vendredi 30 avril 2010

Emerveillement

Pardon, je m'aperçois que j'ai omis d'ajouter ma voix au concert de ceux qui clament que le calcul différentiel et intégral est une base de la science.

Comment apprendre ces calculs? Il y a mille livres, mais ce serait quasi criminel de ne pas signaler l'existence du livre qui, sous ce titre de "Calcul différentiel et intégral", a été préparé par N. Piskounov.

Le livre était naguère publié par les éditions Mir (Moscou), en français, mais il reste disponible aujourd'hui, chez un éditeur français que vous trouverez facilement sur Google.

Ne manquons la lecture émerveillée (mais critique) de ce livre remarquable, qui a aidé quelques générations d'étudiants, et pourra encore rendre des services à des foules.

Le calcul différentiel et intégral? Mais c'est très simple, ainsi.

mercredi 28 avril 2010

Classements

Une revue britannique a la prétention de régir le monde culinaire en émettant chaque année un classement des cuisiniers. Permettez moi de vous inviter à ne même pas chercher quelle revue fait cela... car leur classement est idiot, d'année en année. Même, comment faire parler de soi quand on est malhonnête? En prétendant à l'honnêteté et en faisant un classement idiot.

Je propose ici de faire l'impasse absolue sur ce classement (j'ai même été trop loin en évoquant une revue britannique), et de cesser toute collaboration (au sens le plus terrible du terme : pensons à la Seconde Guerre mondiale) avec cette revue.

Au fait, qui est "mieux", en musique : Bach? Mozart? Debussy? Eric Clapton? U2? Et en peinture : Rembrandt? Delacroix? Shitao? Et en sculpture : Jeanclos? Rodin? Bartholdi?

Sans compter que la "compétence" des votants est en cause... et que la vérité n'est pas démocratique : un vote de un million de personnes contre moi ne pourra me faire penser que 2+2=5!

Cessons donc la collaboration ; ne dénonçons même plus les classements idiots, et faisons des listes de splendides artistes culinaires.

Dans mon cas, il est notoire que j'aime la cuisine de :
Pierre Gagnaire, Michel Bras, Michel Guérard, Paul Bocuse, Pascal Barbot, Pierre Dominique Cécillon, François Pasteau, Grant Achatz, Patrick Terrien, Emile Jung, Denis Martin, Daniel Boulud, Jean-Pierre Curtat, Wylie Dufresnes, Guy Martin, Koji Shimomura, Sang Hoon Degeimbre, Christian Conticini, Philippe Conticini, Paul Minchelli, Claude Peyrot, Bernard Pacaud, Joel Robuchon, Gérard Vié, Alain Passard, Benoit Guichard, Daniel Vézina, Alain Ducasse, Bernard Lonati, Jean-Pierre Lepeltier, Jean-Pierre Biffi, Jean Chauvel, Gael Orieux, Yannik Alleno, Michel Roth, Nicolas Bernardé, Patrick Martin, Alain Senderens, Michel Saran, Christian Le Squer, Alex Atala, Mara Salles, Yannick Anton, Michel Nave...

On le voit : la liste est désordonnée, parce que je récuse l'ordre. D'abord, il y a les circonstances, qui faussent tout (avais-je faim en entrant? avec qui étais-je? qui était à la table d'à côté? quel était le temps? de quel pied m'étais je levé?). Ensuite, il y a le niveau de culture culinaire : de même que l'amateur de jazz qui n'est pas passé par Coltrane ne peut sans doute pas apprécier Yussef Lateef, je vois mal un enfant comprendre grand chose aux cuisines les plus évoluées artistiquement. Ensuite...


Bref, vous aurez compris que ma liste n'est pas un brevet de qualité accordé, mais seulement... une liste.
Bien sûr, on pourrait ordonner un peu :
Cuisine classiques
Cuisines modernes
Cuisines moléculaires
Cuisine fusion
Cuisine...

Mais, à quoi bon, au fait?

Et puis, il faut quand même dire que ma liste est bien incomplète : dans ce billet, je n'ai pas mis tous les amis qui m'ont donné du bonheur. Pardon à ceux qui ne sont pas présents, mais l'objet était surtout de répéter que les classements sont idiots.

Refusons les, ne collaborons pas!
Emerveillons nous de ce qui est bien fait : il n'est pas nécessaire d'abaisser les uns pour réhausser les autres !


PS. N'hésitez pas à m'indiquer de nouveaux noms, que j'ajouterai.

mardi 27 avril 2010

Nécessaire, mais pas suffisant

Cette fois, je fais état de mes insuffisances (rassurons-nous, je me soigne... Par le travail) : je viens de comprendre pourquoi la réfutabilité de Carl Popper n'était pas satisfaisante. Du coup, j'en fais profiter des amis qui n'ont pas le temps ou le goût d'aller se plonger dans des oeuvres épistémologiques parfois bien absconses.

En réalité, je n'ai rien contre Carl Popper, bien au contraire, et la réfutabilité qu'il demande aux sciences me semble tout à fait bien... puisque la méthode scientifique, c'est :
- l'observation d'un phénomène
- la caractérisation quantitative de ce phénomène identifié et choisi comme objet d'études
- la synthèse de certaines des données en "lois"
- la recherche de mécanismes, c'est-à-dire d'explications associées à ces lois
- par déduction, la préparation de prévisions expérimentales, en vue de réfuter la théorie obtenue par réunion des lois
- le test expérimental de la prévision expérimentale
- et ainsi de suite.

Cette description est évidemment simple, voire simpliste... mais pas tant que cela. Et puis, elle est utile, pour commencer, non?
Elle aurait notamment éviter à certains des mes interlocuteurs récents d'opposer induction et déduction, en science : la description précédente montre qu'il faut évidemment les deux!
Elle montre que la réfutabilité est bien essentielle, en science, puisque nous ne sommes pas là pour croire à des théories, modèles réduits de la réalité qui ne peuvent se confondre avec elle (par définition), mais pour produire des théories fausses que nous affinons à l'infini.
Elle montre aussi que la science ne se résume pas à la réfutabilité : il y a notamment toute les étapes précédentes. La réfutabilité est nécessaire, pas suffisante.


Mais à nouveau, il y a la question de la "science" : laquelle? Pas la science politique, pas la science du maître d'hôtel (titre d'un livre de cuisine classique)... La science dite "dure", pour laquelle nous devons trouver un nom approprié.

Cherchons!

On ne fait pas de chimie quand on respire !

Régulièrement, j'ai droit, en introduction à des conférences que je fais, à des déclarations du style : "La chimie est partout", qui m'obligent à reprendre des collègues pourtant bienveillants.

Non, la chimie n'est pas partout : elle est même très peu présente, puisqu'elle n'est que dans les laboratoires, et, avec encore quelques efforts, elle ne sera même que dans les laboratoires universitaires.

Je m'explique. Historiquement, la chimie a été une activité un peu confuse, où se mêlaient la philosophie, l'empirisme, la technique, la technologie, la science... On cherchait la pierre philosophale en même temps que l'on testait des opérations de broyage et de distillation, on voulait fabriquer des bougies en même temps que l'on découvrait le phosphore...

Intellectuellement, on peut évidemment passer beaucoup de temps à essayer de dégager les divers courants, les diverses influences, mais il vaut mieux, je crois, penser à l'avenir. L'avenir se déduira du présent, lequel confond encore la science chimique et la technologie chimique, c'est-à-dire le travail de l'industrie.

Pourtant l'industrie dite encore chimique (j'espère pour peu de temps) se plaint d'avoir le mot "chimie" collé à la peau, alors que la science gagnerait, je crois, à se détacher de l'action, pour se confiner à la production de connaissance.

Ma proposition, c'est que demain la chimie soit dégagée de sa gangue, qu'il ne s'agisse plus que de science, et non plus d' "art chimique", d'activité technologique ou technique telles que la production de médicaments, de bougies, de matériaux, de cosmétiques, de peintures...

La chimie, ainsi, serait confinée aux laboratoires, et elle gagnerait en lisibilité, en clarté.

Et pour conclure, oui, quand nous vivons, quand nous respirons, des réarrangements atomiques ont lieu, mais ce n'est pas de la chimie, puisque la chimie est une science. Respirer, c'est respirer. Il n'y a chimie que si l'on explore les réarrangements atomiques, les transformations moléculaires qui ont lieu lors de la respiration, par exemple. Ne confondons pas une activité bestiale (respirer) et ce qui fait honneur à l'esprit humain!

Sciences "pures"? Sciences "fondamentales"? Sciences "appliquées"?

Sciences "pures"? Sciences "fondamentales"? Sciences "appliquées"?

C'est une question que j'ai déjà évoquée, mais il faut y revenir. Louis Pasteur a rappelé toute sa vie que les sciences appliquées n'existent pas. Pourtant, aujourd'hui, on trouve des "instituts des sciences appliquées", ou bien des cours d' "applied sciences". Bref, on n'a pas bien compris que s'il y a des applications de la science, il n'y a pas de sciences appliquées.
La nuance semble subtile, mais j'ai déjà expliqué dans des billets précédents combien elle me semblait essentielle.

Aujourd'hui, c'est l'adjectif "pur", ou l'adjectif "fondamental", sur lequel je voudrais revenir. Y a-t-il une science "pure"? Ce serait admettre qu'il y en aurait une "impure"... et je vois mal où elle se trouverait. De même, pour une science qui serait "fondamentale".

Dans ce second cas, je comprends comment l'adjectif s'est introduit : c'est probablement une scorie de ce détestable classement hiérarchique des sciences, que j'associe à Auguste Comte. Les sciences les plus "élevées" dans la prétendue hiérarchie (qui n'est un ordre que pour ceux qui le soutiennent) mettent effectivement certaines sciences comme plus fondamentales que d'autres.

Je crois avoir déjà écrit que je ne voyais pas de raison raisonnable, sensée, pour mettre la recherche du boson de Higgs plus haut que l'exploration des mécanismes du vivant, par exemple, de sorte que je réfute absolument la hiérarchie comtienne : les critères retenus sont idiots.

Finalement, je propose de lutter contre la possibilité même de sciences pures, ou de sciences fondamentales!


Vive la connaissance !

Le charron ne fait pas de science... mais le mot "science" pose un épineux problème.

Lors d'une "dispute", à AgroParisTech, mon ami Bernard Chevassus-au-Louis citait le cas du charron, l'homme qui construit des roues de charrette, et il évoquait l'intelligence de ce charron qui sait laisser un doigt de jeu autour de la roue en bois, quand le métal est chaud, afin que, lors du refroidissement la bande métallique enserre parfaitement le bois.
Nous sommes bien d'accord : il y a de l'intelligence dans cet empirisme. Toutefois, y a-t-il "science", pour autant? Je ne le crois pas.


Je ne le crois pas... mais en réalité, la question est difficile, parce que les gens des sciences politiques disent faire de la science, et ils comprennent mal que les gens des "sciences dures" puissent confisquer le mot "science" pour leur activité. Science, savoir... En Suède, le festival des "sciences" réunissait aussi bien des scientifiques durs que des technologues du tricot, en passant par les économistes, les architectes urbains. On trouve de tout dans la science suédoise, tout comme dans la Wissenschaft allemande... ou dans la science française, puisque les sciences politiques se nomment science.

Alors, faut-il reprendre l'expresion "philosophie de la nature"? Ou "physique", puisque la physis, en grec, c'est la nature? Je pressens que mes amis chimistes, biologistes, etc. ne seront pas heureux d'aller sous cette bannière, de sorte que nous nous en sortirions mieux avec un nouveau mot. Lequel?

Depuis Galilée, par exemple, on sait que les "sciences dures" ont une méthode, qui se centre sur les phénomènes, avec une méthode spécifique qui consiste à réfuter les théories. Bien sûr, la réfutabilité de Carl Popper n'est pas le fin mot de l'affaire, pas plus que l'hypothèse et la déduction qui sont à la base de la méthode hypothético-déductive. Il manque des composantes, pour décrire cette activité des chimistes, physiciens, biologistes. "Philosphie naturelle" est tentant, mais également insuffisant, puisqu'il y a "science", et "science dure", quand un sociologue met en oeuvre la méthode dite "scientifique", avec observation de phénomène, détermination quantitative, regroupement des données en lois, d'où l'on extrait des mécanismes, à partir desquels ont fait une prévision qui est testée expérimentalement.

Cette méthode est caractéristique. Oui, le charron est "intelligent", et oui, il pratique l'expérimentation tout comme le physicien, mais il lui m anque, pour faire une activité analogue à la chimie, ce guide et ce garde-fou qu'est le calcul. Galilée disait que le monde est écrit en "mathématiques" ; il voulait dire "en calculs"... mais il se trompait, car en réalité, c'est seulement le monde de Galilée, des physiciens, chimistes, biologistes, etc. qui est écrit en langage de calcul.

Au total, notre activité devrait être nommée expérimentalo-calculatoire.

dimanche 4 avril 2010

Décuisson

Une autre question/une autre réponse :


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Pensez-vous qu'il nous sera un jour possible de "décuire" un aliment ?
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La réponse est : je l'ai fait depuis bien plus de 10 ans, à propos d'un oeuf.
L'expérience consiste à prendre un blanc d'oeuf, et à le cuire.
Pourquoi cette coagulation? Parce que les protéines dénaturées se lient en un réseau.
Comment se lient-elles? Par des liaisons, évidemment.
Quelles liaisons ? Les possibilités sont : liaisons de Van der Waals, liaisons hydrogène, liaisons covalentes, forces électrostatiques.
D'où la nouvelle question : quelles sont les plus fortes?
Réponse : on sait que certaines protéines contiennent des résidus cystéils, de sorte que la dénaturation peut conduire à des formation de ponts disulfure, entre deux groupes thiols de ces résidus (cha^ines latérales).
Et si ces liaisons disulfure étaient responsables de la coagulation de l'oeuf?
Pour le savoir, il faut opérer le contraire de l'oxydation qui correspond à la formation de ces liaisons.
Comment? A l'aide d'un composé réducteur.
Lequel ? Le borohydrure de sodium est un bon candidat (mais à NE PAS MANGER!!!!!!!!!!!!!)

On met alors un peu de ce composé (NaBH4) sur un oeuf coagulé... et une mousse se forme.
On attend que la mousse redescende (quelques heures) et...


On récupère un oeuf décuit.

Conclusion : c'est bien la formation de ponts disulfures qui est responsable de la coagulation des protéines de l'oeuf... et donc aussi de la viande et du poisson.

samedi 3 avril 2010

Nous faisons fausse route avec le formalisme

Le "calcul" est l'objet d'un paradoxe

1. les élèves ou étudiants, de l'école à l'université, ont des difficultés avec le formalisme
2. les formalismes ont été "inventés" par des individus qui voulaient penser plus facilement


D'où la question : comment en est-on arrivé à ce point où un outil fait pour aider est devenu gênant?




Revenons sur les deux prémices.
Oui, les élèves et étudiants ont du mal, avec le calcul, lequel est d'ailleurs souvent confondu avec les mathématiques. Et c'est ainsi que ces dernières sont utilisées comme outil de sélection... ce qui agrave la situation : la sélection faisant son office, elle laisse pour compte des individus, plus nombreux que les heureux élus, qui n'ont, légitimement, aucune raison d'aimer la règle avec laquelle on leur a tapé sur les doigts.

Pourtant, c'est un fait que le formalisme a été inventé pour "aider" à penser. C'est très net dans les écrits d'Antoine Laurent de Lavoisier, mais tout aussi évident dans les textes de Descartes, par exemple.
Lisons Lavoisier, qui introduisit le formalisme de la chimie :

« Pour mieux faire sentir […] l’état de la question, et pour présenter aux yeux, sous un même coup d’œil, le résultat de ce qui se passe dans les dissolutions métalliques, j’ai construit des espèces de formules, qu’on pourrait prendre d’abord pour des formules algébriques, mais qui ne dérivent point des mêmes principes ; nous sommes encore bien loin de pouvoir porter dans la chimie la précision mathématique, et je prie en conséquence, de ne considérer les formules que je vais donner que comme de simples annotations, dont l’objet est de soulager les opérations de l’esprit ».

On voit que l'objet est d'embrasser d'un coup d'oeil, d'avoir une idée synthétique, rapide, des réactions, au lieu de se perdre dans des mots trop longs.

De même pour le "formalisme CDS/NPOS" introduit en 2002 : l'idée, c'est de remplacer des expressions si longues qu'on ne les comprend plus (par exemple : suspension dans un gel dispersé dans un gel) par des formules qui tiennent en quelques symboles ([S/(E/W)]/W).

En mathématiques, idem : essayez donc de dire "df(x)/dx=sin(x)/exp(x^2)" avec des mots!

Bref, le formalisme est là pour nous aider, et c'est donc une faillite terrible de l'enseignement actuel des sciences que des individus craignent ou ne puisse le manipuler.

Et si l'on commençait par montrer qu'il s'agit de nous aider, et pas de nous barrer le chemin?

D'ailleurs, la lecture des publications scientifiques montre qu'il y a également quelque chose à améliorer : les premières pages sont le plus souvent de longs textes denses, en langage naturel. Pourquoi n'aurions-nous pas, là aussi, un moyen plus efficace de communiquer?