lundi 27 avril 2009

Pour les saveurs des acides aminés

Pour les saveurs des acides aminés Une partie du monde oriental a contaminé une partie du monde occidental avec l’idée de la saveur « umami »… et je suis en partie responsable de la diffusion de cette idée fausse de l’umami. 

Voilà pourquoi je cherche aujourd’hui à me rattraper en proposant une idée plus juste. 

 

L’umami est le nom qui a été donné il y a environ un siècle par un Japonais qui, par fermentation, a obtenu de l’acide glutamique. La saveur de cet acide aminé n’étant ni salée, ni sucrée, ni acide, ni amère, il a donné le nom d’umami, « délicieux ». 

A la réflexion, l’idée d’une saveur nouvelle n’était pas extraordinaire, puisque le bicarbonate de sodium, ou l’éthanol, ont aussi des saveurs qui ne sont ni salées, ni sucrées, ni acides, ni amères. Toutefois, le Japonais en question était un homme d’affaire avisé, qui, pour vendre son composé (ou plus exactement du monoglutamate de sodium), a payé des études. 

On a alors dit que cette saveur était celle du dashi, le bouillon que les Japonais produisent par infusion courte d’algues de type kombu dans de l’eau, ce qui fait passer en solution deux acides aminés : l’alanine, et l’acide glutamique. Mais alors, l’umami est-elle la saveur du dashi, ou bien celle de l’acide glutamique, ou encore celle du monoglutamate de sodium ? Car ces saveurs sont différentes. 

 

La confusion commence ici. Elle se poursuit quand on cherche l’umami dans les fruits de mer, la tomate ou le parmesan, qui contiennent également de l’acide glutamique. La tentation est alors grande de faire penser que tous ces produits sont « bons » parce qu’ils ont la saveur umami. 

Ouais… J’invite à goûter les divers acides aminés, et à observer leurs intéressantes saveurs. Et si l’umami est la saveur de l’acide glutamique, j’invite à penser que ni le dashi ni le monoglutamate de sodium n’ont stricto sensu la saveur umami. 

D’ailleurs, pourquoi nommer umami une saveur qui est celle de l’acide glutamique ? La saveur de l’acide glutamique, c’est… la saveur de l’acide glutamique. Tout comme la saveur de la tyrosine (un autre acide aminé) est la saveur de la tyrosine, et ainsi de suite pour les divers acides aminés.

La science doit être considérablement revalorisée

La science doit être considérablement revalorisée

Dans notre monde, la valeur des choses est souvent –c’est un fait, une constatation, pas une volonté personnelle- la valeur financière. Un tableau de Picasso vaut cher ? L’œuvre est donc importante.
Pour l’activité des « travailleurs », également, sont en balance l’intérêt intrinsèque du travail, son intérêt extrinsèque, des intérêts concomitants. Un emploi particulier n’attire pas ? Il faudra payer cher des individus pour qu’ils le fassent. Les candidats à un poste sont nombreux ? L’employeur pourra faire la fine bouche, et imposer de bas salaires.

Et la science, dans tout cela ? C’est un fait que les salaires des scientifiques (on observera que je parle des scientifiques, pas des « chercheurs ») ne sont pas élevés (par rapport aux salaires des industriels) : cela n’incite pas notre collectivité à considérer que les productions des scientifiques sont importantes socialement, économiquement. De ce fait, les connaissances produites par la science risquent de moisir dans des publications scientifiques, et les scientifiques eux-mêmes ne sont pas incités à publier les résultats de leurs travaux.

Ma proposition : payer beaucoup plus les scientifiques !

« Démontré scientifiquement » est un oxymoron

« Démontré scientifiquement » est un oxymoron

Nous entendons un interlocuteur dire que quelque chose a été « démontré scientifiquement » ? Méfiance !!!!

Méfiance, parce que la science ne cherche pas à démontrer, et que la démonstration est l’apanage des mathématiques. La science, elle, ne fait que réfuter des théories qu’elle sait être insuffisantes. On ne peut pas « démontrer » l’existence des atomes ou des molécules, par exemple, mais on peut seulement corroborer l’idée de leur existence, par des expériences qui établissent plus ou moins fermement l’idée de l’existence d’entités –atomes ou molécules- auxquelles on prête des propriétés qui évoluent selon l’état de nos connaissance. Ainsi, alors que l’atome a été d’abord considéré comme une sorte de système solaire miniature, avec des électrons tournant autour du noyau, quelques travaux de physique quantique ont montré que les propriétés des atomes ne s’expliquaient pas par ce modèle.
Ce qui est pire, c’est que c’est souvent dans des champs bien compliqués que l’expression « démontré scientifiquement » est employée ; pis encore, c’est bien souvent l’industrie qui utilise cette expression, pour affirmer des faits qui, évidemment, sont en faveur de la prétendue qualité de ses produits.
Je ne dis pas ici que l’industrie ne produit pas des produits de qualité (bien que la qualité soit toute relative), mais je dis ici que la science est bien souvent prise en otage par une certaine industrie, qui parle à son aise des démonstrations faites par des scientifiques, afin de vanter ses productions. Cette industrie est alors soit malhonnête, soit ignorante de ce qu’est la science.

Apprenons nous-mêmes, enseignons à nos enfants à ne pas tomber dans le panneau de la prétendue « démonstration scientifique », puisqu’il n’existe pas de démonstration scientifique !

Que dire alors, de faits qui auraient été étudiés ? Si un fait est établi (aux exceptions près de la règle), alors il est établi, pas démontré. Si le fait a été établi avec rigueur, alors il a été établi « rigoureusement ».

Pourrait-on admettre qu’un fait soit établi scientifiquement, s’il a été établi par un scientifique. Non, impossible, puisque le scientifique ne cherche pas à établir des faits, mais à réfuter des théories et à proposer des mécanismes qui contribuent à l’explication des phénomènes sans en donner le mot final.

Je propose donc de nous limiter à « établi rigoureusement ».

Quand on aura tout changé (ingrédients, façons de cuisiner, de manger, etc. ), que pourrons-nous proposer de plus ?

Depuis des décennies, je propose de questionner ce que nous mangeons. Récemment, par exemple, je proposais d’asseoir les cuisiniers, au lieu de les laisser debout, dans le stress, dans le bruit et dans la chaleur. Il y a une dizaine d’années, je proposais de remplacer tous les systèmes de chauffage par des systèmes plus efficaces énergétiquement que ceux que nous avons, afin d’éviter de chauffer l’atmosphère du Globe au lieu de ne chauffer que les aliments. Il y a une vingtaine d’années, j’ai proposé d’introduire en cuisine des composés purs, aux goûts inédits. Récemment, j’ai aussi proposé de changer la façon de servir, en salle ; et les ustensiles utilisés pour manger (assiettes, verres, couverts…).
Et ainsi de suite. Il y a donc du pain sur la planche, parce que proposer un changement n’est rien ; il est bien plus difficile de proposer positivement un changement. La question est : on remplace… mais par quoi ?

Evidemment, puisque je pose ici cette question, c’est aussi que j’ai proposé des réponses. Je ne suis pas en reste, et l’on trouvera dans les centaines d’articles publiés depuis 1980 une foule de propositions positives.

Ici, la question est toutefois : que ferons-nous quand nous aurons tout changé ?

samedi 18 avril 2009

Alerte : L'eau est faite de molécules qui bougent !

Alors que nous introduisons la "danse des molécules" dans les écoles, par les Ateliers expérimentaux du goût, je viens de constater, en discutant avec des étudiants engagés dans des études scientifiques, dans des établissements variés (I.U.T., Universités, Grandes Ecoles), que l'idée que l'eau soit faite de molécules qui bougent dans le vide est très peu répandue (quelques pour cent, pas plus).

J'insiste, parce que cette constatation est bouleversante, pour ceux qui connaissent la structure de la matière, et qui n'ont même pas idée que l'on puisse ignorer des choses "si élémentaires" :
- le questionnement a été poussé, pour tous les étudiants interrogés
- le questionnement a porté à ce jour sur 27 étudiants
- je me suis assuré que les questions étaient bien comprises

Parfois, l'idée est que l'eau est une "substance".
Parfois, l'idée est que l'eau est faite de molécules, mais il n'est pas clair que ces molécules soient comme de petits objets identifiés de type "boule de billard".
Parfois, l'idée est que les molécules soient comme des grains, mais immobiles.
Parfois, l'idée est que les molécules -grains matériels- soient dans l'air.

Bien sûr (je m'empresse d'ajouter ;-) ), c'est la faute des étudiants, qui sont -toujours- insuffisants, qui n'ont jamais assez travaillé, de sorte que nous recueillons dans les laboratoires le fruit de leur paresse, de leur négligence...
Mais je sais aussi que ces mêmes étudiants deviennent des enseignants, et que la paresse ou la négligence atteint la même proportion d'individus ( là encore : ;-) ; d'ailleurs, je ne crains pas de me mettre dans la catégorie des négligents... mais j'essaie de me soigner).

Ce billet n'est donc pas une critique. La vie est la vie, et nous devons faire avec nos insuffisances.
En revanche, ne devrions-nous pas nous demander si, au lieu de faire résoudre des équations, et d'insister sur ce point, nous ne devrions pas D'ABORD donner la clé d'interprétation du monde moléculaire, à savoir que, pour un fluide, les molécules sont comme des boules de billard qui bougent dans le vide, avec des vitesses d'autant plus grandes que les corps sont chauds ?

(oui, je sais, il y a des tas de hic : la nature quantique du monde, les interactions intermoléculaires qui dévient les molécules de leur ligne droite, etc., mais ne faut-il pas faire simple avant de faire compliqué? Et puis, Richard Feynman a bien utilisé l'image!).

Ne pourrions-nous conditionner la délivrance du diplôme de baccalauréat scientifique à la capacité d'avoir compris cette idée ? Ou, pour être moins répressifs, commencer les enseignements suivant le baccalauréat par un rappel de cette idée?

lundi 13 avril 2009

En pleurer, ou en rire?

Dans un magazine culinaire paru en avril-mai 2009, je lis un article sur la Coulée de Serrant :

"Le vigneron a choisi de lui appliquer strictement tous les principes de la biodynamie. Ses raisins sont gorgés de sèves naturelles, le terroir s'exprime pleinement, la nature incante sa magie sans entrave. Sans aucun apport chimique ni de synthèse, ses vignes approchent souvent les 90 ans et se portent comme des charmes. L'enherbement est naturel, le désherbement est assuré par un troupeau de moutons. Le compost fourni par une dizaine de vaches nantaises. Des ruches assurent la bonne pollinisation de la flore locale. Les maladies de la vigne sont essentiellement prévenues et guéries par des tisanes".

Jusque là, on se dit simplement qu'il y a faute du journaliste :
- "gorgés de sèves naturelles" : jusqu'à présent, je n'ai pas vu comment faire autrement
- la nature "incante" sa magie? il faudra que je réfléchisse longuement à l'usage de cette expression
- pas d'apport chimique ni de synthèse : là aussi, il faudra qu'on m'explique
- la vigne se porte comme des charmes : et si les charmes se portaient comme la vigne?
- des maladies prévenues par des tisanes... allons.

Mais le mieux est à venir : la dernière phrase est la suivante :

"Même le soufre provient de volcans"

Ici, les chimistes se gondolent, et ils peuvent s'arrêter de lire.

Pour les autres, il faut prendre le temps d'expliquer que le soufre, élément chimique que l'on se procure sous la forme d'une poudre jaune, sert à "mécher" les tonneaux : on le brûle, afin de produire du dioxyde de soufre, lequel protégera les vins (mais donnera parfois mal au crâne, quand on voit des vins blancs).
Seul hic, ce dioxyde de soufre, produit par la réaction du soufre avec l'oxygène, est formé par le méchage en quantités incontrôlées! Je n'invite d'ailleurs personne à respirer du dioxyde de soufre : on s'intoxique.
En très petites quantités, le dioxyde de soufre est autorisé comme additif, mais son usage est de plus en plus réglementé, parce que l'on se dit qu'il y a mieux à faire.
Entre cela et le sulfate de cuivre utilisé pour traiter les vignes, je vois bien "la nature qui s'exprime pleinement" (rigolade).
Et puis, tant qu'on y est, pourquoi ne pas accepter en biodynamie, par exemple, l'arsenic : c'est un produit "naturel", comme le soufre, puisqu'il existe sous forme native dans le sol ; et, tant qu'on y est à marcher sur la tête avec la biodynamie, pourquoi ne pas mettre dans les vins de l'hydrogène arsenié, que l'on obtiendrait à partir de l'arsenic (mais utilisé comme gaz de combat pendant la Première Guerre mondiale)?

lundi 6 avril 2009

La science ne doit pas faire peur

La science fait peur? C'est la preuve que ceux qui ont peur n'ont pas compris la nature de la science.
La science est l'étude des phénomènes, par la méthode dite scientifique, que je ne veux pas détailler ici.
La science produit donc des connaissances. Comment ferait-elle peur, alors?

Ce qui peut faire peur, ce n'est pas la connaissance de la structure de l'atome, mais la bombe atomique que l'on peut construire avec cette connaissance. Et cela, ce n'est pas de la science, ni même de la "technoscience" (une chimère qui n'existe que chez ceux qui veulent se donner le plaisir de démolir quelque chose qui n'existe pas, sans doute pour paraître plus glorieux) ; c'est de la technique (on "produit" la bombe), qui devient possible en raison de la technologie.
C'est donc la technique, ou la technologie qui peuvent faire peur : pas la science!

Luttons contre l'umami. Faisons la promotion des saveurs des acides aminés.

La théorie des quatre saveurs, encore nommées quatre saveurs "de base" est fausse : n'importe quelle personne capable de se documenter un peu s'en aperçoit avec un minimum de recherche bibliographique, car cela fait des décennies que l'on sait la fausseté de cette théorie. 

Ceux qui savent l'erreur tombent hélas dans l'idée qu'il y aurait une cinquième saveur, qui aurait été nommée umami. Je dois toutefois les détromper : il faut lutter contre cette idée, qui a été largement accréditée par des vendeurs de monoglutamate de sodium. 

Invité à visiter un des plus importants fabricants de "dashi", à Tokyo, j'ai assisté à la confection de ce bouillon : des algues kombu sont arrosées d'eau chaude, de sorte que deux acides aminés soient extraits, l'alanine et l'acide glutamique. On m'a dit que la saveur de ce bouillon était la saveur umami. 

Soit : c'est donc que cette saveur n'est pas élémentaire, puisqu'elle est le mélange de la saveur de l'alanine et de l'acide glutamique. 

En corollaire, il faut admettre que la saveur du monoglutamate de sodium, qui n'est pas celle de l'acide glutamique, n'est donc pas la saveur umami! 

 

Au total, la saveur umami n'a donc pas de raison d'exister. En revanche, les acides aminés ont des saveurs toutes différentes. C'est une bonne nouvelle pour les cuisiniers, dont le piano s'enrichit de nouvelles touches.

Chassons le "démontré scientifiquement" car il est usurpé

Entendons-nous un "Démontré scientifiquement"? C'est la preuve que notre interlocuteur n'a pas bien compris ce qu'est la science, ou que l'on nous ment.
En effet, la science ne démontre rien, puisqu'elle ne fait que réfuter des théories qu'elle sait être insuffisantes. Quelqu'un qui croit que la science démontre ignore donc la vraie nature de la science... ce qui est pardonnable. Il y a également la confusion entre les mathématiques, qui, elles, démontrent effectivement, et la science : la confusion est également pardonnable.
Ce qui est impardonnable, c'est l'usage abusif que certains font de la science, de son "autorité", pour vendre leur camelote.

dimanche 5 avril 2009

Encore des questions

Je reçois une demande d'un journaliste :
"Les événements au Fat Duck , la sortie du livre de J. Zipprick, la bagarre entre Ferran Adria et Santi Santamaria m'ont amené à préparer un article sur ce sujet.
J' ai trois questions rapides à vous poser.
1) Dans le N° de mars de Cuisine Collective vous écrivez :"D'une certaine façon, je suis lâche, puisque, la " cuisine moléculaire " étant attaquée, je ne prends pas directement sa défense ".
Pouvez vous m' expliquer plus les raisons de votre silence ?
2) En dehors de Pïerre Gagnaire avec quels grands chefs collaborez vous régulièrement aujourd'hui?
3) Que pensez vous de l'idée de faire figurer sur les menus les additifs alimentaires entrant dans les recettes comme sur les étiquettes des produits agro alimentaires employant les mêmes additifs ?
Merci par avance de votre réponse que j'espère courte."


A ces questions, voici une réponse :
1. je vous joins le numéro de la Cuisine collective. L'idée que je développe et que je ne veux pas défendre la cuisine moléculaire, puisque j'espère qu'elle va mourir : entendons nous, je ne veux pas revenir à une cuisine que j'estime passéiste, mais j'espère que les avancées de la cuisine moléculaire passeront le plus vite possible, pour que l'on n'ait plus à les promouvoir.
D'autre part, je ne peux pas être responsable de productions culinaires de la cuisine moléculaire, parce que la "généralisation" est une faute. De même que tous les Alsaciens ne sont pas disciplinés, que tous les Auvergnats ne sont pas avares, que tous les etc. il y a de la bonne cuisine moléculaire, et de la mauvaise. Comment vouloir prendre la défense de ce qui est mauvais?

Non, je me contente de dire que nous ne pouvons pas continuer à cuisiner comme au Moyen Age : debout (fatigant), dans la chaleur de gaz continuellement allumés (gaspillage terrible d'énergie, inconfort), dans le bruit (évidemment, pour éliminer des calories inutilement perdues, il faut des hottes puissantes), dans le stress...
Vite, passons la cuisine d'après demain.
(j'ajoute que je n'ai rien à vendre, et que, contrairement à ce que disent certains mal informés ou menteurs, je ne suis pas à la solde de l'industrie chimique, puisque (voir mon livre "La sagesse du chimiste"), je dis même qu'il faut bien distinguer la technologie et la science. Pour ce qui me concerne, je fais de la science (production de connaissances, gastronomie moléculaire et non cuisine moléculaire), et je ne fais de technologie que pour Pierre (ce qui est faux, voir plus loin).

2. Je ne collabore pas avec mon ami Pierre. D'abord, le mot "collaborateur"
est connoté, mais, surtout, je m'amuse beaucoup avec Pierre, à tenter des tas de voies nouvelles, et à montrer (entre mille autres choses) qu'il n'est pas vrai que la créativité culinaire est morte en France. Une invention par mois sur son site : ce n'est pas rien! Le mieux, c'est que "Rembrandt accepte de peindre des œuvres avec les couleurs que je lui fournis!". C'est un bonheur inouï. A noter qu'il n'a jamais été question d'argent entre Pierre et moi. Je répète que, pour ce qui me concerne, je n'ai rien à vendre.
Cela étant, les Cours de gastronomie moléculaire, les Séminaires INRA de gastronomie moléculaire, les Ateliers expérimentaux du gout, les Ateliers Science & Cuisine, les Rencontres Science, art et cuisine, et tout le reste est public et gratuit : tous les chefs sont invités, beaucoup viennent très régulièrement, et je distribue le petit savoir que j'ai le plus possible (phrase dangereuse sortie de son contexte : imaginons que l'on coupe à "je distribue le petit savoir que j'ai"?).
Ma plus belle récompense, ce sont les dizaines d'email que je reçois chaque jour de cuisiniers du monde entier, qui me remercient, et qui me demandent des conseils que je donne gratuitement. J'ai même décidé, en conséquence, de créer un "centre technique de la cuisine", sur le site d'AgroParisTech (le site y est depuis une semaine, en construction).
A noter que je fais œuvre muséologique, en mettant les 25 000 dictons culinaires que j'ai recueilli depuis 1980 en ligne, sur le site de l'INRA.
J'avance lentement mais surement.

3. La proposition de faire figurer les additifs ne me semble pas judicieuse pour de nombreuses raisons :
- d'abord, pourquoi le faire figurer? Si l'on ne fait pas figurer la gélatine, pourquoi faire figurer la gomme adragante, utilisée depuis des siècles en pâtisserie? Pourquoi faire figurer le glucose des pâtissier?
- la notions d'additifs est délicate, parce que, immédiatement, les produits sont soupçonnés. Faudrait-il alors faire figurer le sucre, de son vrai nom saccharose, qui résulte du même type de transformations que l'acide citrique
(E300) ou l'acide ascorbique (E330)?
- je crois que la cuisine traditionnelle est parfois bien pire que les additifs. Les plats anciens, considérés comme des "novel food", et soumis à la réglementation, ne seraient pas acceptés. Le noix muscade contient assez de myristicine pour tuer un adulte, par exemple. Devra-t-on aussi indiquer "noix muscade"? Le barbecue dépose des quantités de benzopyrènes, très cancérogènes : pourquoi ne pas les interdire?
Plus généralement, deux écoles s'affrontent : les "hygiénistes" et d'autres, qui pensent plaisir. J'ai peur que, par crainte de l'inconnu (plutôt que du dangereux), on ne verse dans une cuisine "saine"... et impossible.

Pardon, je suis un peu long... mais certaines questions nécessitent de la nuance.
Au fait, êtes-vous au courant que, avec Pierre, nous présentons à Hong Kong, les 20 et 21 avril, des plats "note à note"? Je crois que c'est quelque chose qui agitera des gens comme l'Allemand que vous citez (qui a écrit des choses fausses à propos d'Innicon, par exemple ; il a par exemple oublié de dire que ma participation à ce programme a consisté à explorer la salade de pommes de terre : on ne peut pas dire que ce soit très "vendu à l'industrie chimique"!).

Vive la connaissance.




Puis, quelques instants plus tard, j'ai ajouté :
Pardon, j’ai l’esprit d’escalier.

La vraie raison pour laquelle je ne veux pas défendre la cuisine moléculaire, c’est que cela ne sert à rien : ceux qui veulent l’attaquer n’écoutent pas mes arguments, et les autres n’ont pas à être convaincus.

Autant pisser dans un violon, donc, quand on veut défendre.

Et puis, défendre est une posture qui a perdu d’avance. Attaquons.

Donc ne défendons pas la cuisine moléculaire, avançons, encore et encore, dans des directions socialement, collectivement utiles. C’est l’idée du constructivisme culinaire, et de la cuisine note à note. C’est aussi l’idée de la science, où je suis plus dans mon élément : produisons des connaissances, afin que, ensuite, il soit décidé ou non (collectivement, démocratiquement) de leurs utilisations.

Evidemment, en chemin, quelques chiens aboient (Marianne !!! Le Canard enchaîné), mais pour ces quelques là, il y en a tant d’honnêtes, qui cherchent simplement à comprendre.

Ne sommes nous pas humains en proportion de notre capacité d’admirer ?

Vive la connaissance

vendredi 3 avril 2009

Ronchonner, pas râler

Assez d’être négatif. Assez, avec les râleries. D’ailleurs, « râle »… on pressent le bruit d’un mourant ! Non, soyons débonnaires, et contentons-nous de ronchonner.

Tiens, au lieu de s’énerver à voir que la France (et le Monde !) a peur de la science, pourquoi ne pas nous demander, en bon père de famille, débonnaire, pourquoi le peuple (nous en faisons tous partie) a peur ?
Et si la confusion entre science et technologie était en cause ? Oui, il y a la science, qui produit des connaissances. Les scientifiques sont dans leur laboratoire, et ils ne font de mal à personne.
Là où les choses se compliquent, c’est que des individus qui font office ou profession de technologie utilisent ces résultats, et en font usage. La connaissance, qui était « pure »… se transforme alors en quelque chose qui est le meilleur ou le pire ! Par exemple, Pierre et Marie Curie ne faisaient de tort à personne, en explorant la structure de l’atome… mais on en a ensuite fait des bombes ou du nucléaire civil.
Les bombes, évidemment, c’est moins bien que l’électricité dont nous ne pourrions plus nous passer.
De même, des chimistes ont exploré les réarrangements d’atomes dans leurs laboratoires, et des individus – que je me refuse à nommer des chimistes, puisqu’il faisaient alors œuvre de technologie, et non de science- en ont fait des gaz de combat. Pour être juste, il faut avouer que ces mêmes connaissances ont servi à faire des médicaments, d’ailleurs !

Bref, je propose de bien distinguer les sciences et la technologie (d’ailleurs, je récuse absolument le terme de « technosciences » : ce n’est pas parce que ce mot existe que l’activité elle-même existe ; pensons à « carré rond »). Ce qui fait peur, ce n’est pas la science, mais ses applications. Socialement, ne gagnerions nous pas à bien faire comprendre que la science ne peut pas faire peur, mais que la technologie doit être bien encadrée, éthiquement ?
Cela aurait notamment l’avantage de faire comprendre que nous devons décider des applications de la science, qui, elle, n’est que la science, une production de connaissances, l’honneur de l’esprit humain, en quelque sorte.

Je me suis trompé

Ces temps-ci, on voit combien une erreur a de conséquences néfastes :
- parce que la confusion entre science et technologie était masquée par l’enthousiasme juvénile qui nous animait, Nicholas Kurti et moi, il y a 20 ans, nous nous retrouvons aujourd’hui avec une terrible confusion entre gastronomie moléculaire et cuisine moléculaire ; j’en suis à devoir faire le missionnaire afin de rectifier, inlassablement ; on peut dire que je suis puni !
- parce que j’ai écrit jadis que la réaction de Maillard était absolument merveilleuse, je ne parviens plus à faire entendre des vérités importantes, à savoir que l’on devrait plutôt parler des réactions de Maillard que de la réaction de Maillard, à savoir que je ne parviens plus à faire entendre que bien des réactions de brunissements non enzymatiques ne sont pas des réactions de Maillard, à savoir que bien d’autres réactions contribuent au bon goût de la croûte du pain, du brun du rôti (à bas, littéralement, la réaction de Maillard !)
- parce que j’ai dit jadis que la chimie de la cuisine, j’entends aujourd’hui dire que la cuisine, c’est de la chimie, alors que ce n’est pas vrai !

Si les deux premières fautes sont vénielles, la dernière est grave. Prenons le temps de rectifier.

Si la cuisine était de la chimie, alors cela signifierait que l’être humain qui effectue des transformations moléculaires fait de la chimie, et il faudrait conclure que respirer, c’est de la chimie, ou vivre, simplement, puisque notre organisme est une sorte de gros ensemble complexe de réactions entre molécules.
De ce fait, la chimie serait TOUT, et ce serait grande prétention.
Non, il faut reconnaître plutôt que la chimie est une science, et, de ce fait, le cuisinier ne fera jamais de la chimie… puisqu’il fait de la cuisine. Je répète : le cuisinier effectuera des opérations qui conduiront à des réarrangements d’atomes, mais il ne fera pas de chimie, puisque son objectif n’est pas d’étudier les mécanismes des transformations, mais de mettre en œuvre ces transformations.
De même, on doit comprendre que l’on ne mettra jamais de chimie en cuisine. Impossible, puisque la chimie est une science… et que la cuisine est une production. Certes, on pourra trouver des applications de la science en cuisine, mais on ne mettra pas de science en cuisine. La gastronomie moléculaire, de ce fait, n’est pas la chimie en cuisine.

Pardon, c’est ma très grande faute si je me suis trompé. Je suis donc bien insuffisant, mais ceux qui me connaissent savent que je me soigne… en travaillant. J’espère seulement que ma naïveté et ma simplicité intellectuelles ne me conduisent pas, aujourd’hui, à faire d’autres erreurs que nous serons beaucoup à regretter.