet 2013

Mercredi 31 juillet 2013. Battre la pâte à crêpes ?




Les crêpières ont-elles raison de dire que la pâte doit être bien battue ? J'ai rencontré cette question il y a bien longtemps, alors que, travaillant dans une crêperie, en Bretagne, j'étais notamment chargé de la préparation de la pâte à crêpes et à galettes.
J'utilisais alors une énorme bassine en plastique bien propre, où je mettais de la farine de blé noir, du lait, de l'eau, du sel. Pas d'oeufs, évidemment, car la tradition bretonne n'en préconise pas, limitant les oeufs aux crêpes de froment ; pour la galette de sarrasin, ou blé noir, l'oeuf changerait le goût de la pâte, ferait perdre son caractère puissant.
Je me mettais alors torse nu, puis je mélangeais les ingrédients, à la main, jusqu'à ce que la pâte soit lisse. Toutefois les crêpières avaient observé que, lorsqu'elles utilisaient cette pâte, les galettes collaient parfois au bilic (l'instrument sur lequel on cuit crêpes et galettes), alors que, d'autres fois, elles ne collaient pas. Nous avions identifié que les galettes semblaient moins coller quand, lors de la préparation de la pâte, je l'aérais, en soulevant la pâte de la paume de la main, et en la lançant vers la bassine, afin de faire cloquer, de faire apparaître de grosses bulles d'air.
Il semblait... Il semblait, mais comment en avoir le coeur net ? Dans le feu du travail d'une crêperie, il y a peu de place pour des expérimentations, et je me posais la question depuis 35 ans... Finalement, l'introduction d'air dans la pâte à galettes a-t-il un effet sur la confection des galettes de blé noir ? Passons sur le pléonasme « galettes de blé noir », car les vraies galettes sont toujours obligatoirement de blé noir, mais conservons la question : l'introduction d'air change-t-il quelque chose aux résultats ?
Le test s'est finalement fait correctement sur le stand d'AgroParisTech, au Salon de l'agriculture, en public, où nous avons introduit de l'air n'ont pas la main, mais avec un batteur électrique. Une pâte à galette été divisée en deux moitiés, dont l'une était fortement aérées au batteur électrique, et l'autre non. Puis des galettes ont été produites à partir de ces deux pâtes, non pas sur un bilic, mais dans une même poêle, sur le même feu...
Le résultat a été spectaculaire : oui il y a une différence considérable entre les galettes bien aérées et les galettes qui n'ont pas été battues. Pourquoi ? Je n'en sais toujours rien, mais je sais que l'expérience nous a fait progresser. Après des décennies d'incertitude, nous avons maintenant un résultat assez bien établie : il y a une différence entre des pâtes bien aérées et des pâtes qui n'ont pas été aérées. D'autres pourront maintenant monter sur dce socle, pour poursuivre le travail d'analyse, et identifier les mécanismes des phénomènes établis.
A vous !

lundi 29 juillet 2013

Lundi 29 juillet 2013. Des questions. Comment perfectionner la vulgarisation scientifique ?


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Pour expliquer pourquoi la vulgarisation scientifique (certains disent « médiation », mais, après plusieurs décennies d'exercice, je crois que la différence est sans intérêt), prenons deux exemples : la loi d'Ohm et l'effet photoélectrique.

Au XIXe siècle, le physicien allemand Georg Simon Ohm mesure des différences de potentiel (pensons à une chute d'eau) associées à des intensités de courant (pensons au débit), en faisant passer divers courants électrique dans un même conducteur (pensons à une tige métallique), et il découvre que le rapport, le quotient, de la différence de potentiel par l'intensité du courant est constant, pour un même conducteur : il nomme « résistance électrique » de ce conducteur particulier le quotient obtenu.
Jusque là, la vulgarisation-récit se tient. Pour expliquer la découverte (croyez-moi, je peux faire mieux que cela, mais l'objectif, ici, n'est pas d'expliquer la loi d'Ohm), il a suffi d'imposer aux interlocuteurs une simple division.
Pourquoi la loi d'Ohm s'observe-t-elle, quand on dispose d'outils scientifiques du XIXe siècle ? En soi, une loi est sans intérêt autre que technique, mais, pour parler de science, il faut poursuivre l'explication, chercher les mécanismes qui sont derrière la loi, et, en l'occurrence, discuter la notion d'électrons et leur propagation dans les conducteurs.
Présenter des électrons ? On pourra encore recourir à une expérience : celle d'un tube de Crookes, par exemple, un tube où l'on fait le vide et où l'on applique une différence de potentiel électrique (on branche une pile, en pratique) entre deux électrodes, placées aux extrémités du tube. Encore un récit. Et pour décrire le propagation des électrons dans un conducteur ?O n pourra sans doute, à nouveau, se limiter à une description en mots.
D'ailleurs, le physicien Stephen Hawkings, qui publia un livre de vulgarisation pas extraordinaire, mais qui eut du succès, y explique que son éditeur lui avait dit d'éviter les équations, sous peine que le livre ne se vende pas. Voilà donc l'état de la vulgarisation scientifique, en ce début du XXIe siècle. Des récits, des récits que l'on est invité à croire, sans pouvoir juger. Bref, la vulgarisation scientifique est une information par croyance, alors que les Lumières auraient préféré, n'est-ce pas, qu'elle sollicite la Raison !
Oui, au fond, qui nous prouve que ces récits sont exacts ? Que ce ne sont pas de fantasmagoriques élucubrations, comme le sont les récits des pseudo-sciences ? Les sciences quantitatives ont cela de merveilleux que ce sont pas des récits au hasard, que ce ne sont pas des divagations : parmi l'ensemble des possibilités de mécanismes, c'est l'adéquation des mesures à la théorie qui conduit à la sélection d'un ou de plusieurs mécanismes admissibles.

Passons au second exemple : l'effet photoélectrique, étudié par Albert Einstein, en 1905. Cette fois, le récit consiste à expliquer que l'on place deux plaques métalliques en vis-à-vis, à l'intérieur d'un tube en verre où l'on a fait le vide, et l'on applique une différence de potentiel modérée entre les deux plaques. Rien ne se passe.
Puis on éclaire une des plaques, à l'aide d'une lumière de longueur particulière, par exemple du rouge. Rien ne se passe. On augmente l'intensité de la lumière, ce qui correspond à une énergie de plus en plus grande, et rien ne se passe.
On change alors la longueur d'onde de la lumière, passant du rouge au bleu, par exemple, et, soudain, pour une longueur de particulière, un courant électrique se met à passer entre les plaques.
Jusque là, on a expliqué le phénomène par un recours à l'expérience ; on a décrit le phénomène, par un récit, mais comment expliquer le phénomène ?
Cette fois, le recours à une simple division ne suffit plus. Pour autant, le calcul, dans ce cas, n'est pas difficile ; il est à la portée d'un étudiant de baccalauréat. Mais c'est le calcul qui dit tout !
Bien sûr, on aurait pu « expliquer » que la lumière est faite de « grains » nommés photons, chacun porteur d'une énergie particulière, mais comment expliquer l'effet photoélectrique ? Seul le calcul en donne une explication, et ce n'est pas la transcription du calcul avec des mots du langage naturel qui aide à comprendre. Au contraire même : les phrases deviennent très longues, les notions s'enchaînent les unes aux autres, et l'on découvre à cette occasion que le calcul formel, où des notions comme l'énergie, la masse... sont remplacés par les lettres E, m..., est bien plus efficace pour la compréhension que la description avec des mots.
La description avec des mots ne donne pas de compréhension des phénomènes, et seul le calcul - très simple- permet de comprendre combien le travail d'Einstein, dans ces circonstances, était merveilleux.
Et puis, il y la question de la sélection d'un récit parmi d'autres, qui doit être considérée. Pour expliquer un phénomènes, on peut invoquer mille mécanismes, mais les sciences quantitatives, je l'ai déjà écrit dans d'autres billets, ont cette particularité que le calcul permet de faire la sélection. Le recours aux nombres, aux notions formelles du calcul, la considération que le monde est écrit en langage mathématique... C'est cela, la science, et non un récit qui s'apparente... ôsons le mot, à celui des religions. Il ne s'agit pas de foi, mais d'émerveillement de voir le monde fonctionner selon des lois formelles toujours insuffisantes, certes, mais de plus en plus précisément collées aux phénomènes.

De ce fait, je crois que la vraie tâche de la vulgarisation, c'est donc d'expliquer les calculs, et de ne pas se limiter à des récits. C'est une tâche difficile, merveilleuse, qui nécessite des talents nouveaux, des énergies puissantes, des esprits tout tendus vers cet objctif remarquable.
La vulgarisation scientifique évoluera-t-elle, au XXIe siècle, de façon qu'elle devienne enfin capable de considérer la vraie activité scientifique ?

dimanche 28 juillet 2013

Montaigne

Il y a quelques semaines, j'avais fait état de ce merveilleux proverbe alsacien "Mer isch was mer mocht", nous sommes ce que nous faisons.

Et Michel de Montaigne disait : "Chaque parcelle, chaque occupation de l'homme l'accuse et le montre également qu'une autre".


(Montaigne, Les Essais, Livre I, chapitre L)

Dimanche 28 juillet 2013. Les connaissances et les compétences.




On me connait : je répète que je ne suis pas assuré de mes certitudes. Alors, de mes incertitudes...
En revanche, j'ai la naïveté, le courage (je vois déjà quelques commentaires que je n'afficherai pas ; pardon, mais le ton doit rester mesuré), l'inconscience de discuter d'enseignement. Et pis, je le fais au mépris de la règle qui réclame une saine recherhe bibliographique en préalable aux discussions « scientifiques » (ici, j'écris le mot dans l'acception « savoir général », et pas « sciences quantitatives »). Plus spécifiquement, de la différence entre les connaissances et les compétences.

Il me semble que les compétences sont plus difficiles à obtenir que les connaissances. Ces dernières peuvent se transmettre par des « récits », tandis que les compétences mettent étudiants en situation d'autonomie, souhaitable si l'on veut qu'il devienne secouer le carcan du « Maître ».

Un exemple, l'utilisation de l'expression de l'entropie en fonction du nombre d'états microscopiques (une merveilleuse loi qui s'exprime par S = k ln Ω, où S représente l'entropie, k la constante de Boltzmann, égale à 1,3806488 × 10-23 m2 kg s-2 K-1, ln la fonction logarithme népérien, et Ω le nombre de configurations microscopiques associées à un état macroscopique).
La connaissance, dans ce cas, n'est pas compliquée, puisqu'elle se réduit à une définition que même un âne finira par apprendre par coeur pourvu qu'on lui donne carottes et bâton, mais c'est la compétence que l'on doit viser, à savoir que les étudiants, connaissant bien la loi, doivent finir par avoir le quasi réflexe de chercher à l'appliquer, chaque fois qu'ils sont en présence d'un nombre de configurations microscopiques et qu'ils envisagent les questions d'énergie, dont l'entropie (oui : multipliée par la température et avec un signe moins) est une composante.
Rien de difficile, dans cette affaire, mais il faut de la familiarité, et éviter que les étudiants considèrent que l'apprentissage de ces notions est une « peau d'âne », dont ils doivent se débarrasser le plus vite possible après l'examen. D'ailleurs, ajoutons que ce type de connaissances/compétences sont très « locales », et méritent évidemment être placées dans un cadre explicatif plus général. Pour dire les choses très simplement, la plus simple des « lois de la nature » (pensons à U = R . I si l'on a les compétences scientifiques du lycée) doit être apprise dans les conditions de son application (la loi d'Ohm précédente n'est valable que tant que le courant est limité, sans quoi le conducteur chauffe et fond, de sorte que la loi ne s'applique plus). Bref, il n'est pas interdit de réfléchir, quand on apprend.
Il y a quelques jours, dans notre « étincelle scientifique du matin » (une réunion du Groupe INRA/AgroParisTech comme il y en a tous les matins, et où l'on discute des points scientifiques, des molécules, des livres), nous avons ainsi vu comment calculer la pression de Laplace : en substance, dans une bulle d'air, au sein d'une mousse, il y a une pression d'autant plus grande que la bulle est petite ; et cette pression conduit à la rupture des mousses, les petites bulles, sous forte pression, se vidant au profit des grosses bulles, où la pression est moindre).
La démonstration que les étudiants ont suivie, et qui établissait l'expression mathématique de la pression de Laplace, relevait des connaissances, et l'application au calcul de la hauteur de montée capillaire (qui en résulte), elle, peut en devenir une simple application. Lors de cette application, on s'aperçoit qu'il faut savoir des faits simples, à savoir la variation de pression en fonction de la hauteur dans un liquide, ou le fait qu'à la surface d'un liquide, la pression est égale à la pression atmosphérique. Il y a donc un exercice à proposer pour passer de la force à la hauteur de montée capillaire.
Supposons que, face à ce travail opposé, les étudiants « sèchent ». Que faut-il faire ? Bien sûr, aujourd'hui, ils trouveront en ligne la solution de l'exercice, mais s'ils se contentent de lire cette solution, ils resteront du côté de la connaissance, et ne passeront pas du côté de la compétence. La compétence, c'est donc un travail personnel qui, dans ce cas particulier, consiste à mettre en oeuvre les connaissances.
D'où la question : une compétence est-elle toujours la capacité de mettre en oeuvre des connaissances ?


Note : il y a des cours qui se font par des excercices. On en évidemment conduit à penser que, si ces cours sont bien faits dans le détail, ils seront efficaces, n'est-ce pas ?

Note de la note : à condition que les étudiants n'aillent pas trop vite, ne sautent pas des étapes pourtant bien organisées, dans les cours bien faits.

Note de la note de la note : on n'oublie pas, dans toute cette discussion, que, suivant l'exemple de Michel Eugène Chevreul, je cherche à devenir un jour le doyen des étudiants de France !

Une lettre de Jules Ferry

Jules Ferry (1832-1893),
Circulaire connue sous le nom de « Lettre aux instituteurs », 17 novembre 1883
(in Discours et opinions de Jules Ferry, IV, Armand Colin et Cie, 1896, p. 259-267)


Monsieur l’Instituteur,

L’année scolaire qui vient de s’ouvrir sera la seconde année d’application de la loi du 28 mars 1882. Je ne veux pas la laisser commencer sans vous adresser personnellement quelques recommandations qui sans doute ne vous paraîtront pas superflues, après la première expérience que vous venez de faire du régime nouveau. Des diverses obligations qu’il vous impose, celle assurément qui vous tient le plus au cœur, celle qui vous apporte le plus lourd surcroît de travail et de souci, c’est la mission qui vous est confiée de donner à vos élèves l’éducation morale et l’instruction civique : vous me saurez gré de répondre à vos préoccupations en essayant de bien fixer le caractère et l’objet de ce nouvel enseignement ; et, pour y mieux réussir, vous me permettrez de me mettre un instant à votre place, afin de vous montrer par des exemples empruntés au détail même de vos fonctions, comment vous pourrez remplir, à cet égard, tout votre devoir, et rien que votre devoir.

La loi du 28 mars se caractérise par deux dispositions qui se complètent sans se
contredire : d’une part, elle met en dehors du programme obligatoire l’enseignement de tout dogme particulier ; d’autre part, elle y place au premier rang l’enseignement moral et civique. L’instruction religieuse appartient aux familles et à l’Église, l’instruction morale à l’école.
Le législateur n’a donc pas entendu faire une œuvre purement négative. Sans doute il a eu pour premier objet de séparer l’école de l’Église, d’assurer la liberté de conscience et des maîtres et des élèves, de distinguer enfin deux domaines trop longtemps confondus : celui des croyances, qui sont personnelles, libres et variables, et celui des connaissances, qui sont communes et indispensables à tous, de l’aveu de tous.

Mais il y a autre chose dans la loi du 28 mars : elle affirme la volonté de fonder chez nous une éducation nationale et de la fonder sur des notions du devoir et du droit que le législateur n’hésite pas à inscrire au nombre des premières vérités que nul ne peut ignorer. Pour cette partie capitale de l’éducation, c’est sur vous, Monsieur, que les pouvoirs publics ont compté. En vous dispensant de l’enseignement religieux, on n’a pas songé à vous décharger de l’enseignement moral ; c’eût été vous enlever ce qui fait la dignité de votre profession. Au contraire, il a paru tout naturel que l’instituteur, en même temps qu’il apprend aux enfants à lire et à écrire, leur enseigne aussi ces règles élémentaires de la vie morale qui ne sont pas moins universellement acceptées que celles du langage ou du calcul.

En vous conférant de telles fonctions, le Parlement s’est-il trompé ? A-t-il trop
présumé de vos forces, de votre bon vouloir, de votre compétence ? Assurément
il eût encouru ce reproche s’il avait imaginé de charger tout à coup quatre-vingt
mille instituteurs et institutrices d’une sorte de cours ex professo, sur les principes, les origines et les fins dernières de la morale. Mais qui jamais a conçu rien de semblable ? Au lendemain même du vote de la loi, le Conseil supérieur de l’Instruction publique a pris soin de vous expliquer ce qu’on attendait de vous, et il l’a fait en termes qui défient toute équivoque. Vous trouverez ci-inclus un exemplaire des programmes qu’il a approuvés et qui sont pour vous le plus précieux commentaire de la loi : je ne saurais trop vous recommander de les relire et de vous en inspirer. Vous y puiserez la réponse aux deux critiques opposées qui vous parviennent. Les uns vous disent : « Votre tâche d’éducateur moral est impossible à remplir. » Les autres : « Elle est banale et insignifiante. » C’est placer le but ou trop haut ou trop bas. Laissez-moi vous expliquer que la tâche n’est ni au-dessus de vos forces ni au-dessous de votre estime ; qu’elle est très limitée, et pourtant d’une grande importance ; extrêmement simple, mais extrêmement difficile.

J’ai dit que votre rôle, en matière d’éducation morale, est très limité. Vous n’avez
à enseigner, à proprement parler, rien de nouveau, rien qui ne vous soit familier
comme à tous les honnêtes gens. Et, quand on vous parle de mission et d’apostolat, vous n’allez pas vous y méprendre ; vous n’êtes point l’apôtre d’un nouvel Évangile : le législateur n’a voulu faire de vous ni un philosophe ni un théologien improvisé. Il ne vous demande rien qu’on ne puisse demander à tout homme de cœur et de sens. Il est impossible que vous voyiez chaque jour tous ces enfants qui se pressent autour de vous, écoutant vos leçons, observant votre conduite, s’inspirant de vos exemples, à l’âge où l’esprit s’éveille, où le cœur s’ouvre, où la mémoire s’enrichit, sans que l’idée vous vienne aussitôt de profiter de cette docilité, de cette confiance, pour leur transmettre, avec les connaissances scolaires proprement dites, les principes mêmes de la morale, j’entends simplement cette bonne et antique morale que nous avons reçue de nos pères et mères et que nous nous honorons tous de suivre dans les relations de la vie, sans nous mettre en peine d’en discuter les bases philosophiques. Vous êtes l’auxiliaire et, à certains égards, le suppléant du père de famille : parlez donc à son enfant comme vous voudriez que l’on parlât au vôtre ; avec force et autorité, toute les fois qu’il s’agit d’une vérité incontestée, d’un précepte de la morale commune ; avec la plus grande réserve, dès que vous risquez d’effleurer un sentiment religieux dont vous n’êtes pas juge.

Si parfois vous étiez embarrassé pour savoir jusqu’où il vous est permis d’aller dans votre enseignement moral, voici une règle pratique à laquelle vous pourrez vous tenir. Au moment de proposer aux élèves un précepte, une maxime quelconque, demandez-vous s’il se trouve à votre connaissance un seul honnête homme qui puisse être froissé de ce que vous allez dire. Demandez-vous si un père de famille, je dis un seul, présent à votre classe et vous écoutant pourrait de bonne foi refuser son assentiment à ce qu’il vous entendrait dire. Si oui, abstenez-vous de le dire, sinon, parlez hardiment : car ce que vous allez communiquer à l’enfant, ce n’est pas votre propre sagesse ; c’est la sagesse du genre humain, c’est une de ces idées d’ordre universel que plusieurs siècles de civilisation ont fait entrer dans le patrimoine de l’humanité. Si étroit que vous semble peut-être un cercle d’action ainsi tracé, faites-vous un devoir d’honneur de n’en jamais sortir ; restez en deçà de cette limite plutôt que vous exposer à la franchir : vous ne toucherez jamais avec trop de scrupule à cette chose délicate et sacrée, qui est la conscience de l’enfant.

Mais une fois que vous vous êtes ainsi loyalement enfermé dans l’humble et sûre
région de la morale usuelle, que vous demande-t-on ? Des discours ? Des dissertations savantes ? De brillants exposés, un docte enseignement ? Non ! La famille et la société vous demandent de les aider à bien élever leurs enfants, à en faire des honnêtes gens. C’est dire qu’elles attendent de vous non des paroles, mais des actes, non pas un enseignement de plus à inscrire au programme, mais un service tout pratique que vous pouvez rendre au pays plutôt encore comme homme que comme professeur.

Il ne s’agit plus là d’une série de vérités à démontrer, mais, ce qui est tout autrement laborieux, d’une longue suite d’influences morales à exercer sur ces jeunes êtres, à force de patience, de fermeté, de douceur, d’élévation dans le caractère et de puissance persuasive. On a compté sur vous pour leur apprendre à bien vivre par la manière même dont vous vivrez avec eux et devant eux. On a osé prétendre pour vous que, d’ici à quelques générations, les habitudes et les idées des populations au milieu desquelles vous aurez exercé attestent les bons effets de vos leçons de morale.
Ce sera dans l’histoire un honneur particulier pour notre corps enseignant d’avoir mérité d’inspirer aux Chambres françaises cette opinion qu’il y a dans chaque instituteur, dans chaque institutrice, un auxiliaire naturel du progrès moral et social, une personne dont l’influence ne peut manquer, en quelque sorte, d’élever autour d’elle le niveau des mœurs. Ce rôle est assez beau pour que vous n’éprouviez nul besoin de l’agrandir. D’autres se chargeront plus tard d’achever l’œuvre que vous ébauchez dans l’enfant et d’ajouter à l’enseignement primaire de la morale un complément de culture philosophique ou religieuse.
Pour vous, bornez-vous à l’office que la société vous assigne et qui a aussi sa
noblesse : posez dans l’âme des enfants les premiers et solides fondements de la
simple moralité.

Dans une telle œuvre, vous le savez, Monsieur, ce n’est pas avec des difficultés de théorie et de haute spéculation que vous avez à vous mesurer ; c’est avec des
défauts, des vices, des préjugés grossiers. Ces défauts, il ne s’agit pas de les
condamner – tout le monde ne les condamne-t-il pas ? –, mais de les faire disparaître par une succession de petites victoires, obscurément remportées. Il ne suffit donc pas que vos élèves aient compris et retenu vos leçons ; il faut surtout que leur caractère s’en ressente : ce n’est donc pas dans l’école, c’est surtout hors de l’école qu’on pourra juger ce qu’a valu votre enseignement. Au reste, voulez-vous en juger par vous-même, dès à présent, et voir si votre enseignement est bien engagé dans cette voie, la seule bonne : examinez s’il a déjà conduit vos élèves à quelques réformes pratiques.
Vous leur avez parlé, par exemple, du respect de la loi : si cette leçon ne les empêche pas, au sortir de la classe, de commettre une fraude, un acte, fût-il léger, de contrebande ou de braconnage, vous n’avez rien fait encore ; la leçon de morale n’a pas porté, ou bien vous leur avez expliqué ce que c’est que la justice et que la vérité : en sont-ils assez profondément pénétrés pour aimer mieux avouer une faute que de la dissimuler par un mensonge, pour se refuser à une indélicatesse ou à un passe-droit en leur faveur ? Vous avez flétri l’égoïsme et fait l’éloge du dévouement : ont-ils, le moment d’après, abandonné un camarade en péril pour ne songer qu’à eux-mêmes ? Votre leçon est à recommencer. Et que ces rechutes ne vous découragent pas ! Ce n’est pas l’œuvre d’un jour de former ou de déformer une âme libre. Il y faut beaucoup de leçons sans doute, des lectures, des maximes écrites, copiées, lues et relues : mais il y faut surtout des exercices pratiques, des efforts, des actes, des habitudes. Les enfants ont, en morale, un apprentissage à faire, absolument comme pour la lecture ou le calcul. L’enfant qui sait reconnaître et assembler des lettres ne sait pas encore lire ; celui qui sait les tracer l’une après l’autre ne sait pas écrire. Que manque-t-il à l’un ou à l’autre ? La pratique, l’habitude, la facilité, la rapidité et la sûreté de l’exécution. De même, l’enfant qui répète les premiers préceptes d’instinct ; alors seulement, la morale aura passé de son esprit dans son cœur, et elle passera de là dans sa vie ; il ne pourra plus la désapprendre.

De ce caractère tout pratique de l’éducation morale à l’école primaire, il me
semble facile de tirer les règles qui doivent vous guider dans le choix de vos
moyens d’enseignement.
Une seule méthode vous permettra d’obtenir les résultats que nous souhaitons.
C’est celle que le Conseil supérieur vous a recommandée : peu de formules, peu
d’abstractions, beaucoup d’exemples et surtout d’exemples pris sur le vif de la
réalité. Ces leçons veulent un autre ton, une autre allure que tout le reste de la
classe, je ne sais quoi de plus personnel, de plus intime, de plus grave. Ce n’est
pas le livre qui parle, ce n’est même plus le fonctionnaire ; c’est pour ainsi dire, le père de famille, dans toute la sincérité de sa conviction et de son sentiment.

Est-ce à dire qu’on puisse vous demander de vous répandre en une sorte d’improvisation perpétuelle, sans aliment et sans appui du dehors ? Personne n’y a songé, et, bien loin de vous manquer, les secours extérieurs qui vous sont offerts ne peuvent vous embarrasser que par leur richesse et leur diversité. Des philosophes et des publicistes, dont quelques-uns comptent parmi les plus autorisés de notre temps et de notre pays, ont tenu à l’honneur de se faire vos collaborateurs : ils ont mis à votre disposition ce que leur doctrine a de plus pur et de plus élevé.
 Depuis quelques mois, nous voyons grossir presque de semaine en semaine le
nombre des manuels d’instruction morale et civique. Rien ne prouve mieux le prix que l’opinion publique attache à l’établissement d’une forte culture morale par l’école primaire. L’enseignement laïque de la morale n’est donc estimé ni impossible, ni inutile, puisque la mesure décrétée par le législateur a éveillé aussitôt un si puissant écho dans le pays.
C’est ici cependant qu’il importe de distinguer de plus près entre l’essentiel et l’accessoire, entre l’enseignement moral, qui est obligatoire, et les moyens d’enseignement, qui ne le sont pas. Si quelques personnes, peu au courant de la
pédagogie moderne, ont pu croire que nos livres scolaires d’instruction morale et civique allaient être une sorte de catéchisme nouveau, c’est là une erreur que ni vous, ni vos collègues n’avez pu commettre. Vous savez trop bien que, sous le
régime de libre examen et de libre concurrence qui est le droit commun en matière de librairie classique, aucun livre ne vous arrive imposé par l’autorité universitaire.
Comme tous les ouvrages que vous employez, et plus encore que tous les autres,
le livre de morale est entre vos mains un auxiliaire et rien de plus, un instrument
dont vous vous servez sans vous y asservir.

Les familles se méprendraient sur le caractère de votre enseignement moral, si
elles pouvaient croire qu’il réside surtout dans l’usage exclusif d’un livre, même
excellent. C’est à vous de mettre la vérité morale à la portée de toutes les intelligences, même de celles qui n’auraient pour suivre vos leçons le secours d’aucun manuel ; et ce sera le cas tout d’abord dans le cours élémentaire. Avec de tout jeunes enfants qui commencent seulement à lire, un manuel spécial de morale et d’instruction civique serait manifestement inutile. À ce premier degré, le Conseil supérieur vous recommande, de préférence à l’étude prématurée d’un traité quelconque, ces causeries familières dans la forme, substantielles au fond, ces explications à la suite des lectures et des leçons diverses, ces milles prétextes que vous offrent la classe et la vie de tous les jours pour exercer le sens moral de l’enfant.
Dans le cours moyen, le manuel n’est autre chose qu’un livre de lecture qui s’ajoute à ceux que vous connaissez déjà. Là encore le Conseil, loin de vous prescrire un enchaînement rigoureux de doctrines, a tenu à vous laisser libre de varier vos procédés d’enseignement : le livre n’intervient que pour vous fournir un choix tout fait de bons exemples, de sages maximes et de récits qui mettent la morale en action.
Enfin, dans le cours supérieur, le livre devient surtout un utile moyen de réviser, de fixer et de coordonner : c’est comme le recueil méthodique des principales idées qui doivent se graver dans l’esprit du jeune homme.

Mais, vous le voyez, à ces trois degrés, ce qui importe, ce n’est pas l’action du livre, c’est la vôtre ; il ne faudrait pas que le livre vînt, en quelque sorte, s’interposer entre vos élèves et vous, refroidir votre parole, en émousser l’impression sur l’âme des élèves, vous réduire au rôle de simple répétiteur de la morale. Le livre est fait pour vous, et non vous pour le livre, il est votre conseiller et votre guide, mais c’est vous qui devez rester le guide, et le conseiller par excellence de vos élèves.
Pour donner tous les moyens de nourrir votre enseignement personnel de la substance des meilleurs ouvrages, sans que le hasard des circonstances vous entraîne exclusivement à tel ou tel manuel, je vous envoie la liste complète des traités d’instruction morale ou d’instruction civique qui ont été, cette année, adoptés par les instituteurs dans les diverses académies ; la bibliothèque pédagogique du chef-lieu du canton les recevra du ministère, si elle ne les possède déjà, et les mettra à votre disposition.
Cet examen fait, vous restez libre ou de prendre un de ces ouvrages pour en faire un des livres de lecture habituelle de la classe ; ou bien d’en employer concurremment plusieurs, tous pris, bien entendu, dans la liste générale ci-incluse ; ou bien encore, vous pouvez vous réserver de choisir vous-même, dans différents auteurs, des extraits destinés à être lus, dictés, appris. Il est juste que vous ayez à cet égard autant de liberté que vous avez de responsabilité. Mais, quelque solution que vous préfériez, je ne saurais trop vous le dire, faites toujours bien comprendre que vous mettez votre amour-propre, ou plutôt votre honneur, non pas à adopter tel ou tel livre, mais à faire pénétrer profondément dans les générations l’enseignement pratique des bonnes règles et des bons sentiments.

Il dépend de vous, Monsieur, j’en ai la certitude, de hâter par votre manière d’agir le moment où cet enseignement sera partout non pas seulement accepté, mais apprécié, honoré, aimé comme il mérite de l’être. Les populations mêmes dont on a cherché à exciter les inquiétudes ne résisteront pas longtemps à l’expérience qui se fera sous leurs yeux.
Quand elles vous auront vu à l’œuvre, quand elles reconnaîtront que vous n’avez d’autre arrière-pensée que de leur rendre leurs enfants plus instruits et meilleurs, quand elles remarqueront que vos leçons de morale commencent à produire de l’effet, que leurs enfants rapportent de votre classe de meilleures habitudes, des manières plus douces et plus respectueuses, plus de droiture, plus d’obéissance, plus de goût pour le travail, plus de soumission au devoir, enfin tous les signes d’une incessante amélioration morale, alors la cause de l’école laïque sera gagnée : le bon sens du père et le cœur de la mère ne s’y tromperont pas, et ils n’auront pas besoin qu’on leur apprenne ce qu’ils vous doivent d’estime, de confiance et de gratitude.

J’ai essayé de vous donner, Monsieur, une idée aussi précise que possible d’une partie de votre tâche qui est, à certains égards, nouvelle, qui de toutes est la plus délicate ; permettez-moi d’ajouter que c’est aussi celle qui vous laissera les plus intimes et les plus durables satisfactions. Je serais heureux si j’avais contribué par cette lettre à vous montrer toute l’importance qu’y attache le gouvernement de la République, et si je vous avais décidé à redoubler d’efforts pour préparer à notre pays une génération de bons citoyens.

Recevez, Monsieur l’Instituteur, l’expression de ma considération distinguée.

mercredi 24 juillet 2013

La connaissance par la gourmandise. Aujourd'hui, je voudrais faire l'éloge de la feuille !


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La feuille ? regardons en l'air et voyons les feuilles des arbres. Quelle est leur fonction ? Permettre les échanges entre les arbres et l'air. Les feuilles, très aplaties, sont un merveilleux système pour augmenter les possibilités d'échanges : plus elles sont minces, et plus, à volume constant de feuilles, la surface est grande et les échanges augmentés. Maintenant, si nous baissons le nez, nous voyons les feuilles de papier, par exemple. Là encore, il s'agit de réduire la quantité de matière, pour avoir de grandes surfaces utilisables, pour écrire. Là encore, il s'agit d'échanges avec l'environnement : celui qui écrit.
Cela dit, les feuilles ont bien d'autres caractéristiqus qu'une grande surface, à savoir, par exemple, une très faible résistance perpendiculairement à leur plan et une très grande résistance selon celui-ci. C'est ainsi que l'on peut se couper avec une feuille. On peut aussi, si l'on fait un rouleau avec l'axe verticale, poser une planche dessus et monter sans que le rouleau s'écrase.
Autrement dit les feuilles sont les choses merveilleuses qui ont deux résistances différetes selon la façon dont les aborde.

En bouche, mangeons une feuille de salade et pensons-y : comme la feuille est malaxée entre la langue, le palais et les dents, elle tourne, de sorte qu'elle offre à notre perception soit une résistance très grande, soit une résistance très petite. Autrement dit, les feuilles de salades sont un paysage de consistances sans cesse changeant.
Nous voulons innover en cuisine ? Produisons alors des feuilles. Comment ? Très simplement : commençons par couler du blanc d'oeuf dans une assiette et cuisons : on détache une feuille coagulée. Cela se généralise : imaginons que l'on ait de l'eau et un agent gélifiant, et que l'on coule l'ensemble sur une surface plate ; on récupérera une feuille.
Par exemple, avec de la gélatine, de l'agar-agar, etc., et l'on obtient des feuilles de consistances très différentes. Le goût de ces feuilles ? Il sera celui que l'on aura décidé : par exemple, si l'on a dissout de la gélatine dans du vinaigre chaud, puis qu'on a émulsionné de l'huile dans le vinaigre additionné de gélatine, on obtiendra une émulsion qui, coulée sur une plaque, prendra en feuille, en feuille de vinaigrette.
Et l'on pourra ainsi produire des salades artificielles, avec les feuilles de consistances différentes, et des goût sur-mesure. Ces systèmes ont été nommés salades à la Nollet, du nom de l'abbé Nollet qui fut un pionnier français de électricité. Pour ses prototypes de condensateurs, Nollet utilisait ... des feuilles.
Vive l'abbé Nollet !

mardi 23 juillet 2013

J'ai retrouvé ceci

Coloring matters (Opinion expressed by the SCF, 10 December 1987):

« The Committee is also aware that there have been significant technological advances in the isolation, preparation and extraction of colouring matters from natural sources. The Committee expresses considerable concern at the tendency for foods to be increasingly coloured by so-called « natural » colouring matters and be labeled as such. This tendency results in misinterpretation by the consumer that such product are a priori safe. The Committee deplores this commercial exploitation of the lack of consumer awareness of the situation and recalls its opinion expressed in the 12th Series (on intolerance and hyper sensitivity) and the 14th Series (general safety)."


En voici la traduction :

Matières colorantes (opinion exprimées par le Scientific Comitee of Food, 10 décembre 1987) :
"Le comité est également conscient qu'il y a eu des progrès techniques importants concernant l'isolement, la préparation et l'extraction des matières colorantes à partir de sources naturelles. Le comité exprime des réserves très importante sur la tendance à colorer de plus en plus les aliments à l'aide de prétendues matières colorantes "naturelles", étiquetées comme telles. Cette tendance engendre une incompréhension du public, lui faisant croire que les produits sont a priori sains. Le Comité déplore cette exploitation commerciale  d'une incapacité es consommateurs à évaluer les situations de toxicité alimentaire, et rappelle son opinion exprimée dans les 12 e (sur l'intolérance et l'hypersensibilité) et 14e séries (sécurité générale)".

La science n'aide pas à manger ! Mais ses résultats peuvent être utilisés à cette fin... avec notre responsabilité, pas la sienne !


Je viens de passer devant un kiosque où j'ai vu un gros titre : « Les 30 aliments conseillés par la science ».
Ce titre est choquant, parce que la science ne conseille rien.


Ou, plus exactement, tout est dans le mot « science ». Le mot signifie « savoir », ce qui justifie d'ailleurs que les shs aient raison de se nommer sciences, très légitimement. Toutefois,  l'emploi du mot « science » seul sous-entend, pour la majorité du public, ce qui est nommé par ailleurs « science de la nature », ou « philosophie de la nature », ou « sciences exactes », et que je propose de nommer plutôt « sciences quantitatives ».
Pour cette dernière activité, la méthode invariable est d'identifier un phénomène, de le quantifier (Roger Bacon disait « nombrer »), de synthétiser les données en lois, puis de produire une théorie, que l'on s'efforce de réfuter. Aucune possibilité de « conseiller ».
Plus spécifiquement, en matière d'alimentation, il y a une différence entre la nutrition, qui est la « science quantitative » qui explore les mécanismes de l'alimentation humaine, et la diététique, qui en est l'application technique. Car il est exact que les sciences quantitatives ont deux applications principales : la technique, et la pédagogie. Dans les deux cas, il n'y a pas de conseil, par la « science » (quantitative), et il est tendancieux, donc, de confondre la science et ses applications.

Bref, la science quantitative ne conseille rien, et il est temps de cesser de faire endosser à la science les applications de cette dernière, sans quoi on finira (et c'est le cas) par ne plus croire à la solidité du savoir produit par la science.
Je ne dis évidemment pas que les théories scientifiques sont justes, puisqu'elles sont insuffisantes par nature, mais je dis que, dans une gamme de courants et de tensions, les « lois » telles que la loi d'Ohm (un exemple, seulement un exemple) sont justes à un niveau de détail qui peut être caractérisé sans difficultés. Je dis qu'une feuille de papier A4 est rectangulaire, même si, à la loupe, les bords sont crénelés. Je propose que nous enseignions à ne pas confondre les descriptions aux différents ordres de grandeur, ce que l'on aurait dit autrement en disant « ne pas faire passer le détail avant le gros ».

Aujourd'hui, à propos d'alimentation, les marchands de peur ont tant oeuvré que le public croit qu'il est sans cesse empoisonné par des pesticides alors que
  • les résidus de pesticides sont des résidus
  • 90 pour cent des pesticides sont d'origine naturelle
  • les Français, dès les beaux jours, ne cessent de faire des barbecues, ingurgitant des charges considérables de benzopyrènes cancérogènes (2000 fois plus que dans les produits fumés de l'industrie alimentaire)
  • nos Français (les autres aussi) boivent et fument
  • etc.
    Bref, il règne de l'incohérence, dans l'alimentation, et nos concitoyens ne croient même plus dans les experts.
Cela sera discuté dans un colloque prochain à l'Académie d'agriculture, mais nous avons déjà conclu, lors d'un colloque organisé en juin dernier, qu'il fallait absolument réclamer que les avis des comités d'experts ne soient pas signés par les directeurs d'agences sanitaires, mais par les présidents des comités d'expert, sans quoi nos institutions seraient juges et parties. 
D'aileurs, les experts ne doivent pas prendre la place du politique, qui doit être seul à gérer l'ensemble des décisions, sur la base de « nombres » produits par la science, laquelle doit se cantonner à cette production.

Pour en terminer, la science ne conseille rien, parce qu'elle n'a rien à conseiller. La science se limite à produire des théories qu'elle réfute elle-même. Elle a des applications, technologiques ou pédagogiques.
La diététique ? Là, on ferait bien d'être prudent et d'avoir la mémoire pas trop courte : on nous a refusé le pain il y a quelques décennies, puis on nous l'a conseillé ; on nous a refusé le vin, avant de nous en vanter les mérites à raison d'un verre par jour. Etc. Croyez-vous que les chats échaudés puissent vous croire ? D'ailleurs, les enquêtes récentes ont montré que le public n'a plus confiance ni dans le politique, ni dans les experts... ni dans la presse !
Je crois que, positivement, c'est en proposant de la « bonne monnaie » que l'on chassera la mauvaise. Ne le pensez vous pas également ?

La connaissance par la gourmandise : saler une viande que l'on grille


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On fait griller une viande. Le plus souvent, on la sale, mais faut-il mettre le sel avant la cuisson ? Pendant la cuisson ? Après la cuisson ?
Cette question a fait l'objet d'un de nos séminaires de gastronomie moléculaire, il y a bien longtemps, et l'on n'avait pas trouvé la solution. Toutefois le mérite de notre rencontre avait été de bien poser la question, de voir que certains chefs disaient – j'insiste : « disaient » - qu'il salaient avant la cuisson afin que le sel entre la viande ; d'autres cuisiniers salaient en milieu de cuisson, disant que l'ajout de sel changeait la couleur des viandes ; d'autres enfin salaient en fin de cuisson, expliquant, comme cela est fait dans de nouveaux nombreux ouvrages de cuisine, que le sel tire l'eau de la vainde et l'empêche de bien griller.
Finalement, que faut-il faire ?

Lors de notre séminaire, nous avons donc testé l'ajout de sel en milieu de cuisson pour voir si la couleur changeait... Et nous n'avons pas vu de changement. L'honnêteté de nos amis cuisiniers les a conduits à reconnaître qu'il n'avaient jamais comparé : comparé la même viande, coupée en deux, et cuite pendant le même temps, dans la même poêle, mais avec un seul paramètre qui changeait, à savoir l'ajout de sel ou non.

Mais la question demeurait. Nous avons alors utilisé des méthodes d'analyse complexe pour aller regarder au coeur des viande, et chercher le sel qui se serait éventuellement introduit. Avec ces analyses de microscopie électronique à balayage, nous n'avons pas vu plus de sel dans une entrecôte salée avant la cuisson, ou dans une entrecôte non salée.
Nous en étions là quand il m'est arrivé, quelques années plus tard, de faire griller un steak à la maison. Il s'agissait d'une viande très tendre, et lors de la cuisson, j'ai vu des espèces de crevasses se former entre les faisceaux de fibres. Là, ce fut l'illumination !
On comprend facilement que la viande se fissure, quand elle est très peu collagénique, quand elle est très tendre et qu'on la cuit. En effet, la chaleur évapore l'eau de la viande, de sorte que celle-ci se rétracte ; si le tissu collénique est fragile, parce que la viande tendre, alors les faisceaux de fibres musculaires se séparent et des crevasses se forment. Or des crevasses permettent le phénomène de capillarité !
Imaginons l'on ait salé la viande, mais seulement certaines viandes, avant la cuisson, le sel aura tiré l'eau et formé une solution saline ; si des crevasses se forment, le phénomène de capillarité aura fait entrer l'eau salée dans la viande. Le sel ne sera pas entré dans les fibres musculaires, mais entre les fibres, ce qui, finalement, revient au même du point de vue du salage de la viande que l'on mange.
Quelles viandes sont-elles susceptibles de réagir ainsi ? Difficile de le savoir a priori, mais il est certain que les viandes tendres favoriseront le phénomène.

A ce stade, il faut expliquer qu'une viande est un assemblage de fibres musculaires, des sortes de tuyaux contenant de l'eau et des protéines, comme du blanc d'oeuf. La peau des tuyaux, c'est du tissu collagénique. Les fibres musculaires sont groupées en faisceaus, dans la viande, et les faisceaux sont eux-mêmes groupés en faisceaux de faisceaux, et en faisceaux de faisceaux de faisceaux, et ainsi de suite, toujours par les tissus collagéniques. Les viandes dures sont celles qui contiennent des quantités importantes de tissu collagénique, tandis que les viandes tendres contiennent peu de tissu collagénique, comme dans les poissons, par exemple. Pour ces viandes, comme pour les poissons, la cuisson provoque des contraction de la chair, s'accompagne de la formation de fissures, et c'est ainsi que le sel peut entrer dans certaines viandes.
Voulez-vous saler les viandes à coeur ? Il vous faudra mettre le sel avant la cuisson, ou utiliser bien d'autre possibilités. Par exemple, une fois la viande cuite, quand les crevasses ont été formées, vous pourriez la tremper dans une saumure, de sorte que, par une capillarité très rapide, le sel de la saumure entre dans la viande. Il y a bien d'autres solutions, par exemple utiliser une seringue pour injecter une saumure. Cela c'est l'histoire des intrasauces, imaginée en 1912 par un médecin. Les viandes ainsi traitées se nomment « viande à Pravaz », du nom de l'inventeur de la seringue hypodermique. Et c'est ainsi que les viandes seront bien salées !

lundi 22 juillet 2013

Cessons les incohérences !

Suite à mon article du mois, dans la revue Pour la Science (où j'exposais des dosages récents des glycoalcaloïdes toxiques dans des pommes de terre frites avec leur peau), je reçois des messages tels que :

Heureux rappel d'un "risque naturel" qui est bien réel. En France, dans les années 1950-60, tout le monde savait que les pommes de terre vertes étaient toxiques, et on nous l'enseignait aussi à l'école primaire. Aujourd'hui, au marché, j'ai du mal  faire comprendre au vendeur que je ne veux que des tubercules sans aucun verdissement. Ni lui, ni son patron n'en savent rien, ni ne savent qu'il faut impérativement conserver les pommes de terre à l'abri de la lumière afin de l'éviter.

Si j'en crois H. This, non seulement on en vend, mais aussi on en cuisine en restauration. Alors, Au secours ! 




Et ma réponse est : 
Oui, le public ignore complètement les risques les plus élémentaires (glycoalcaloïdes des peaux de pomme de terre, toxicité du plomb et du cuivre, toxicité de certains métabolites secondaires des végétaux. Il fume, il mange des viandes cuites au barbecue... et il paye plus chers des aliments bio, fait des révolutions contre des résidus de pesticides. Quelle inconséquence ! 

Vos macarons sont irréguliers ?


Pourquoi un macaron peut-il être creux, au centre, au lieu d'être une mousse solide homogène ?
Il y a mille raisons, comme on le verra.
Partons d'un blanc d'oeuf battu et sucré ; la poudre d'amandes ne changerait rien à l'affaire.
Ce qu'il faut savoir, tout d'abord, c'est que cette mousse est un excellent isolant thermique : j'ai souvent montré que si l'on met un thermocouple sous une mousse de blanc d'oeuf, et si l'on chauffe la mousse au chalumeau, la température sous la mousse n'augmente quasiment pas ! En effet, une mousse, c'est comme un super double vitrage, un très bon isolant thermique.
Bref, quand la meringue (ou le macaron, c'est la même chose) cuira, alors la température à coeur n'évoluera que très peu. Donc pas de quoi faire un coeur creux.
Toutefois les meringues et les macarons se font de mille manières différentes : on peut les poser sur une plaque métallique, ou sur un support moins conducteur de la chaleur ; on peut les cuire à four très chaud, ou à four moins chaud...
Supposons, ainsi, que l'on chauffe très fortement un petit tas de blanc sucré sur une plaque métallique placée dans un four pas suffisamment chaud pour faire croûter la surface : alors l'eau de la préparation s'évaporera au contact du métal chauffé... et l'on se souvient qu'un gramme d'eau fait environ un litre de vapeur ; autrement dit, une grande quantité de vapeur apparaîtra, et elle se développera plutôt au centre, quitte à fissurer les macarons, pour s'échapper, si la croûte superficielle n'est pas assez rigide.
Autre cas de figure, à savoir celui des meringues  : on fait croûter en chauffant peu (140 °C), mais longtemps. Pourquoi les 140°C indiqués ? Parce que, au delà, la surface se colore, ce qui est à éviter pour une meringue. On chauffe pendant environ 20 minutes, pour avoir une croûte épaisse, et donc résistante. Si, ensuite, on cuit longuement à 100 °C, on videra la mousse liquide de son eau, la transformant en mousse solide qu'est la meringue.
Une cuisson sur un support peu conducteur ? Alors la croûte sera plus chauffée que la partie interne. Une cuisson à four très chaud ? On colorera.
Et ainsi de suite : les possibilités sont innombrables, selon le résultat que l'on veut obtenir !

dimanche 21 juillet 2013

Réclamons de la lumière !

Lu ce matin dans le tome 4 des Correspondances d'Einstein (CNRS/Le Seuil), une lettre à Solovine où je trouve  :

"Parmi les lectures que j'ai faites à ma soeur le soir, il y a eu celle d'écrits philosophiques d'Aristote. A vrai dire, cela a été une vraie déception ; si ce genre de philosophie n'était pas si obscur et si confus, il ne se serait pas maintenu aussi longtemps. Mais la plupart des gens ont justement un respect sacré des mots qu'ils sont incapables de comprendre ; quand ils peuvent comprendre un auteur, ils y voient un signe qu'il est superficiel."

samedi 20 juillet 2013

Vive la loyauté !


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Je viens de finir la lecture des inscriptions qui figuraient sur un conditionnement de produit alimentaire et je suis bien désolé de vous dire que c'était un immense baratin, encore pire que ce que j'aurais pu attendre. Un énorme mensonge : on y parle de nature, de produits naturels, alors que ce produit a été fabriqué, et que le naturel est ce qui n'a pas fait l'objet d'intervention par l'être humain... Bien peu d'ingrédients alimentaires sont naturels, et aucun aliment n'est naturel. 
 
Oui, aucun aliment n'est naturel, parce que tous les aliments ont été fabriqués. Tous ont fait l'objet de transformations par l'être humain, dans les cuisines domestiques, dans les «laboratoires » des artisans, dans les usines des industriels !
Allons plus loin : j'invite tous mes amis honnêtes à militer très activement contre l'utilisation abusive, déloyale du mot «  naturel » par les industriels ou les artisans de l'alimentaire.
Certes, bien souvent, l'emploi est simplement négligent ou ignorant, mais qui me fera croire que les cabinets de publicité ou de marketing de l'industrie alimentaire ignorent l'usage du mot « naturel » ? D'ailleurs, s'ils utilisaient le mot « naturel » fautivement par ignorance, ce serait encore plus grave ! 
Nous ne devons pas tolérer le mercantilisme déloyal. Luttons, luttons en écrivant aux services consommateurs des sociétés qui produisent ou vendent des aliments, luttons en écrivant aux services de l'État, afin qu'ils sanctionnent les fautifs. Luttons contre la déloyauté, la malhonnêteté !

Sur ce conditionnement, il y avait également une confusion entre goût, saveur, arômes. Cette confusion résultait à vrai dire d'un usage très métaphorique des mots, que leurs auteurs auraient justifié, sans doute, en invoquant le droit à un langage « poétique »... Et il est vrai qu'un marchand disant « Ah mes belles oranges » a le droit pour lui, car le « beau » est personnel. De même, il justifierait son discours « mon produit donne de l'énergie », car tout aliment ou ingrédient alimentaire, stricto sensu, apporte de l'énergie.
Mais on aura compris que, au delà des chicaneries, au delà de la mauvaise foi, je revendique de la loyauté, plus de loyauté qu'il n'est supporté de déloyauté aujourd'hui. 
J'invite tous mes amis honnêtes et loyaux à écrire au législateur pour réclamer plus de sévérité. J'invite tous mes amis des associations de consommateur, tous mes amis des ministères, en charge des produits alimentaires, tous mes amis engagés dans l'action politique, tous mes amis engagés dans l'éducation, à revendiquer, sinon pour nous-mêmes au moins pour nos enfants, à réclamer qu'un grand ménage soit fait. 
 
Même pour les mots qui désignent le goût ? Oui, même pour ces mots ! Il n'est pas nécessaire d'avoir fait de longues études pour être en mesure de dire que le goût est ce que l'on ressent quand on mange un aliment. Par exemple, quand on mange une banane, on a un goût de banane : on ne me fera pas croire que les publicitaires qui travaillent pour l'industrie alimentaire et qui, souvent, sortent des grandes écoles de formation des ingénieurs de commerce, ne sont pas capables de comprendre cela ?
Bref, le goût est une sensation synthétique, qui englobe la perception de la consistance, la perception des saveurs, des odeurs, du piquant et du frais.

Les saveurs ? Elles nous sont données par les cellules réceptrices des papilles, réparties sur la langue. 
C'est un autre combat de lutter contre la théorie fausse des quatre saveurs ; passons aux arômes. Là encore, il y a déloyauté à nommer arôme tout autre chose que ce qu'est un arôme : l'odeur d'une plante aromatique ! Une viande n'a donc pas d'arôme, pas plus qu'un fromage, un vin... Tout simplement, il y a l'odeur de la viande, il y a l'odeur des fromages, mais il y a l'arôme de la ciboulette ou du thym citron... 
Là encore, j'invite le législateur à refuser absolument l'emploi du mot arôme pour toute autre utilisation que l'utilisation juste. 

Il faut faire un grand ménage. Amis, luttons !

vendredi 19 juillet 2013

Pourquoi il est important de former les élèves ingénieurs à la physico-chimie


Des questions et des réponses

A noter que le site http://sites.google.com/site/travau... contient maintenant une page (http://sites.google.com/site/travau...) où divers protocoles de cuisine moléculaire sont donnés
19 juillet 2013 La question
Une question qui revient souvent : celle des cloques sur les pâtisseries. Comment les éviter, sur un petit pain au lait, sur un croissant, par exemple ?
La réponse : Cette question est merveilleuse, parce qu’elle permet de montrer que des étudiants (bien) formés à la physico-chimie peuvent apporter une aide réelle à l’industrie et à l’artisanat alimentaires, ou à tous le monde culinaire. Oui, d’abord, une cloque sur une dorure, c’est disgracieux, et c’est le signe que le praticien a "mal" travaillé. Analysons : s’il y a une cloque, c’est qu’une cloque s’est formée. Si une cloque s’est formée, c’est qu’il y a une raison. Pour faire cloquer, il faut pousser une partie de pâte assez mince, à la surface. Quel est le "moteur" du gonflement ? Ce ne peux pas être la dilatation de l’air, car entre la température ambiante et la température de cuisson, le gonflement n’est que de 30 pour cent, environ. Pas assez pour une cloque. Un seul autre moteur possible, le plus souvent : l’évaporation de l’eau ! Un gramme d’eau fait un litre de vapeur, environ. Ce qui signifie qu’il suffit de 0,00001 g d’eau pour faire une cloque de 5 mm sur 5 mm (environ). De ce fait, il suffit de dépister le dépôt d’eau sous la forme de gouttelettes, lors du travail de la pâte, pour le produit particulier qui est concerné, afin d’identifier la cause du malheur... et de tout corriger ensuite.
On observera pour finir que, sans ces quelques notions de physico-chimie, il est bien difficile de résoudre le problème, parce que le nombre de paramètres mis en oeuvre est quasi infini. Sans piste de départ, on est bien démuni.
N’est-ce pas que les sciences quantitatives (ce que l’on nomme parfois les "sciences dures") sont belles ?

Vendredi 19 juillet 2013. Le TLF


Puisque la science quantitative se fait avec des mots, le calcul formel étant fondé sur le langage, les mots sont importants. Tel était notamment le message de Condillac, puis de Lavoisier... et de bien d'autres.
Les mots : comment les connaître bien ? Il y a des dictionnaires. Toutefois, que valent des dictionnaires publiés par des sociétés d'édition privées, qui n'ont en réalité que leur profit en vue ? Tous ne sont pas médiocres pour autant... car les « auteurs » sont des auteurs de livres, et non pas nécessairement des mercenaires expédiant des tâches hâtivement. Toutefois l'expérience récente d'un dictionnaire populaire qui définissait fautivement la gastronomie moléculaire, et refusait de corriger son erreur, me fait penser que la langue ne peut être confiée à des sociétés privées.
Et c'est pourquoi j'invite tous mes amis à consulter le Trésor de la langue française informatisé, ou TLF, du Centre national de la recherche scientifique et de l'Université de Lorraine. Il est en ligne... et il est remarquable. D'autre, part, comme le sens des mots découle de leur étymologie et de leur histoire, il me faut aussi vous conseiller le site du Centre national de ressources textuelles et lexicales, www.cnrtl.fr/etymologie, également remarquable.
Deux outils essentiels pour parler, écrire, penser, faire de la science !

jeudi 18 juillet 2013

Vive la technologie, surtout quand elle est bien enseignée.


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Dans un précédent billet, je me suis efforcé de bien distinguer la technique, la technologie et les sciences quantitatives.
La technique, c'est le « faire ». Le cuisinier, par exemple, fait un geste technique, il produit des plats, objets matériels. Toutefois la matérialité n'est pas l'apanage de la technique, car un programmeur fait également des gestes techniques, tout comme un médecin (ce n'est pas moi qui le dis, mais le grand Claude Bernard : le médecin doit soigner, produire des soins, malgré les prétentions).
Le technologie ? Il suffit d'examiner les mots : techne, faire, et logos signifie « étude », « connaissance »... La technologie utilise le savoir, les connaissances, pour améliorer les techniques. Là encore la définition n'est pas de moi : c'est celle qui a été retenue pour la classe « Technologie et société » de l'Académie royale des sciences, des arts et des lettres de Belgique.
Enfin, la science quantitative ? Cette fois il s'agit de production de connaissances : comme on l'a vu plusieurs, on recherche les mécanismes font des phénomènes par une méthode nous avons eu l'occasion de décrire font soigneusement.

Comment enseigner la technologie ?
Prenons un exemple : la recherche de gelée claire au goût de vin rouge. Si l'on prend un vin tannique et et si on lui ajoute de la gélatine, un trouble apparaît ; la gelée qui prend n'est pas claire. Comment éviter ce désagrément ? Dans un tel cas, la connaissance des phénomènes qui ont eu lieu donne plusieurs pistes. Notamment les polyphénols des vins rouges, et plus spécifiquement les polyphénols de la classe des tanins, ont la propriété de se lier aux protéines. C'est cela qui est à l'origine du trouble : les agrégats deviennent si gros qu'ils perturbent la propagation de la lumière.
Autrement dit, puisqu'on ne peut pas changer le vin, on pourrait changer l'agent gélifiant : au lieu d'utiliser de la gélatine, qui est une protéine, on pourrait utiliser divers polysaccharides : agar-agar,alginate...

La moralité de cette affaire est claire : la connaissance des résultats scientifiques permet l'action.

De ce fait, de jeunes ingénieurs doivent être formés à la connaissance des résultats scientifiques. Ils doivent apprendre à chercher des résultats... mais la masse de connaissances où ils devront fouiller est immense. Il faudra donc qu'ils apprennent à sélectionner les connaissances qui répondront aux questions qu'ils se posent. Puis viendra l'étape d'utilisation de ces connaissances, le retour à la technique, le « transfert technologique ».

Au total, de jeunes ingénieurs semblent avoir besoin d'au moins quatre compétences essentielles : d'abord ils doivent apprendre à vivre en société, dans cette société particulière qu'est le monde industriel, lequel n'est pas déconnecté du monde général. Dans cette partie de leur éducation, il devrait y avoir de l'éthique, mais aussi le maniement du langage, c'est-à-dire -soyons simples- de l'orthographe, de la grammaire, de la rhétorique, de la logique. Pas grand-chose de neuf depuis Aristote ou Condillac ! D'ailleurs, je n'ai considéré ici que la langue française, mais il y aurait lieu d'apprendre une plusieurs langues étrangères. Plus généralement, regroupons toutes ces matières indispensables sous le nom d'humanités. À côté, il doit y faut un enseignement qui permette de sélectionner des résultats utiles... ce qui suppose qu'il y aura eu un enseignement qui conduit à comprendre les résultats des sciences quantitatives. Enfin, il faut un enseignement du transfert technologique, le travail qui consiste à passer du résultat scientifique à l'application.

Cette vision a des corollaires, et, notamment, elle montre qu'il ne faut pas transformer les ingénieurs en scientifiques. Les ingénieurs n'ont pas à passer leur temps à chercher les mécanisme des phénomènes. Même s'ils sont de remarquables ingénieurs de recherche, leur objectif est technologique. Même si, au cours de leur des travaux technologiques, des innovations surviennent, utiles à l'exercice de la science, les ingénieurs ne semblent pas devoir faire de sciences quantitatives pour autant. Par exemple, au Centre IBM de Zürich, il y a quelques années, M. Rohrer et M. Binnig avaient mis au point un microscope à effet tunnel. Il ne s'agissait pas d'aller explorer les phénomènes, mais bien de mettre au point un microscope. La science a largement fait usage de ces outils, comme Galilée fit usage de la lunette, récemment intentée. Plus généralement, la science utilise très fréquemment les innovations, les nouveaux moyens d'observation, mais la science a ses objectifs et ses méthodes, et la technologie en à d'autres.

Vive la technologie !

mercredi 17 juillet 2013

Assez avec les milles feuilles d'imbéciles !

Mon boulanger pâtissier, cédant à une mode idiote, fait maintenant ses mille-feuilles en mettant les couches verticalement.
Cela fait "original", à la mode, mais c'est imbécile, parce que l'on se fend le palais !


Je le savais, mais j'ai voulu m'en assurer : et je confirme !
(en plus, cet homme fait une chiboust fade, sans intérêt ; bref, il est médiocre, du point de vue du goût)

Moralité : réfléchissons, quand on cuisine !



PS. La question m'est posée : pourquoi se fend-on le palais ? La réponse figurera dans un billet à suivre, sur le "génie des feuilles"

Vive la technologie : le sel glace


Dans un précédent billet, j'ai essayé de montrer comment les objectifs et les chemins, les méthodes, de la science et la technologie étaient différents.
Je donne ici un autre exemple en même temps qu'un ingrédient culinaire : le sel glace.

L'histoire -vraie- est la suivante. Un jour, Pierre Gagnaire se plaignait à moi que le sel de Maldon déposé sur les viandes captait l'eau de celles-ci, formant une flaque, entre le moment ou le sel était déposé au passe, et le moment où l'assiette arrivait sur la table.
Le sel de Maldon ? C'est un sel assez remarquable, coûteux, qui se présente sous la forme de petites plaquettes, avec un croustillant étonnant. Ce sel étant utilisé pour ses particularités de consistances,il était évidemment indispensable que le croquant initial soit préservé.

Comment en aider mon ami ? Analysons : le sel, c'est du sel, c'est-à-dire un matériau qui se dissout très bien dans l'eau, et qui peut même, par un phénomène nommé « osmose » (il faudra que j'explique, une autre fois), tirer l'eau des viandes. Pour éviter que ce sel tire l'eau et s'y dissolve, il semble donc nécessaire de ne pas mettre le sel au contact des viandes. Mais alors, comment déposer le sel ? Une barrière s'imposait. Une barrière aussi mince que possible. De quelle nature ? Les chimistes distinguent bien les matériaux « hydrophiles », tels le sel, et les matériaux hydrophobes... dont le prototype est l'huile.

L'huile ! Et si l'on trempait le sel dans l'huile, avant de le déposer sur la viande ? De la sorte, il se recouvrirait une couche d'huile qui préviendrait la dissolution.
Le test prit quelques instants seulement, et il fut évidemment positif. De sorte que, aujourd'hui, Pierre Gagnaire a, dans ses restaurants du monde entier, de petites coupes pleines de sel et d'huile.

Pour moi, ce travail n'est rien, car j'ai mis en œuvre des idées d'un élève de Collège, et, surtout, il n'a pas conduit à une découverte, le seul véritable objectif des travaux scientifiques. Autrement dit, on n'aura pas le prix Nobel avec une proposition du type de celle que j'avais faite.
Cela, c'était le versant sciences quantitatives ; en revanche, du point de vue technique, la proposition a été jugé extraordinaire, puisqu'elle résolvait un problème véritablement ennuyeux.

Pierre Gagnaire a souvent dit à la presse que cette proposition est ma plus belle découverte. Je n'en suis pas sûr, mais ce que je veux conclure, c'est que la science quantitative et la technologie ou la technique sont des activités bien séparées, différentes.
Je ne mets pas l'une d'elles plus haut que l'autre, car on ne peut guère comparer des pommes avec des poires : il y a de bonnes pommes, et de mauvaises, et il y a de bonne poires, et de mauvaises. Les critères pour classer les pommes ne sont pas ceux pour classer des poires.

Or pour évaluer des activités, scientifiques ou technologiques, ou encore techniques, ne faut-il pas aussi faire usage de critères ?
Il faut des critères particuliers pour la techniques, et d'autres pour les sciences quantitatives.

Vive la technologie !

mardi 16 juillet 2013

Je m'associe

Bonjour

L’ Association Française des Biotechnologies végétales ( AFBV) regrette la décision de l’INRA de renoncer a son expérimentation sur les peupliers transgeniques, l’INRA ayant été contrainte de prendre cette décision par l’absence de réponse du Gouvernement. Vous trouverez ci-dessous la position de l’AFBV sur cet arrêt préjudiciable pour les progres de la recherche sur les biotechnologies végétales et pour notre agriculture.

Bien cordialement

Gil Kressmann
Chargé de la communication de l’AFBV
06 83 46 55 33

Paris le 15 Juillet

COMMUNIQUE DE PRESSE


L’ AFBV REGRETTE QUE LE GOUVERNEMENT N’AIT PAS DONNE A L’ INRA
 SON AUTORISATION DE POURSUIVRE SON EXPERIMENTATION SUR LES PEUPLIERS


L’ Association Française des Biotechnologies végétales (AFBV ) regrette que le gouvernement n’ ait pas autorisé l’INRA à poursuivre son expérimentation sur les peupliers génétiquement modifiés. Cette expérimentation avait en effet pour but d’améliorer des processus de valorisation de la lignocellulose pour en faire du biocarburant de deuxième génération ou pour d’autres applications possibles.

L’arrêt de cette expérimentation confirme une nouvelle fois le déclin de notre pays dans la recherche sur la transgénèse dont on découvre pourtant tous les jours des potentialités nouvelles pour améliorer la génétique des plantes.

Dans ces conditions la recherche publique française pourra t’elle même préserver sa capacité d’expertise qui était pourtant reconnue sur le plan international ?

 L’AFBV craint que ce nouveau renoncement en annonce bien d’autres dans le domaine des biotechnologies végétales alors que celles-ci sont considérées par une majorité d’experts comme une des plus importantes révolutions technologiques du XXIème siècle.

Qui sommes-nous ?
L'AFBV est une ONG créée en juin 2009, strictement indépendante, réunissant des personnes de divers horizons dont le but est d'informer sur la réalité des biotechnologies végétales  en s'appuyant  sur des travaux reconnus par la communauté scientifique et sur l'expertise de ses membres. Elle est présidée par Marc Fellous, Professeur de génétique humaine, ancien Président de la Commission du Génie Biomoléculaire et s'appuie sur un Comité scientifique présidé par Georges Pelletier, Directeur de Recherche émérite INRA, membre de l'Académie des Sciences et membre de l’Académie d’Agriculture.

Elle est parrainée par des personnalités comme Axel Kahn (généticien, Président Université Paris Descartes), Jean-Marie Lehn (prix Nobel de chimie), Maurice Tubiana (Académie des Sciences et Président honoraire de l’Académie de Médecine), François Gros (Secrétaire perpétuel honoraire Académie des Sciences, ancien Directeur Institut Pasteur), Claude Allègre (ancien Directeur Institut physique du globe, ancien Ministre Education et Recherche, Académie des Sciences), Dominique Lecourt (professeur philosophie des Sciences Université D.Diderot), Pierre Joliot ( biologiste, professeur honoraire Collège de France, Académie des Sciences et National Academy of Sciences américaine), Etienne-Emile Baulieu (professeur honoraire au Collège de France, ancien Président de l’Académie des Sciences)
Elle est soutenue par des personnalités européennes comme Marc Van Montagu, créateur de la première plante transgénique en Europe et Ingo Potrykus,professeur émérite en sciences végétales au Swiss Federal Institute of Technology, Président de «Humanitarian Golden Rice Board»

Parmi ses adhérents, l'AFBV compte 44 chercheurs de la Recherche publique dont 21 Directeurs de Recherche (INRA, CNRS, CIRAD, IRD, INSERM), 20 Académiciens (Sciences, Médecine,  Agriculture, Technologies, Pharmacie,Vétérinaire), d'anciens Directeurs d'Instituts (Institut Pasteur, INRA, CIRAD), des professeurs, des chercheurs et cadres de la Recherche privée et du secteur public, de nombreux agronomes, de nombreux agriculteurs souvent responsables d’organisations professionnelles agricoles mais aussi des personnes issues de la société civile.

Site Internet : www.biotechnologies-vegetales.com


Vive les sciences quantitatives, puisqu'elles cherchent sans cesse à « valider


--> Lors d'un précédent billet, j'ai vanté l'intelligence remarquable de la méthode mise en oeuvre par les sciences quantitatives. Ici, je voudrais faire part d'une caractéristique merveilleuse et hélas trop méconnue des sciences quantitative : la validation.
C'est quelque chose qui n'est guère enseigné au collège, au lycée, ou même à l'université. Au mieux, on nous dit qu'il faut « vérifier » les calculs, en les refaisant, en faisant une estimation du résultat, un ordre de grandeur, afin de voir que le résultat obtenu n'est pas exorbitant. C'est bien insuffisant, toutefois.
Or la validation est quelque chose de vraiment essentiel, et il faut répéter qu'il n'y a pas de travail scientifique sans beaucoup de validation.

De quoi s'agit-il ? Il s'agit de considérer, d'une certaine façon, que le diable est caché derrière tout résultat expérimental, derrière tout calcul. De ce fait, nous devons considérer a priori que nos résultats scientifiques, sont faux.
Oui, nos propres résultats, ces résultats que nous avons obtenus à la sueur de notre front, sont biaisés, gauchis, erronés, fautifs... Malgré tous le soin avec lequel nous avons préparé nos expériences, malgré tout le temps que nous avons consacré à nos études, nous devons craindre d'avoir laissé passer des erreurs, tels des poissons dans un filet percé. De même pour les calculs : même s'ils nous ont fait transpiré, même si nous avons séché pendant des jours, nous devons craindre qu'ils soient faux.

En conséquence de quoi nous devons trouver des moyens de tester les résultats expérimentaux, les calculs.
Au minimum, au tout petit minimum, une expérience doit être refaite plusieurs fois de suite. Pour les calculs, c'est une autre affaire, bien plus intéressante, et je propose de discuter cela une autre fois.
Revenons donc aux expériences et à leurs résultat. Il s'agit donc de refaire les expériences, mais pas de les refaire « automatiquement », telles des machines, pas les refaire à l'identique, sans quoi, évidemment, les mêmes erreurs se produiront à nouveau. Il s'agit de les refaire en exerçant un esprit critique, en remettant en question tous les gestes qui ont été faits pour pour la production du résultat. Non seulement nous devons pouvoir justifier toutes les caractéristiques des expériences, mais nous devons douter de la façon dont elles sont conduites, dont nous les avons nous-mêmes conduites, et des résultats qui sont donnés

Un exemple : la simple mesure d'une température. Ordinairement, dans la vie quotidienne, on prend un thermomètre et on lit l'indication qu'il donne. En science, le strict minimum consiste à douter de la fiabilité de cet instrument de mesure, à le plonger par exemple dans un récipient contenant de l'eau et de la glace (ce que l'on nomme de la glace fondante), afin de vérifier que l'indication est bien 0 °C, puis à plonger le même thermomètre dans l'eau bouillante, afin de vérifier que l'on obtient bien cette fois une indication de 100 °C.
Deux mesures, c'est une indication, pas plus... alors que l'on s'intéresse à des valeurs qui ne sont ni 0 ni 100, mais à toutes les valeurs dans cette gamme. Avoir foi que que l'instrument donnera les bonnes mesures entre 0 et 100 alors qu'il donne seulement des mesures correctes pour 0 et pour 100 ? C'est la porte ouverte au diable.

Bref lors d'une expérience, il y a lieu de douter de tout, toujours, tout le temps, à tout moment, et l'on comprend que la répétition n'est qu'une indication de plus, guère mieux. Le bon scientifique a des raisons de mal dormir, car il ne doit compter que sur lui-même, se surveiller, s'évaluer, se corriger, craindre le diable... Chaque résultat doit être reproduit, discuté prudemment, obtenu par d'autres moyens... validé en un mot.

Est-ce une prudence excessive ? La question des « extractions » trouve que non. Par exemple, récemment, dans notre groupe, nous avons mis au point une nouvelle méthode d'analyse des sucres dans les tissus végétaux, et, après un long travail, nous avons montré que la meilleure méthode d'extraction de ces sucres, afin de les doser, était fautive de près de 50 % !
D'autre part, toujours dans notre laboratoire, des collègues qui s'intéressent aux éléments métalliques dans les végétaux ont montré que même avec l'utilisation d'eau régale bouillante (un mélange d'acide nitrique et d'acide sulfurique concentrés) ne ne permettait pas de séparer la totalité des métaux présents, en vue de leur analyse. Les erreurs, dans ce cas atteignent environ 10 %.
Dix pour cent, alors que nos méthode d'analyse sont juste à la partie par millième de milliardième ! On voit bien qu'il il y a là de quoi travailler beaucoup, et surtout, de quoi douter beaucoup, toujours, de nos résultats.
Il y a lieu de valider, et ce mot de validation doit absolument être prononcé très répétitivement devant les élèves, les étudiants, qu'ils soient en formation initiale ou en plein exercice de la science.